Schizophrènes : sommes-nous sûrs de savoir si nous voulons traiter François Hollande comme la Reine d’Angleterre ou comme David Cameron ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande doit-il être considéré comme la reine d'Angleterre
François Hollande doit-il être considéré comme la reine d'Angleterre
©Reuters

Entre deux chaises

Le statut particulier du président de la République française lui confère à l'Élysée un rôle ambivalent, à mi-chemin entre Buckingham Palace et le 10 Downing Street. Ce statut monarchique et politique pose le problème de la légitimité du chef de l'État français.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Le statut du président français ressemble à un mélange entre le statut de chef d'État qui représente son pays comme la reine d'Angleterre et un statut d'hyper Premier ministre qui gère les affaires courantes, à l'image de David Cameron. De quel statut est-il le plus proche ?

Jean Garrigues : C'est toute l'ambigüité de la fonction présidentielle sous la cinquième République : le président est à la fois le chef de l'État, l'incarnation de l'unité nationale et c'est également lui qui donne les grandes inflexions de la politique gouvernementale. C'est une lecture gaullienne de la lettre des institutions de 1958 car la lettre dit que celui qui gouverne est le Premier ministre. Mais depuis de Gaulle, il y a eu une dérive de la pratique.

La conséquence de cette dérive, évidemment, est que la fonction et la personne du Président le rapprochent d'une sorte de monarque hyperpuissant de sorte que tout lui est imputé et son comportement, même privé, relève d'une analyse monarchique. C'est exactement ce qui arrive en ce moment au président français. En période de crise, il est de plus en plus jugé comme le responsable unique. L'idée du fusible joué par le Premier ministre, qui existait encore il y a quelques années, disparait progressivement.

Ce statut fonctionnait quand le président savait se mettre au-dessus des partis. De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, mettaient l'État avant leur camp politique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Quels problèmes pose désormais le fait que la personne qui représente la nation soit un politique faillible ?

C'est vrai que cela participe à cet effacement de la hauteur présidentielle. Cette hauteur est une distance entre le monarque et les citoyens. Avec les présidents Sarkozy et Hollande, il y a eu un rapprochement de la fonction présidentielle et des engagements partisans. Nicolas Sarkozy gérait l'UMP quand il était président de la République ; il n'y avait d'ailleurs pas de président de l'UMP à l'époque mais un secrétaire général épaulé par une direction collégiale. Avec François Hollande, on ce même type de fonctionnement d'un président qui est à la fois Premier ministre et qui reste lié à son parti. Cela ne devrait pas être couplé car il est le président de tous les Français mais en même temps il est celui qui mène la campagne. Cela le rend vulnérable lors de tous les rendez-vous électoraux.

Cela pose le problème de la légitimité et de l'autorité présidentielle. A partir du moment où cette notion de sacralité nationale saute, le président entre dans l'arène et fait partie, au même titre que les autres acteurs, du monde politique. Cela l'affaibli par rapport aux Français, le rendant moins crédible pour défendre les intérêts du pays. Cela le dessert également au niveau international car il est délégitimé par rapport aux autres dirigeants.

Il y a également un problème de formation des élites politiques. Les dirigeants du XXe siècle, jusqu'à Jacques Chirac, avaient traversé des épreuves historiques qui leur ont donné une sorte de sens dramatiques de l'histoire. Les dirigeants d'aujourd'hui n'ont pas le même type de trajectoire et sont moins marquée par le sens de la fonction présidentielle et ce qu'elle représente pour l'unité nationale.

Est-ce la raison pour laquelle le statut de président de la République est à ce point unique ? Est-ce également pourquoi on se permet d'interroger le président sur sa vie privée alors qu'on n'oserait jamais le faire sur la reine d'Angleterre ?

Si on reprend la théorie de l'historien spécialiste du Moyen-Age, Ernst Kantorowicz, sur les deux corps du roi, on voit que le corps privé du roi est désormais indissociable du corps public. La presse ne fait désormais plus la différence entre l'un et l'autre. Il y a eu une accélération des moyens d'investigation, de diffusion de l'information mais aussi de peoplisation des politiques par les médias, une peoplisation encouragée par les politiques eux-mêmes. Il y avait, dans la pratique présidentielle du XXe siècle, une distance qui était prise vis-à-vis de l'intimité des chefs d'État qui les rapprochait d'une sorte de hauteur monarchique. En même temps, le monarque était lui aussi extrêmement surveillé : tout le monde connaissait les amours secrètes de Louis XV par exemple.

Mais l'accessibilité nouvelle qui a été donnée par le comportement politique de Nicolas Sarkozy, confirmé par François Hollande, a donné lieu à un rapprochement entre le président et les autres. Résultat, il n'y a plus le caractère sacré de la fonction présidentielle. Le corps privé a déteint sur le corps public. On l'a vu le 11 novembre : Hollande était typiquement dans sa fonction de chef de l'État et, malgré ça, il a été conspué. Cela montre bien que des barrières sont tombées. C'est l'illustration de cette pratique de la normalisation, de la banalisation de la fonction présidentielle.

Maintenant que le Rubicon a été franchi avec Nicolas Sarkozy et François Hollande, est-ce que cette situation est irrémédiable ?

Il faudrait, pour cela, que l'on revienne sur le calendrier électoral et sur l'accouplement des élections présidentielle et législatives. Je pense qu'il faudrait également revenir au septennat qui donnait une temporalité différente à la fonction présidentielle et qui permettait de distinguer beaucoup mieux le chef de l'État. Il faudrait encore revenir à une pratique bicéphale de l'exercice du pouvoir exécutif. C'est ce qu'a essayé de faire François Hollande par rapport à Nicolas Sarkozy.

Il faudrait enfin revenir à une solennité, à un éloignement, de l'exercice présidentiel. C'est ce qu'écrivait le général de Gaulle en 1932, à une époque où il ne pensait certainement pas devenir président de la République. Dans Le Fi lde l'épée, il écrit que le chef doit cultiver son isolement vis-à-vis du reste. C'est compliqué à mettre en œuvre car l'isolement est parfois éloigné de la démocratie. La culture de gauche tend vers une démocratisation de la fonction présidentielle et donc un rapprochement du pouvoir. Il est difficile donc de concilier la culture du chef et la culture de gauche. 

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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