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Retraites : ces deux clés des blocages français à côté desquelles passent les réformes
©STEPHANE MAHE/AFP

Réforme des retraites

Le gouvernement est conscient que la satisfaction au travail et l'emploi des séniors font partie des clés des blocages sur les retraites. Prendre en compte ce double problème permettrait pourtant de rendre plus acceptable une réforme

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Un ancien ministre d’Emmanuel Macron affirme dans l'Opinion, qu'il faudrait dire aux Français : “On a compris que vous n’êtes pas heureux au travail”. » Et répondre à ce mal-être plutôt que d’encourager la fuite en avant avec la réforme des retraites dans sa version actuelle. Pourquoi le gouvernement ne le fait-il pas s’il en a conscience ?

Philippe d’Iribarne : La conscience est effectivement très forte, au gouvernement et dans la société dans son ensemble, de l’existence d’un mal-être lié au travail. Les ouvrages et articles consacrés à la question pullulent. Mais pour agir à bon escient, il ne suffit pas de constater, il faut aussi avoir une idée des causes et ce point fait problème. Les méthodes de management sont dénoncées en permanence, les excès de la hiérarchie, l’hypertrophie des règles, la parcellisation du travail et les appels se multiplient en faveur d’entreprises plus démocratiques, « libérées » ou autres, mais reste à savoir ce qui fait que ces dénonciations et ces appels ont si peu d’effets concrets. Pour aller de l’avant, il est important de comprendre ce qui produit la résistance de la situation à laquelle nous sommes confrontés.

Dans les enquêtes, à quel point l’insatisfaction au travail est-elle importante pour les travailleurs français ? Quantitativement, à quel point les français sont-ils insatisfaits de leur emplois, selon les données que l’on connaît ? Qu’en est-il comparativement aux autres pays, notamment de l’OCDE ?

Attention de ne pas généraliser, une partie importante des travailleurs français sont tout à fait satisfaits de leur travail, dont ils ont le sentiment qu’il correspond bien à leurs attentes. Par ailleurs les enquêtes de satisfaction comparant les situations de divers pays sont d’interprétation délicate, tant la propension à la critique varie d’une culture à l’autre, les Français paraissant champions dans ce domaine. Mais il paraît clair que beaucoup ont un travail qui est loin de les satisfaire.


Votre livre qui paraît ce jour, Le grand déclassement, s'intéresse à pourquoi les Français n'aiment plus leur travail. Qu’est ce qui explique que les Français ne sont en moyenne pas heureux au travail ? Quelles sont les raisons identifiées de cette insatisfaction ?

Les Français sont prêts à s’engager avec conviction, on pourrait même dire avec passion, dans leur travail, à condition d’avoir le sentiment de pouvoir faire un « bon travail » conformément à l’idée qu’ils se font de celui-ci, de pouvoir « bien faire son métier ». Cela exige de ne pas être entravé sans cesse par des interventions de gens peu compétents dans leur domaine, que ce soit des managers qui ne savent manipuler que les tableaux de chiffres et les indicateurs de résultats, ou des services techniques, concepteurs de procédures,  éloignés de fait des réalités du travail quotidien, ou encore des gens de communication. Ils n’aiment pas être soumis à ce qu’ils estiment être les « caprices » de clients incapables d’apprécier un « vrai travail ». Ils sont en attente d’un poste qui soit « à la hauteur » de leur diplôme. A l’époque dite des « trente glorieuses » ces conditions étaient remplies pour une très grande partie des personnels. Elles le sont beaucoup moins.


Prendre en compte le double problème de la satisfaction au travail et de l’emploi des seniors, ne permettrait-il pas de rendre plus acceptable une réforme des retraites ?

Effectivement, la question des retraites est intimement liée à celle du travail des seniors. Dans beaucoup de pays ils occupent des postes moins exigeants que ceux qui sont dans la force de l’âge, mais, en retour, voient leurs revenus diminuer. Ceci est particulièrement spectaculaire au Japon. En France, l’idée d’en faire autant, parfois avancée par les réformateurs, suscite de très fortes réticences, tant une telle évolution de carrière serait perçue comme une déchéance. Du coup, dans bien des activités, les seniors, qui n’ont pas la possibilité de lever le pied, préfèrent partir en retraite. De leur côté, les entreprises ont tendance à préférer de plus jeunes qu’elles estiment avoir un meilleur rapport « qualité-prix ». On aboutit à un taux d’emploi particulièrement faible. Une précédente ministre du travail avait prévu de s’attaquer sérieusement à cette question, mais elle a quitté le gouvernement avant d’avoir pu passer à l’acte.

Comment les pays qui ont de meilleurs résultats sur ces indicateurs ont-ils réussi à les obtenir ?

Il n’y a pas de recettes universelles tant, dès qu’on sort d’idées très générales (donner plus de responsabilité, favoriser un bon climat au sein de l’entreprise, etc.) ce qui permet d’être satisfait de son travail varie d’un pays à l’autre. Ainsi la prolifération des indicateurs de résultat et des procédures, largement jugée insupportable en France par ceux qui la subissent, ne fait nullement question de la même façon aux États-Unis. Le « principe de précaution » avec tout ce qu’il implique de risques, y compris pénaux, tient en France une place peu commune qu’il est difficile de mettre en cause tant il y est perçu comme un facteur de progrès, ce qui n’est pas le cas sous bien des cieux. C’est en France que l’écart entre le niveau de diplôme et le niveau d’emploi exercé fait sérieusement question. Ce serait une grave erreur que de tenter de copier servilement ce qui réussit bien dans d’autres pays dotés d’autres cultures. Mieux vaut travailler à comprendre ce qui fait question pour des Français, dans leur culture propre, et ce qui en conséquence peut permettre d’avancer. 

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