Sagan, ou l’art de survivre à une amitié sans lendemain<!-- --> | Atlantico.fr
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Portrait de l'écrivain Françoise Sagan pris le 25 septembre 1987 lors de la visite d'une imprimerie au Mesnil sur l'Estrée.
Portrait de l'écrivain Françoise Sagan pris le 25 septembre 1987 lors de la visite d'une imprimerie au Mesnil sur l'Estrée.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Atlantico Litterati

Dans son essai d’un chic fou et vibrant de sa passion pour la littérature « Dames de cœur et d’ailleurs »  (La Coopérative), Jean Chalon -écrivain ex journaliste au Figaro Littéraire- se souvient de ses rencontres avec Natalie Clifford Barney, Louise de Vilmorin, Anaïs Nin, Marguerite Yourcenar, Violette Leduc, Simone Gallimard ( entre autres femmes d’esprit ) et… Sagan. Contrairement à tous ceux qui « l’ont si bien connue » et furent ses « amis », voire ses « intimes », le pudique biographe de Colette affirme (ce qui reste à prouver !) qu’il n’a rencontré Sagan qu’une seule fois. Il en tremble encore. Reportage.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Extrait

C’était à Paris, à la Maison de la Radio. Je venais de publier Chère George Sand et Françoise Sagan avait écrit une présentation des lettres de George Sand et de Musset. Nous avions été convoqués à une émission de France Culture. Sagan avait aimé ma biographie, j’avais aimé sa présentation. De cet amour aurait pu naître une amitié qui ne dura qu’un soir.

Après l’émission, Sagan me demanda :

« Qu’est-ce que vous faites maintenant ?

-Je rentre chez moi.

-Vous habitez où ?

- Aux Batignolles.

-Parfait. Je vais voir ma mère qui habite avenue de Villiers. Si vous voulez, je vous dépose.

Moi, grisé d’être déposé par Sagan alors au plus haut de sa gloire, j’acceptais sans hésiter un seul instant.

A peine avions-nous quitté la Maison de la Radio, à six heures du soir, en pleine et intense circulation, que Françoise se mit à monologuer. J’écoutais ses confidences attentivement, sa diction était rapide, Sagan avait tendance comme Malraux à avaler ses mots, mais elle restait compréhensible. La preuve ? Je peux rapporter ses paroles :

« -Ce que je préfère au monde, c’est le roman. On se crée une famille avec laquelle on vit pendant deux ou trois ans. La nouvelle, c’est un gros Boeing avec des tas de gens dedans auxquels on s’attache le temps du voyage. Un roman c’est un voyage au long cours, comme autrefois. ».

Visiblement, Françoise Sagan avait la nostalgie de cet autrefois, nostalgie que je partageais, ô combien. Elle poursuivit son monologue, mettant à profit les embouteillages pour parler à son aise.

« Ce qui manque à notre époque, c’est la gratuité. Faire quelque chose sans que les gens le sachent. Faire quelque chose pour rien, c’est grisant… Notre époque est trop matérialiste et trop exhibitionniste, avec ces gens qui racontent leur vie et se complaisent dans l’affreuse réalité. L’imagination est la seule vertu qui nous reste. Et c’est peut-être la première des vertus, l’imagination. Elle permet de se mettre à la place des autres, elle rend tolérant ».

Je ne pouvais pas imaginer ce qui allait suivre. Soudainement, piquée par on ne sait quelle mouche, Françoise Sagan prend le pont de Bir-Hakem en sens contraire. Je vois les autos qui arrivent dans notre direction et qui organisent un concert de klaxons en notre honneur. Je ferme les yeux, et ne les ouvre qu’à notre arrivée à destination.

Nous sortons de l’auto en silence. « Mais vous êtes vert », constate Françoise Sagan qui ajoute «  Vous avez besoin d’une petite vodka, suivez-moi, je vous invite ». Elle m’emmena dans un petit bar russe où elle avait visiblement ses habitudes et où nous avons bu une, deux, trois vodkas.

Je me sentais tout ragaillardi, je remerciai ma dame de cœur et je rentrai à la maison.

Il n’y eut pas d’autre rencontre entre le biographe de George Sand et l’auteur du Garde du cœur, qui était son roman préféré et que je préférais aussi aux autres. Ensemble, nous avons rêvé qu’on fasse un film avec ce Garde du cœur, dont nous avons établi l’idéale distribution avec l’assurance que donnent trois vodkas trop rapidement bues.

Précieuse rencontre sans lendemain. Peut-être me suis-je souvenu du conseil que venait de me donner Karl Lagerfeld : « "Il vaut mieux ne pas fréquenter les monuments ». Or Françoise était, est toujours un monument, une parfaite dame de cœur qui ne cesse de vibrer dans son œuvre romanesque. 

Extrait de "Dames de cœur et d’ailleurs" de Jean Chalon, publié aux éditions La Coopérative (19 euros)

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