Quand “Le Monde” réécrit l’histoire des OGM<!-- --> | Atlantico.fr
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Un scientifique étudie des haricots génétiquement modifiés dans un laboratoire de la province de Santa Fe, en Argentine, le 15 octobre 2020.
Un scientifique étudie des haricots génétiquement modifiés dans un laboratoire de la province de Santa Fe, en Argentine, le 15 octobre 2020.
©Marcelo MANERA / AFP

Affirmation étonnante

Alors que des nouveaux OGM voient le jour, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », écrit que concernant les précédentes générations, les “promesses n’ont pas été tenues”, une affirmation bien étonnante...

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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Atlantico: Dans une chronique publiée dans le journal Le Monde, le journaliste Stéphane Foucart, explique que la technologie OGM n’a pas augmenté significativement les rendements aux États-Unis contrairement aux promesses que cette découverte avait annoncé. Qu’en est-il vraiment ? Les OGM sont-ils aujourd’hui si improductifs que cela ? 

Marcel Kuntz: Cette chronique pose des questions importantes. Y répondre suppose d’être le plus précis possible. Ainsi, il faut d’abord dire que ledit journaliste doit précisément être qualifié de journaliste-militant. Et encore plus exactement de militant pour, appelons cela ainsi, l’écologisme anti-technologie. Qui englobe une détestation des OGM, entre autres. Cela est parfaitement son droit. Le problème est qu’il ne décline pas son militantisme dans un média perçu sans ambiguïté comme partisan de cette cause, mais dans un « journal de référence » (en tout cas souvent considéré comme tel). Cet obstacle à un débat démocratique éclairé étant identifié, passons au second point à préciser en introduction.

Le sigle « OGM » se rapporte à un cadre réglementaire européen qui prétend définir ce qu’est un « organisme génétiquement modifié », ce qui n’en est pas un, et ce qui en est un tout en étant dispensé des obligations légales liées aux Directives en question. Tout cela est une pure construction idéologique d’une Europe qui rêve d’éliminer tout risque, même au prix de se priver des bénéfices d’une technologie. Il est de plus scientifiquement absurde de réglementer certaines technologies sous le concept de « modifications génétiques » alors que ces dernières sont partout, naturelles ou pas. Sans elles, pas de biodiversité, d’évolution des espèces… et nous ne mangerions pas grand-chose si l’Homme n’avait pas sélectionné de nouvelles espèces et des nouvelles variétés dans ces espèces !

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Pour en venir au fond de la question, celui des rendements, il faut préciser que les produits issus des biotechnologies des plantes commercialisés depuis 1995 n’avaient pas de caractère génétique destinés à augmenter directement les rendements. Ils visaient surtout à éviter des pertes de récoltes, en combattant des insectes ravageurs, plus marginalement (en superficies) des virus, ou en désherbant de manière plus simple. Plus récemment sont apparus sur le marché des traits génétiques modifiant les propriétés biochimiques des récoltes (teneur en huile par exemple). De plus la question des rendements doit s’estimer par rapport à une référence. Quelle est la bonne ? Par rapport à un traitement par insecticide chimique pour contrôler les insectes ravageurs ? Dans ce cas, les insecticides évitent eux-aussi des pertes de récoltes. Ou sans aucun traitement, avec par voie de conséquence une baisse de rendement chez les lignées « non-OGM » ?

La question des rendements illustre également la mauvaise foi militante. En effet, l’écologie politique et ses organisations franchisées n’ont de cesse de déplorer la course aux rendements, en confondant souvent productivité et productivisme, tout en dénonçant une non-augmentation des rendements lorsque cela sert leur militantisme anti-OGM !

Le journaliste dans son papier confond plante transgénique et OGM, quelle différence existe-t-il entre les deux variétés ? Est-il possible de juger ces variétés en Europe alors qu’elles sont strictement régulées ?

Jusqu’à l’avènement des « nouvelles biotechnologies », les « OGM » (terme légal) se confondaient en Europe, et dans les pays qui ont rallié la doxa européenne, avec « plantes transgéniques » (terme scientifique), car la réglementation sur les OGM (à partir de 1990) avait comme but d’encadrer la technologie transgénique, supposée porteuse de plus de risques, car nouvelle, ce qui est une démarche idéologique. Les scientifiques ont toujours dit que les risques étaient « de même nature » que ceux des variétés conventionnelles (c’est-à-dire très faibles dans la plupart des cas : qui a peur d’un champ de maïs conventionnel ?).

Il est très difficile de juger sur pièces l’apport de la technologie transgénique pour Europe, car elle est quasi absente des champs, si l’on excepte des cultures de maïs auto-protégé contre certains insectes ravageurs en Espagne et dans une moindre mesure au Portugal. Les données des grands pays producteurs hors d’Europe pointent des bénéfices environnementaux : réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’épandage d’insecticides chimiques. Evidemment, ce sont par ailleurs des pays où l’agriculture peut souvent être qualifiée de productiviste, ce qui n’est pas sans poser des problèmes notamment liés à l’utilisation irraisonnée d’herbicides. 

C’est ce que pointent les anti-OGM et ce n’est pas faux. Mais il est permis de penser que ces dérives ne se seraient pas produites dans le contexte européen. Le problème n’étant pas l’outil en tant que tel, mais la façon de l’utiliser. Cependant, l’Europe, dans un excès inverse, a tellement voulu éviter tous les risques, qu’elle n’a plus autorisé de nouvelles cultures issues des biotechnologies depuis la fin des années 90 ! Elle s’est ainsi privée de toutes les avancées récentes.

Ce papier représente-t-il d’autres inexactitudes scientifiques vis-à-vis des OGM ? 

Le papier a raison de parler de « deux visions antagonistes de l’agriculture ». Il faut simplement préciser que la vision « paysanne », par opposition à l’« industrielle », est motivée par l’anticapitalisme, c’est-à-dire le refus de l’intégration de l’agriculture dans l’économie de marché. Ce choix peut s’entendre (même si l’agriculture française est plurielle), mais il s’est trop souvent abrité derrière les mensonges des marchands de peur alimentaire (peurs produites à un niveau industriel !).

Le papier a aussi raison sur le fait que les discours sur les promesses des nouvelles biotechnologies et sur le « progrès » ont déjà été tenus pour la transgénèse. Il faut cependant là aussi préciser, qu’au moins en partie, ces « promesses non-tenues » sont dues à l’activisme des anti-OGM (dont l’auteur du papier a pris sa part) qui sous sa forme la plus radicalisée est allé jusqu’à user de violences contre la recherche publique. Cette dernière a ainsi été découragée, bien au-delà de l’Europe, de mener ses recherches.

Le papier a également raison de parler d’une « intense bataille dont l’issue pourrait avoir un impact majeur sur l’agro-industrie… ». La suite de la phrase (un impact « sur l’environnement ») est plus ambiguë, car ce que l’on attend, ce sont des bénéfices pour l’environnement, ce que sous-entend d’ailleurs le rapport de la Commission européenne sur les nouvelles techniques génomiques rendue public en avril 2021. Quant à l’impact évoqué dans la même phrase sur « la santé des Européens », cela suggère sans le dire qu’il pourrait y avoir un effet négatif, ce qui est faux. La sécurité sanitaire des aliments en Europe est de très haut niveau et jamais un produit non sûr ne contournera les exigences européennes.

D’autre part, personne ne nie que ces nouvelles biotechnologies « peuvent provoquer des modifications génétiques imprévues ». Mais il faut préciser que l’on dispose aussi d’outils pour vérifier si cela est le cas, et que même les croisements traditionnels peuvent donner des résultats imprévus. Ce sont des propriétés du vivant. 

Quant à l’argutie des « adversaires » (des OGM) selon laquelle « des résultats comparables à ceux de ces technologies pourraient bien souvent être obtenus par des croisements de variétés traditionnelles », on peut leur retourner l’argument du déjà entendu ! Il a en effet déjà été entendu contre la transgénèse (la rhétorique des anti-OGM a toujours porté fallacieusement sur des supposés « alternatives »). Si les croisements représentent une réelle alternative, les sélectionneurs les utilisent  (ils ne sont pas soumis à une évaluation des risques, longue et coûteuse). C’est précisément quand cela n’est pas possible que le recours aux biotechs prend son sens.

Qu’est ce qui différencie les nouveaux OGM des anciens ? 

Les anciens, autrement dit la transgénèse (inventée en 1983), impliquent le transfert direct d’un gène, autrement dit d’un caractère génétique que l’on souhaite apporter à une variété donnée de plante, sans pouvoir le transférer par croisements ou le faire advenir par des mutations. Pour rester simple, c’est l’équivalent d’une greffe, dans ce cas d’un fragment d’ADN. Les nouvelles biotechnologies (dont celles appelées édition de gènes par le système CRISPR) utilisent ce que l’on appelle des « ciseaux moléculaires » pour modifier un gène déjà présent, de manière ciblée. C’est l’équivalent d’une microchirurgie.

Beaucoup espéraient faire l’impasse sur les anciens OGM et se concentrer sur les nouvelles biotechnologies (ils espéraient qu’elles ne soient pas classées légalement comme « OGM »). En réalité, nous avons montré dans une publication scientifique que les deux types de biotechnologies se complètent et que les innovations transgéniques restent produites dans le monde. C’est pourtant ce renoncement à la transgénèse qui est le choix dominant en Europe, que ce soit du côté des industriels, de l’actuel Ministre de l’agriculture, ou des agriculteurs qui n’ont eu d’autre choix que de prendre en compte cet état de fait.

Le débat sur les nouveaux OGM sera-t-il toujours phagocyté par des arguments contre les anciens OGM ? 

Oui, car les anti-OGM ont gagné en partie la bataille de l’opinion sur ce mot. Peu de gens peuvent définir ce qu’est un « OGM », mais la diabolisation s’est installée. La seule échappatoire est de renoncer à ce terme sans pertinence scientifique, comme cela se passe au Canada par exemple, où la règlementation porte sur les « nouveaux traits » génétiques, donc sur les produits et non pas comme en Europe sur la méthode d’obtention desdits produits. Cela est plus pertinent scientifiquement et, autre avantage, oblige de définir quel traits précis l’on souhaite critiquer, plutôt que de jouer sur un concept vague, comme celui « des OGM ».

Il est cependant douteux que l’Europe puisse renoncer à ce concept d’OGM, car cela impliquerait de changer sa lecture idéologique. D’ailleurs, illustrant cette idéologie précautionniste (et par la même occasion le concept de « gouvernement des Juges »…), un arrêt de la Cour de Justice l’UE en 2018 a de facto élargi le concept aux nouvelles biotechnologies. Comme le mentionne l’article du Monde, un vote aura lieu sur cette question au niveau européen en … 2023 ! On appréciera l’urgence de la question pour l’Europe pourtant déjà largement distancée par la Chine et les Etats-Unis.

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