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Pourrait-il y avoir un rapprochement entre une partie du FN et la France insoumise ?
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Dérive des continents

Le journaliste François Ruffin a remporté la 1re circonscription de la Somme en unissant la gauche et les écologistes et en pillant les voix du Front national.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Selon le Courrier Picard, François Ruffin a décroché son siège de député dans la Somme en bénéficiant d'un report de voix d'électeurs FN à hauteur de 63%. Dans quelle mesure les électeurs du Front national du "nord" sont ils proches des idées proposées par la France Insoumise ? Quel est le niveau de porosité de cet électorat et peut-il s'agir d'une tendance durable ? 

Jean-Philippe Moinet : Dans certaines terres, notamment celles qui ont été les plus touchées par la désindustralisation, par les crises économiques et sociales, on a vu depuis longtemps la porosité des électorats entre le mouvement d'extrême droite et les mouvements d'ultra-gauche. Dans la région Hauts-de-France, là où le PC était encore florissant dans les années 80 et où un PS traditionnel et populaire avait encore récemment ses plus solides bastions, on a vu des basculements s'opérer vers ce que le politologue Pascal Perrineau a appelé "le gaucho-lepénisme".

Dans cette région, aujourd'hui présidée par une figure du mouvement Les Républicains, Xavier Bertrand, on voit clairement s'opérer une concurrence des extrêmes, une bataille des protestataires radicaux, et une tentative de l'ultra-gauche mélenchoniste de reprendre la main sur un électorat qui était parti vers le parti lepéniste. FN - FI même combat, parfois fratricide ! Ici ou là, comme dans la circonscription de François Ruffin, FI arrive à siphonner les voix lepénistes.

Si cette porosité existe entre FN et FI, c'est bien qu'il y a des similitudes entre les deux mouvements. Similitude dans les postures, ultra-protestataires, qui exploitent toutes les crises, sociales en particulier, pour en faire un fonds de commerce qui fonctionne bien en période de difficultés et de doute de la France dans la mondialisation. Souvenons-nous qu'au 1er tour de l'élection présidentielle, l'addition des voix de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et de l'extrême gauche dépassait largement 40 % des suffrages. Notons que ces forces cherchent et chercheront à radicaliser le débat pour mettre en cause le pouvoir. Au soir du deuxième tour des législatives, il était révélateur de voir que, sous prétexte d'une très forte abstention, des dirigeants de ces deux mouvements se rejoignaient aussi pour mettre en cause "la légitimité" de la majorité LRM. Un discours dangereux, qui laisse entendre que les élections n'ont qu'une valeur relative, alors qu'elles sont le socle de la démocratie.

La similitude FI - FN se retrouve dans un nationalisme idéologique masqué par le "patriotisme", la posture anti-européenne, la virulence d'un discours anti-capitaliste et "alter-mondialiste" qui trouve un large écho, notamment dans les catégories populaires ou chez une partie des jeunes, qui sont sensibles aux logiques du "contre-modèle", aux attraits d'une "contre-culture". La similitude FI - FN fait écho à la fonction tribunicienne de l'antique PC, on se retrouve dans la force du tribun, des effets oratoires, des raccourcis péremptoires, et le culte du chef. Au FN et à FI, c'est le "leader charismatique" qui compte, l'idée d'alliance, de courants, d'ouverture à d'autres ne rentre pas dans le logiciel de ces mouvements. On l'a vu dans les difficultés de la relation de FI avec le PCF et de la relation du FN avec le micro-parti de Dupont-Aignan.

La porosité des deux électorats est bien sûr variable selon les zones électorales. Mais oui, ce sera une tendance durable dans les terres, comme dans le Nord  ou dans l'Est, qui ont connu les restructurations industrielles et des transformations rapides, parfois douloureusement vécues par les populations, qui voient "le monde d'avant" s'effondrer sans percevoir les atouts du monde qui vient.  

Alors que Florian Philippot a débuté sa carrière politique en tant que "chevènementiste" pour en arriver au Front national, en quoi la ligne Philippot s'oppose-t-elle réellement à celle défendue par la France Insoumise ? l'écart entre les deux lignes n'est elle pas plus réduite qu'il n'y paraît ? 

Le marqueur "social" de la ligne Philippot, mais aussi de Marine Le Pen elle-même dans le Pas-de-Calais, n'est bien sûr qu'un affichage, mais l'affichage marche, en terme de marketing politique, aux populations concernées. La concurrence avec le discours de la France Insoumise est certaine même si le FN ajoute systématiquement un autre thème et un clivage déterminant et plus marqué idéologiquement qu'à FI, clivage qui cherche à opposer en tous domaines Français et étrangers. La figure du "migrant" est à l'extrême droite historiquement et systématiquement présentée comme une "menace" pour les Français : le FN de Marine Le Pen a ainsi surfé sur les peurs, liées aux attentats terroristes, utilisant une série d'amalgames habituels entre migrants et musulmans, entre musulmans et intégristes, entre intégristes et terroristes... Jean-Luc Mélenchon et ses partisans n'ont pas versé dans cette logique, ils ont même été accusés de l'inverse, de flatter le communautarisme, de favoriser le différentialisme et le relativisme culturel. Même si JL Mélenchon, sur le sujet des travailleurs détachés européens, a parfois participé à la montée d'un discours anxiogène et xénophobe.

On imagine mal la France Insoumise accepter des cadres du Front national, ou ces mêmes cadres rejoindre la France Insoumise. Cependant, au delà des questions de personnes, la ligne Philippot n'est elle pas une ligne politique plus proche de la France Insoumise que de celle défendue par le Front national "canal historique" ?

La ligne Philippot est sans doute plus proche de la France Insoumise que la ligne "canal historique" de Jean-Marie Le Pen et de celle des dîts "identitaires", qui fondent leur démarche sur une lecture et un clivage racialiste (les origines des personnes) ou culturel (les religions). Mais la ligne de Marine Le Pen, dans le Nord Pas-de-Calais en particulier, est bien elle-même, sur des thèses qui voisinent, pour partie, avec celles de Jean-Luc Mélenchon, et vice versa. Leur souhait commun d'incarner une ligne social-protestataire radicale n'a pas fini d'être en concurrence frontale.

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