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Pouvoir d’achat : le logement, mère de toutes les batailles
©JOEL SAGET / AFP

Spécificité française

Alors que la thématique du pouvoir d’achat s’est révélé central dans le cycle électoral 2022 et que de plus en plus de Français disent avoir de la peine à joindre les deux bouts sous l’influence de l’inflation, les propositions politiques se sont concentrées sur des mesures sparadrap

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Alors que la thématique du pouvoir d’achat s’est révélée centrale dans le cycle électoral 2022 et que de plus en plus de Français disent avoir de la peine à joindre les deux bouts sous l’influence de l’inflation, très peu de propositions se sont focalisées sur le logement. N’est-il pas, pourtant, un facteur déterminant du pouvoir d’achat des Français ?

Philippe Crevel : Le logement est en France un problème chronique. Il accapare une part non négligeable du budget des ménages, en particulier pour ceux qui ne sont pas propriétaires (42% ne sont pas propriétaires de leur résidence principale). Beaucoup de ces non-propriétaires sont des jeunes actifs et quand ils ne bénéficient pas d’un logement social, la part de leur logement dans le budget peut déplacer 30% voire se rapprocher de 40%. Cela pose évidemment un problème en cas de rémunération faible. Et pourtant, effectivement, le sujet du logement n’a pas été au cœur de la campagne électorale. Il y a une certaine omerta sur le sujet et l’on s’en remet à des solutions qui ont échoué depuis des décennies : les aides aux logements ou le logement social, qui ne peut évidemment pas résoudre seul la crise du logement.

Marc de Basquiat : En tant qu’économiste, j’ai du mal à voir la problématique du logement comme un enjeu de « pouvoir d’achat », comme s’il suffisait d’augmenter les salaires ou distribuer des aides au logement pour tout résoudre. Si les prix sont élevés – à certains endroits – c’est que des acheteurs sont prêts à débourser un pognon de dingue pour acheter ou louer l’appartement ou la maison répondant à leurs besoins et aspirations. S’il y avait moins de riches (je plaisante !) en concurrence pour acheter, les prix baisseraient. C’est la rareté de biens immobiliers particulièrement appréciés – pour la proximité des jobs, de transports efficaces, de bonnes écoles, de commerces, de parcs, de sécurité… – qui attire les acheteurs et les invite à s’endetter avec confiance, dans la quasi-certitude de plus-values à la revente. 

Payer son logement (acquisition ou location), c’est bien autre chose que remplir son caddie au supermarché ou payer son forfait téléphonique. Dans notre société de consommation, la plupart des produits sont disponibles rapidement et en quantité quasi infinie (sauf épisodes particuliers comme la guerre en Ukraine), alors que créer des logements nécessite d’investir sur longue période et faire évoluer le parc selon les besoins de la population. 

Il me semble donc préférable de ne pas mélanger les politiques publiques. Il s’agit, d’une part, d’assurer que chacun soit logé de façon adaptée, d’autre part, de vérifier que chacun a de quoi soutenir sa consommation. Dans tous les cas, le marché vient différencier les capacités de chacun, en lien avec ses préférences individuelles. Mais l’idée que l’Etat devrait distribuer plus d’argent aux ménages pour qu’ils puissent se loger est une aberration. 

Il semble y avoir une spécificité française dans la part que représente le logement dans le budget des ménages, en régulière augmentation, qui le place parmi les champions européens en la matière. Qu’est-ce qui explique cette spécificité française ? Cela nous donne-t-il des pistes pour essayer de remédier à cette situation ? 

Marc de Basquiat : On peut regarder la question de façon toute mécanique, des deux côtés : l’offre et la demande. 

L’insuffisance de l’offre de logement, tant à l’achat qu’à la location – sur certains territoires – explique que les ménages font face à la nécessité de consacrer une plus grande part de leur budget pour se mettre un toit sur la tête. L’évidence consiste à multiplier l’offre. Plusieurs démarches sont déployées dans ce sens, mais il me parait utile d’y ajouter une notion de philosophie politique essentielle : la détention immobilière devrait donner lieu à une forme de redevance publique, une sorte d’impôt sur le capital immobilier (ICI) qui incite les propriétaires à ne pas conserver des biens sous-utilisés. 

Le volet « demande » commence avec l’arbitrage réalisé par chacun dans l’utilisation de son budget – mieux consommer, investir dans l’économie, épargner, voyager, se loger… – qui semble privilégier particulièrement le logement en France, en particulier au détriment de l’investissement dans l’économie. La part de propriétaires est plus élevée en France qu’en Allemagne, Suisse ou Suède, où la location est souvent préférée. La solution consiste à inciter paisiblement les acheteurs à se détourner de leurs projets en renforçant la pertinence économique de la location. Ce deuxième volet comprend pour la France une autre mesure fiscale d’ampleur : mettre un terme à la fiscalisation des revenus locatifs. 

Philippe Crevel :Le problème du logement n’est pas exclusivement français, tous les pays européens ont connu une hausse du prix ces 20 dernières années. Il est vrai que la France fait plutôt partie des pays ayant connu une hausse soutenue depuis 1995. Les prix à l’achat ont été multipliés par trois (contre 2,5 au niveau européen). Si le problème est un peu plus prononcé en France c’est que la population continue d’augmenter et que la répartition de sa population s’est fortement modifiée pour se concentrer sur et autour de grandes agglomérations (Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, etc.). Cela a accentué la hausse de l’immobilier et crée un véritable problème de pouvoir d’achat.  Le prix du logement est également dû à une insuffisance de l’offre. Le nombre de constructions par an (350 000 – 380 000) est inférieur à ce que l’on estime nécessaire, environ 500 000.

Comment est-il possible de s’attaquer véritablement à la question du logement avec comme objectif de favoriser le pouvoir d’achat des ménages ?

Philippe Crevel : La France dépense plus en aide publique pour le logement que les autres pays européens. Elles représentent 40 milliards d’euros en France. La Cour des comptes a indiqué plusieurs fois que ces aides avaient plutôt contribué à la hausse des prix. Les mesures qui sont efficaces sont celles qui jouent sur l’offre. L’interventionnisme de l’Etat en France n’a aucunement permis de résoudre le problème du logement. Il faudrait plutôt libéraliser la politique du logement en mettant l’accent sur la construction. Cela pose la question du foncier disponible ; Or, avec les normes environnementales on voit fortement les possibilités foncières dans une commune diminue, le prix du mètre carré est plus cher. Deuxièmement, le secteur de la construction demeure artisanal. Il est constitué de TPE PME et d’un système qui n’est pas forcément rationalisé, ce qui augmente les coûts. Aujourd’hui, il faudrait jouer sur les prix de construction et sur l’offre et non une politique d’aide publique qui in fine augmente les prix de l’immobilier.

Marc de Basquiat : En assimilant le logement à une question de pouvoir d’achat, on passe totalement à côté du sujet. Les subsides distribués pour renforcer l’offre ou la demande ne peuvent qu’aboutir à enrichir les propriétaires. Une approche radicalement différente doit être développée, en incitant fiscalement les ménages à n’investir dans l’immobilier qu’en vue d’un projet économiquement sensé, et en éliminant tous les obstacles à la fluidité des locataires comme des propriétaires. 

Depuis des années, la politique du logement est positionnée dans le champ social, ou du développement durable, ou de l’incitation fiscale à la petite semaine. Tout ceci est respectable, mais il manque une vision large : la gestion efficace d’un marché du logement où chaque acteur doit être incité à agir dans le sens de la sobriété, du partage et de l’investissement pour les générations à venir.

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