Quand les blagues autour du salut nazi faisaient Führer<!-- --> | Atlantico.fr
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Un forain de Paderborn faisait tendre le bras droit à ses chimpanzés dressés pour se moquer du salut nazi.
Un forain de Paderborn faisait tendre le bras droit à ses chimpanzés dressés pour se moquer du salut nazi.
©DR

Bonnes feuilles

Rudolph Herzog a collecté et analysé les plaisanteries qui couraient sous la dictature d'Hitler. Extrait de "Rire et résistance. Humour sous le IIIe Reich" (1/2).

Rudolph   Herzog

Rudolph Herzog

Rudolph Herzog est réalisateur. Son documentaire sur l’humour sous le IIIe Reich, Laughing With Hitler, a obtenu un véritable succès en Allemagne. Il est le fils du réalisateur Werner Herzog.

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On riait beaucoup plus des nouvelles habitudes nazies, qui ne manquaient pas d’un certain ridicule. Le « salut allemand », ce geste bizarre copié par Hitler sur les fascistes italiens et propagé avec beaucoup d’insistance, était une de ces coutumes. « Si tu entres dans un endroit en tant qu’Allemand, ton salut sera “Heil Hitler” » : telle était la maxime recommandant partout de montrer cette preuve énergique de fidélité. Seuls les nazis à « cent cinquante pour cent » s’accoutumèrent à cette mauvaise habitude qu’était le bras tendu, raide, à hauteur des yeux. Cela ne l’empêcha pas d’être imposé sans délai dans tous les bureaux d’administration et même dans tout le service public. Les Colonais réagirent à l’introduction du salut allemand en racontant une blague salée, dont les protagonistes étaient les deux célébrités comiques locales, Tünnes et Schäl :

Tünnes et Schäl marchent à travers champs ; Tünnes glisse soudain sur du fumier et manque de tomber. Il tend crânement la main droite en criant : « Heil Hitler ! » « T’es cinglé ? », demande Schäl inquiet. « Qu’est-ce que tu fous comme bêtise ? Tu vois bien qu’il y a personne dans le coin ! »

« Je suis le règlement à la lettre », répond Tünnes tout brave. « On dit bien que quand on entre quelque part pour faire ses commissions, on doit faire le salut “Heil Hitler”. »

L’arrière-pensée qui se cachait derrière cette nouvelle coutume imposée par la contrainte était moins drôle. Pour les nazis, le « salut allemand » servait de test de vérité grâce auquel on pouvait rapidement savoir si l’interlocuteur était un sympathisant ou un adversaire politique. Il va de soi que les anciens sociaux-démocrates ou communistes n’étaient pas tous enthousiastes devant geste étrange. Celui qui n’obéissait pas gentiment devait cependant s’attendre à en subir les conséquences. Dans le cas d’un enfant qui avait refusé à plusieurs reprises de faire le salut à l’école, les autorités allèrent jusqu’à retirer le droit de garde aux parents. Ces faits se produisirent toutefois en 1940, quand la situation politique s’était déjà aggravée considérablement ; à cette époque, on s’était déjà habitué au salut, mais au début de la période nazie, la perplexité avait été grande. Durant les premières années, ce n’est pas pour rien que le « salut allemand » constitua une constante de l’humour politique. Le bon sens populaire expliquait sur un ton moqueur que, tant que tous les gens diraient « Heil Hitler », on ne connaîtrait plus de « bonjours ». D’un point de vue humoristique, la blague suivante est plus réussie que la plupart des histoires drôles de l’époque :

Hitler visite un asile. Les patients font gentiment le « salut allemand ». Mais soudain, Hitler aperçoit un homme qui fait bande à part. « Pourquoi ne saluez-vous pas comme les autres ? » lui lance-t-il. Là-dessus l’homme répond : « Mein Führer, je suis l’infirmier, je ne suis pas fou ! »

La blague sur le docteur des fous qui aurait répondu au salut « Heil Hitler [Salut à Hitler – Soigne Hitler] » en disant « Soigne-le toi-même ! » est moins créative. La plupart des boutades sur ce sujet ingrat étaient construites sur le même modèle. Le comique munichois Karl Valentin fut tenu à tort pour l’auteur de celle-ci :

En passant devant un marchand d’herbes médicinales [Heilkräuter], un ivrogne lit dans l’étalage : « Herbes médicinales, Heilkräuter. » « Heil Kräuter », dit-il en méditant, « Heil Kräuter… On a enfin un nouveau gouvernement ! »

Les déformations de mots étaient très prisés – surtout chez ceux qui ne s’identifiaient pas à l’idéologie nazie et voulaient éviter de faire le salut qui les rebutait. Parmi les variantes sans doute les plus usitées, on comptait le « Drei Liter » des habitués des cafés, une imitation phonétique du salut allemand, ainsi que la contraction de « Heil Hitler » en « Heitler ». Nous devons la déformation la plus originale aux Swing-Heinis, des adolescents qui, tout à l’opposé de la vogue des Chemises brunes, se laissaient pousser les cheveux et écoutaient le swing interdit (« musique de nègres » en jargon nazi). Ces jeunes anars se saluaient en levant le bras et en prononçant la formule « Swing Heil ». Le salut allemand, comme nous l’avons déjà dit, était en réalité un salut italien : le bruit circulait donc que, lors d’une réception d’État, Mussolini aurait tendu le bras à Hitler, en criant « Ave imitator ! ».

La meilleure réponse au salut hitlérien vint toutefois d’un forain de Paderborn, qui faisait tendre le bras droit à ses chimpanzés dressés – un geste qu’ils répétaient volontiers et abondamment, comme le rapporte son fils. Chaque fois qu’ils apercevaient un uniforme, même si ce n’était que le facteur, les animaux faisaient aussitôt le salut hitlérien avec le bras tendu. Cependant, tous les membres du parti nazi n’appréciaient pas les singes
nazis. L’initiative d’allure dadaïste du forain, un social-démocrate convaincu, fut dénoncée aux autorités par des Volksgenossen (camarades du peuple) zélés. Peu après fut promulgué un décret interdisant aux singes de faire le salut hitlérien. En cas d’infraction, il serait procédé à l’« abattage ». Quand l’hommage au Führer était en cause, les nazis n’avaient aucun sens de la plaisanterie.

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"Rire et résistance. Humour sous le IIIe Reich", de Rudolph Herzog (Michalon Editeur)

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