Robespierre était-il paranoïaque ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Robespierre était-il paranoïaque ?
©Tableau de Jean-Joseph Weerts

Bonnes feuilles

Patrick Lemoine publie "La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde" aux éditions Odile Jacob. En tant que psychiatre et clinicien, Patrick Lemoine a osé décortiquer les biographies, établir des diagnostics et en arriver à un incroyable questionnement. Pour la première fois, ce livre nous éclaire sur la psychologie de l’homme d’État. Extrait 2/2.

Patrick Lemoine

Patrick Lemoine

Patrick Lemoine est psychiatre et docteur en neurosciences. Il est l’auteur de nombreux best-sellers, dont cinq chez Odile Jacob, chez qui il a dirigé en 2018, avec Boris Cyrulnik, une Histoire de la folie avant la psychiatrie.

Voir la bio »

Manifestement, Maximilien de Robespierre ne connaît guère le doute. Mirabeau dira d’ailleurs de lui en 1789 : « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit. » C’est l’une des caractéristiques des grands chefs : une confiance inébranlable en tout ce que l’on entreprend. Aujourd’hui encore, quand un responsable politique envoie des signaux de doute, d’incertitude, il est au mieux raillé, au pire vilipendé pour ce péché capital. Dans cette optique, le peuple considéré comme immature par nature est tellement à la recherche du parent idéal qu’il ne supporte pas que papa ou maman ne sache pas tout ou ne décide pas de tout en permanence. 

Robespierre a ainsi cette capacité à soutenir deux points de vue opposés : être contre la peine de mort et faire guillotiner les citoyens par milliers « au nom du Bien ». Mais, son intransigeance et son incapacité à douter de soi me font également penser à une personnalité paranoïaque. À distinguer du délire paranoïaque, attention. Ce type de personnalité mène justement tout droit au pouvoir, que ce soit dans l’entreprise, dans les services hospitaliers, au sommet de l’État ou, pire encore, dans les religions et sectes. Savonarole en est l’un des plus beaux exemples. 

Cette certitude virile d’avoir raison est l’un des éléments les plus moteurs de succès pour ceux qui en sont dotés, mais aussi l’un des plus dangereux pour ceux qui les entourent. Encore une raison pour laquelle il est plus difficile aux femmes d’accéder au pouvoir suprême : malgré quelques exceptions, elles sont en général moins paranoïaques que les hommes et plus en proie au doute… sans doute ? 

Chez Robespierre, la certitude va tourner au fanatisme, un fanatisme fondé sur le manichéisme de l’Incorruptible qui ne connaît plus de limites : « L’Être suprême n’a point créé les rois pour dévorer l’espèce humaine ; il n’a point créé les prêtres pour nous atteler comme de vils animaux au char des rois, et pour donner au monde l’exemple de la bassesse, de l’orgueil, de la perfidie, de l’avarice, de la débauche et du mensonge ; mais il a créé l’univers pour publier sa puissance ; il a créé les hommes pour s’aider et pour s’aimer mutuellement, et pour arriver au bonheur par la route de la vertu. C’est lui qui plaça dans le sein de  l’oppresseur triomphant, les remords et l’épouvante, et dans le cœur de l’innocent opprimé, le calme et la fierté ; c’est lui qui force l’homme juste à haïr le méchant, et le méchant à respecter l’homme juste. » Ce manifeste est un modèle de certitude et pourrait être gravé sur le fronton du temple de la Paranoïa : au fond, seuls lui et ses partisans sont des bons, les autres sont des méchants. Dans cette logique, une seule conclusion possible : l’élimination des méchants par les bons. En d’autres termes, c’est à cause de son idéal de fraternité universelle que Robespierre a tué tant de ses contemporains.

MON DIAGNOSTIC

Personnalité paranoïaque de type idéaliste passionné et  processif

Comme tous les paranoïaques prompts à dégainer des procès pour un oui ou pour un non, Robespierre était hyperlégaliste et forcément, en partie par déformation professionnelle, procédurier. Il l’est resté même après avoir cessé d’exercer son métier d’avocat ou de juge et être devenu élu du peuple. Utopiste, convaincu de sa mission de sauver le monde, ou du moins la France grâce à ses idées de justice, d’égalité, de fraternité, quitte à les imposer par la force, il a assez bien résumé le manichéisme de sa pensée à travers cette phrase sibylline : « Le gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé. » Pour dire les choses autrement, le monde est binaire, blanc ou noir, bon ou méchant, révolutionnaire ou contre-révolutionnaire… malheur à ceux qui ne sont pas du côté du bien, mais du côté obscur de la force, l’axe du mal. Pour eux, la mort est au bout du chemin.

Et si j’avais été son psychiatre ?

Un internement (SPDRE : soin psychiatrique à la demande d’un représentant de l’État) ! Un traitement au long cours par médicaments antipsychotiques devrait permettre des sorties à l’essai, sous surveillance.

Extrait du livre "La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde" de Patrick Lemoine publié aux éditions Odile Jacob

Lien vers la boutique Amazon : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !