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Polémique de la fournée : une "faute politique" de Jean-Marie Le Pen, oui mais laquelle ?
©Reuters

Controverse

Marine Le Pen estime que les sorties controversées de son père mettent en danger la stratégie de dédiabolisation entamée depuis qu'elle est présidente du parti. Et si la vraie faute de Jean-Marie Le Pen était de ne pas avoir compris que le logiciel du FN avait changé ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Marine Le Pen a évoqué "une faute politique" de son père, suggérant que ses propos portent atteinte à la stratégie de dédiabolisation du parti qu’elle a entamée. En réalité, la vraie faute politique de Jean-Marie Le Pen, ne serait-elle pas de ne pas avoir réalisé que "l'ennemi fantasmé" du Front national a changé ?

Vincent Tournier : En effet, l’antisémitisme a longtemps été le logiciel de l’extrême-droite française. Mais les choses ont évolué pour deux raisons. D’abord parce que l’antisémitisme a fortement baissé dans l’opinion publique, au point de devenir relativement résiduel. Ensuite et surtout parce que l’antisémitisme a changé de camp puisque sa source principale se situe désormais dans le monde arabo-musulman où l’on voit se développer une rhétorique de haine massive depuis une quinzaine d’années. Pour donner des ordres de grandeur, les dernières enquêtes réalisées par l’Anti-DefamationLeague indiquent que l’adhésion aux préjugés antisémites s’élève à 37% en France mais à 80% au Maroc, 86% en Tunisie et 87% en Algérie. En France, on a assisté à une hausse spectaculaire des violences antisémites depuis les années 2000. Mais désormais, les auteurs de violence ne proviennent plus de l’extrême-droite, mais ils sont majoritairement issus de l’immigration arabo-musulmane. Le dernier attentat de Bruxelles n’en est que la dernière manifestation. 

Donc, si l’on se situe sur le terrain de la dangerosité, cette menace est autrement plus sérieuse que les calembours douteux de Jean-Marie Le Pen. Cette situation traumatise la communauté juive. D’ailleurs, on voit bien aujourd’hui que celle-ci commence à se demander si l’extrême-droite française est toujours son ennemi principal. Je pense que le tournant opéré par Marine Le Pen par rapport au FN historique trouve une partie de son origine dans ce renouvellement de l’antisémitisme. Il existe manifestement un électorat inquiet que le nouveau FN veut séduire. Cette stratégie peut être doublement payante : d’une part, elle permet de "dédiaboliser" le parti en lui retirant son côté scabreux issu de son tropisme antisémite, d’autre part elle lui permetde s’attirer la sympathie d’une communauté qui dispose elle-même de forts relais dans la société civile, en raison notamment du poids du génocide des juifs.

Quelle part de l’électorat frontiste peut se sentir gênée par ces propos ? Cette sortie peut-elle avoir un impact négatif sur le FN dans les sondages ?

Il est difficile de se prononcer sur les rapports de force interne. La seule base sur laquelle on peut s’appuyer est le vote du congrès de Tours en janvier 2011, au cours duquel s’est décidée la succession de Jean-Marie Le Pen. Sa fille a recueilli 68% des suffrages, contre 32% pour son rival Bruno Gollnish. Donc, globalement, le rapport de force est de l’ordre de deux tiers contre un tiers. Toutefois, ce clivage n’est pas très clair car Marine Le Pen a certainement récupéré une grande partie des soutiens de son père. De plus, il est difficile de dire où on en est aujourd’hui. En trois ans, le camp des marinistes s’est probablement renforcé : d’abord parce que les fidèles de Jean-Marie Le Pen ont pu quitter le parti ; ensuite parce que les nouveaux adhérents sont davantage sur la ligne de la fille que sur celle du père. La polémique sur la "fournée" peut alors contribuer à accélérer ce rééquilibrage, mais elle peut aussi donner un nouveau souffle aux militants traditionnels, lesquels risquent d’être énervés par les attaques contre leur leader historique.   

Concernant l’impact de la polémique, on peut aussi se demander si une victime collatérale ne va pas être le système médiatique lui-même. Les médias n’en font-ils pas trop ? La volonté de renvoyer le FN à ses démons d’origine ne se trouve-t-elle pas en décalage par rapport aux nouvelles orientations du FN ? Marine Le Pen joue sans doute sur ce point : face à des médias ou des intellectuels qui tentent de la renvoyer à une sorte d’identité immuable ("vous voyez  bien que rien n’a changé"), elle cherche au contraire des occasions pour démontrer que tout a changé, qu’elle est désormais à la pointe de la condamnation morale contre les vieux démons du FN, n’hésitant pas à s’en prendre à son père lui-même. Au fond, elle ne pouvait rêver mieux pour conforter sa stratégie de banalisation. C’est d’ailleurs pourquoi il faut aussi relier cette polémique à ce qui se passe à l’UMP. En officialisant la mue du FN, Marine Le Pen va perturber les tactiques de l’UMP en renforçant le camp de ceux qui envisagent un rapprochement. Ces derniers vont pouvoir dire que le FN n’est définitivement plus le même. En somme, Marine Le Pen accepte de livrer la tête de son père comme un gage de bonne foi.  Il faudra donc suivre dans les mois prochains les répercussions sur l’UMP.

Tous les dirigeants frontistes ont rapidement et fermement condamné la sortie de Jean-Marie Le Pen. Comment peut-on analyser ces réactions ? 

Les condamnations semblent bien coordonnées, ce qui donne le sentiment qu’il y a effectivement une stratégie organisée ou, du moins, une réaction concertée face à une occasion qui était attendue. Les dirigeants frontistes semblent unanimes pour soutenir la ligne de Marine Le Pen. Est-ce vraiment le cas ? Il est possible que les opposants à Marine Le Pen préfèrent rester silencieux pour le moment. Ils ne veulent pas prendre le risque d’intervenir dans l’espace médiatique où ils savent qu’ils vont être pilonnés par la machine médiatique. Ils interviendront dont plutôt dans les débats internes.

Cela dit, les jeux ne sont pasencore faits. Marine Le Pen a pris de l’avance avec les élections européennes. Elle tente maintenant d’avancer ses pions. Mais cette bonne situation ne lui garantit pas encore sa place pour la présidentielle de 2017. Elle doit donc encore conforter ses positions, notamment en écartant la vieille garde frontiste. L’enjeu à court terme concerne la préparation des régionales : c’est là que vont se révéler les rivalités internes. Le but des marinistes, c’est maintenant de placer les amis, de contrôler les listes et, au-delà, de dominer les fédérations départementales. C’est à cette condition que Marine Le Pen pourra s’imposer comme le chef naturel du FN en 2017, statut qu’elle n’a pas encore complètement acquis. Dans les rapports de force interne, les choses peuvent encore bouger. On peut penser que beaucoup d’adhérents vont rester fidèles à Jean-Marie Le Pen, auquel ils vouent un véritable culte. Peut-être même vont-ils être agacés de voir que la propre fille du chef est passée de l’autre côté de la barrière en devenant à son tour la porte-parole du système politico-médiatique. Des clashes internes risquent donc d’avoir lieu.

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