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Les personnes exposées à la violence auraient plus de risques de devenir, à leur tour, plus violentes que les autres
Les personnes exposées à la violence auraient plus de risques de devenir, à leur tour, plus violentes que les autres
©Reuters

Maladie infectieuse

Dans une étude publiée récemment, des chercheurs ont observé les conséquences du conflit israélo-palestinien sur les comportements des enfants du sud d’Israël. Il a été observé que dans cette région, les enfants avaient deux fois plus de chances de devenir violents que ceux qui grandissaient dans une région en paix.

Laurent Bègue

Laurent Bègue

Laurent Bègue est professeur de psychologie sociale à l'université Pierre Mendès-France de Grenoble, et directeur de la Maison des Sciences de l'Homme Alpes. Spécialiste des motivations individuelles et régulations sociales dans le jugement et les conduites sociales, il s'est beaucoup penché surles phénomènes d'agression, du jugement moral, et de la psychologie sociale de la délinquance.

Il est notamment l'auteur de Psychologie du bien et du mal (Odile jacob, 2011) et d'une cinquantaine d'articles scientifiques et chapitres d'ouvrages.

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Voir la violence autour de soi rend-il violent ? Au premier abord, cette question peut sembler complètement absurde. Nous sommes tous quotidiennement témoins de violences, directes ou médiatisées, sans que celles-ci ne nous inspirent autre chose que l’impatience aiguë d’un monde plus pacifique. Cependant, et c’est là une idée centrale de la psychologie depuis les « lois de l’imitation » de Gabriel Tarde, la violence peut être contagieuse. Ce procureur de la République et sociologue de la seconde moitié du 19ème siècle s’est passionné pour l’hypnose sociale et a fondé un courant de pensée qui reste d’actualité pour comprendre les relations sociales entre deux personnes ou au sein de groupes.

Câblés pour imiter les autres

L’imitation est une tendance innée chez les primates et les humains, pour lesquels le mimétisme subtil des expressions du visage est non conscient et automatique. Lorsque des nouveaux-nés observent un modèle qui tire la langue, cela déclenche un comportement mimétique, tandis que chez les adultes, la projection de films où un acteur adopte une expression triste ou gaie conduit l’auditoire à imiter involontairement son expression faciale sans en avoir conscience. Ce mimétisme irréfléchi, dont nous avons tous conscience lorsque nous rions ou baillons en groupe tant il est alors manifeste, a été approfondi de manière décisive par la découverte des neurones miroirs. Des chercheurs de l’université de Parme ont ainsi montré que certains neurones sont activés de manière similaire quand une action est observée ou exécutée par l’individu. Ces bases neurales de l’imitation permettent de comprendre pourquoi nous imitons à notre insu les expressions faciales d’autrui. Ce mimétisme  peut contribuer au partage des émotions éprouvées par nos interlocuteurs du fait de la mobilisation du même système musculo-facial que celui qui est activé lorsque nous éprouvons nous-mêmes l’émotion dont nous sommes témoins. Ainsi, voir des expressions faciales de colère stimuleront des émotions similaires chez l’observateur, qui favorisent une réaction agressive en cas de provocation.

Contagion sociale

La contagion ne se limite pas aux relations de face à face. Habiter dans un quartier ou un pays violent n’est pas sans influence, car les conduites jugées appropriées et acceptables par l’individu dépendent en bonne partie des modèles auxquels il est le plus souvent exposé. Dans une étude, des enfants de diverses villes d’Afrique du Sud étaient observés par des chercheurs à plus de 1 500 reprises lors de fenêtres d’observation de 30 secondes. La mise en relation d’informations environnementales avec les conduites des enfants a montré que ceux qui résidaient dans des communautés violentes avaient des interactions plus agressives que les autres. La guerre produit également des effets de légitimation de la violence sur un plan macroscopique. Des chercheurs ont montré au moyen de données statistiques provenant de 110 pays entre 1900 et 1970 que les Nations qui venaient de traverser une période de guerre voyaient leur criminalité augmenter, par acculturation à la violence. Les écrans qui mettent en scène la violence, notamment si celle-ci est banalisée ou présentée de manière valorisée, constituent un autre vecteur de transmission. Dans une étude sur l’influence de la télévision, une trentaine d’enfants de 5 à 11 ans regardaient un feuilleton violent pendant 20 minutes. En enregistrant les actes de violence verbale et physique dans les minutes qui suivaient (durant un temps de jeu périscolaire), les auteurs ont observé que par rapport à ceux auxquels on avait montré un autre programme, ceux qui avaient vu les contenus violents commettaient un taux d’actes brutaux ou agressifs multiplié par 7. Ces résultats sont confirmés par plusieurs enquêtes. Par exemple, selon une publication de la revue Science, visionner régulièrement des films violents entre 14 et 21 ans influence les conduites agressives de l’adulte, indépendamment du QI, de la classe sociale, des pratiques éducatives parentales ou du niveau de tendances agressives des participants au début de l’étude.

En dépit de l’intérêt explicatif du concept de contagion, il apparaîtrait cependant réducteur d’en faire un principe exclusif lors de l’explication des violences collectives. Dans de nombreux cas, la contagion n’est pas la clé d’analyse unique. Dans une analyse sociologique de 341 émeutes urbaines, Clark Mc Phail, de l’Université de l’Illinois, a montré que les violences ont généralement des objectifs politiques ou sont dirigées contre des groupes spécifiques. Quand il s’agit de lynchage, l’enquête, quand elle existe, révèle que les personnes les plus actives dans la foule sont en situation de précarité économique et sociale. La contagion de la violence est souvent sélective, et doit donc se  comprendre en interaction avec d’autres causes critiques.

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