Saisir les fonds russes gelés pour reconstruire l’Ukraine : la dangereuse fausse bonne idée de l’UE <!-- --> | Atlantico.fr
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Josep Borell
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Jeu dangereux

C’est ce qu’a proposé Josep Borell, le chef de la politique étrangère des 27 dans un entretien au Financial Times.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Josep Borell, en charge de la politique étrangère de l’Union Européenne, a annoncé dans un entretien au Financial Times qu’il était souhaitable de saisir les fonds russes gelés (à savoir les fonds que la Russie a reçu de l’Ouest pour la vente de pétrole, de gaz, de charbon et d’autres matières premières) afin de reconstruire l’Ukraine.En quoi cette idée, qui peut sembler alléchante, est-elle mauvaise voire dangereuse ? 

Michel Ruimy : La Russie a évalué, à la mi-mars, le montant de ses actifs bloqués à 300 milliards USD sur un total de réserves de 640 milliards. En souhaitant saisir ces fonds, la décision de Josep Borrell, qui n’est pas, pour le moment, la position officielle de l’Union européenne (UE), s’inspire de l’exemple des Etats-Unis en Afghanistan. Alors que les Talibans prenaient le pouvoir, ils ont redirigé les réserves de la banque centrale afghane (7 milliards USD) vers les aides humanitaires et à destination des victimes du terrorisme.

Si l’idée de Josep Borell semble attrayante, il s’agit, en fait, d’une fausse bonne idée en raison d’une situation juridique complexe voire inextricable à ce jour. En effet, la séquestration unilatérale transforme un objectif légitime en un acte illégitime. 

Cette action constitue une procédure qui n’a pas de fondement clair en droit international. A la différence du gel des avoirs qui est fondé sur le droit national, quiconque détient ses réserves étrangères dans l’UE sait qu’elles sont soumises aux lois nationales, européennes et internationales existantes. Dans ces différentes lois, il n’existe aucun fondement juridique pour le séquestre. En France, par exemple, les actifs gelés ne peuvent pas être aisément saisis - sauf en cas de sanction pénale - au motif que cette action contreviendrait à l’inviolabilité du droit de la propriété. 

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En outre, les montants concernés sont la contrepartie monétaire d’une livraison de matières premières bien réelle. Si cette initiative entre en force, la Russie assimilera cet acte comme un vol. Il est alors légitime de penser aux futurs « paiements de restauration », qui doivent faire l’objet d'un accord contractuel (traité de paix). 

Enfin, les réserves de la banque centrale bénéficient, en droit international, de la « protection de l'immunité » car elles font partie de la panoplie souveraine d’un État.

En définitive, si cette décision devait être adoptée, elle mettrait l’Union européenne en situation dangereuse.

Comment Josep Borell, chargé de la politique étrangère de l’Union Européenne, peut-il faire une telle proposition ? 

Ce qui peut sembler, a priori, légitime voire rationnel ou raisonnable, n’est pas nécessairement sage. 

Au-delà de contrarier le financement de la guerre et de perturber l’économie russe, le train de sanctions déjà mis en place et auquel on envisage aujourd’hui d’accrocher un nouveau « wagon », vise à rassurer, dans une certaine mesure, la population ukrainienne. Elles jouent un rôle de communication politique en montrant que les Occidentaux agissent sans avoir à entrer en guerre. Elles restent un des seuls outils disponible quand la diplomatie ne fonctionne plus et que l’option militaire est exclue. 

Dans une perspective historique, il n’y a quasiment aucun cas où les mesures prises ont eu l’effet escompté. Jamais un pays du G20 n’a subi des mesures économiques et financières de rétorsion d’une telle ampleur. Mais les sanctions - bien plus dures - prises à l’encontre de plusieurs pays (Venezuela, Cuba, Syrie mais surtout Iran et Corée du Nord) n’ont toutefois pas infléchi la politique des nations visées. 

Si, à court terme, cette décision n’aura pas probablement de lourdes conséquences, le dollar étant une monnaie de réserve mondiale, le gel des avoirs des banques centrales risque, de manière générale, à long terme, de nuire à l’usage de la monnaie fiduciaire en général, et du dollar et de l’euro en particulier car cet acte constituerait un manquement à une fonction essentielle de la monnaie : être un intermédiaire dans les échanges (moyen de transaction).

Si cette proposition était appliquée, cela reviendrait-il à rentrer dans la surenchère, comme Poutine qui menace d’avoir recours à l’arme atomique ?

A la suite de l’annexion illégale de la Crimée (2014), les Occidentaux avaient, à l’époque, sanctionné l’économie russe, ce qui avait eu des effets négatifs sur la croissance de la Russie. Depuis, ce pays s’est progressivement préparé à réduire les effets contrariants / irritants de nouvelles éventuelles sanctions économiques notamment en « dédollarisant » son économie. 

Aujourd’hui, la décision de Josep Borell pourrait s’assimiler à une situation où l’économie russe vient de sauter d’un avion et où les démocraties occidentales ont décidé de lui retirer son parachute en pleine descente. L’atterrissage risque d’être violent… 

Il n’en demeure pas moins que, si le train de sanctions isole à terme presque totalement le pays, provoquant au passage un impact important sur la population, cette situation ne laissera vraisemblablement pas le président russe sans réactions au risque d’enclencher une escalade de menaces et sanctions réciproques. M. Poutine évoque, déjà au plan militaire, le recours à l’arme atomique. La saisie des avoirs russes, si elle survenait, laisse craindre de nouvelles turbulences sur les marchés.

Un retour à un « jeu de la barbichette » géopolitique ? A l’image des premières mesures économiques prises, il ne faudrait pas que les Occidentaux se « tirent une balle dans le pied » en prenant une telle décision... 

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