« Navy blue » de Oona Doherty : puissance et vulnérabilité du bleu marine. Un ballet bouleversant à voir en priorité<!-- --> | Atlantico.fr
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« Navy blue » de Oona Doherty est à découvrir au Palais National de la danse Chaillot.
« Navy blue » de Oona Doherty est à découvrir au Palais National de la danse Chaillot.
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« Navy blue » de Oona Doherty est à découvrir au Palais National de la danse Chaillot.

Callysta Croizer pour Culture-Tops

Callysta Croizer pour Culture-Tops

Callysta Croizer est chroniqueuse pour Culture-Tops. Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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« Navy blue » 

De Oona Doherty, en collaboration avec les danseurs.

Musique : Sergueï Rachmaninov, Jamie xx.

Texte : Oona Doherty, Bush Moukarzel

Durée : 1h05 sans entracte

Avec Amancio Gonzalez Miñon, Andréa Moufounda, Arno Brys, Louise Gourvelec, Hilde Ingeborg Sandvold, Joseph Simon, Mathilde Roussin, Ryan O’Neill, Sati Veyrunes, Thibaut Eiferman, Tomer Pistiner, Zoé Lecorgne, Magdalena Öttl

INFOS & RÉSERVATION

Chaillot – Théâtre National de la danse

1 place du Trocadéro

75116 PARIS

01 53 65 30 00

http://www.theatre-chaillot.fr

Du 7 au 18 septembre 2022, puis en tournée jusqu’au 26 novembre.

Notre recommantion : EXCELLENT 

THÈME

Dernière création de la chorégraphe irlandaise Oona Doherty, Navy Blue embarque douze danseurs, hommes et femmes vêtus d’uniformes bleu marine, dans ce qui ressemble d’abord à un ballet néoclassique. Mais très vite, la danse vire au drame. Les silhouettes sombrent dans une atmosphère violente, tiraillées entre solipsisme et rébellion. Tourbillon puissant mais fragile, Navy Blue interroge ce qui reste d’humanité dans notre monde brutal et impitoyable.

POINTS FORTS

Plongée dans le noir, la scène s’éclaire d’un coup et révèle douze danseurs en uniformes de travailleurs bleu marine, alignés devant un sol blanc et lisse. Le groupe s’engage dans une chorégraphie qui reprend des pas de danse classique sur le Concerto n°2 en Do mineur de Sergueï Rachmaninov. Mais les corps ne sont pas à l'aise : les pirouettes sont déséquilibrées, les arabesques maladroites et les danseurs reviennent naturellement à un mouvement plus libre, brut, authentique. Ils parcourent l’espace tantôt comme une nuée d’oiseaux qui se protègent mutuellement, tantôt comme un bataillon de soldats au regard fier et aux épaules droites. Soudain, cette solidarité s’écroule, impuissante, face à la violence qui vient la meurtrir de l'intérieur : un par un, les danseurs tombent à terre, au son d'un coup de feu qui déchire l'atmosphère. De leurs corps gisants s'écoule alors une tâche de lumière bleue (image vidéo projetée depuis le haut de la scène), qui grandit, au point de rejoindre celle du corps voisin et jusqu'à former une mer d'encre sur tout le plateau. Spectacle de la vulnérabilité, cette scène de carnage et de désolation dégage une émotion profondément troublante. 

Dans une deuxième partie, les danseurs font corps et unissent leur voix derrière celle d’Oona Doherty pour interpeller (en anglais) ceux qui sont venus à leur rencontre. L'espace, la gravité, l’univers, le néant… Le discours, écrit par la chorégraphe irlandaise et Bush Moukarzel, interroge l'absurdité d’un monde où se meuvent des points bleus et roses, préoccupés de choses insignifiantes (le confort, le succès, l’argent). Plusieurs fois, la voix invite à prendre acte de la présence des corps dans cet abysse vertigineux : « Look again […]. Look again at that dancer » (« Regardez encore […]. Regardez encore cette danseuse »), lance-t-elle, tandis que les danseurs s’alignent à nouveau, puis replongent dans leur état de transe. Chacun se laisse aller à une gestuelle fluide et lente, où les visages, d’une expressivité frappante, se déforment en des cris étouffés, des sourires déments et des grimaces douloureuses. Mots et danse se font écho et s’embarquent dans un crescendo vibrant qui culmine avec un ultime tableau. 

A mesure que la lumière baisse et plonge la scène dans l’obscurité quasi-totale, les danseurs se dispersent vers le fond du plateau. Arrachant leurs chemises, ils se lancent dans une course effrénée, entrant et sortant des coulisses, poitrine à découvert, tels des atomes projetés au hasard dans le vide. Les mouvements semblent incontrôlables, comme animés par un désir irrépressible de vie, malgré tout. A la fin, il ne reste plus qu’un homme, qui s’abandonne à un solo survolté, transporté par les basses assourdissantes de la musique de Jamie XX, dont les vibrations se font ressentir jusque dans les gradins. Son déchaînement, d’une beauté à la fois sauvage et tragique, semble interminable. Ce n’est que lorsqu’il frôle l’épuisement que les onze autres corps reviennent sur scène, les bras grands ouverts pour se serrer contre lui, dans un élan d’humanité poignant.

QUELQUES RÉSERVES

Aucune.

ENCORE UN MOT...

Avec Navy Blue, Oona Doherty signe une pièce authentique, à la fois humble et engagée, source d’émotion pure. Un ballet bouleversant à voir en priorité.

UNE PHRASE

« Dans la nuit bleue la plus profonde et sombre. Une peur bleu marine. Le reflet le plus honnête et maléfique de ce que fait vraiment votre existence. En ce moment même. A chaque instant, tandis que vous intellectualisez la beauté. 

Tandis que vous attendez les dernières infos de Boris Johnson, vous décrochez en regardant ses cheveux. Bouche bée devant la religieuse au milieu de la route qui met fin à la bagarre. En pleurs devant black lives matter. Déprimé dans un paradis laiteux. Des t-shirts hagards bras ouverts qui tombent au fond de l’abysse bleue et sombre.

A travers le temps et l’espace, le regret et le privilège, le déni et la danse.

Voilà. C’est tout. » - Extrait du texte de Navy Blue, Oona Doherty et Bush Moukarzel, traduit de l’anglais par Jean-Charles Ladurelle.

L'AUTEUR

Née en 1986 dans une famille d’origine nord-irlandaise, Oona Doherty commence par se former à la London School of Contemporary Dance, à l’Université d’Ulster et au LABAN Conservatoire de Londres. Elle choisit alors la danse-théâtre comme terrain de jeu chorégraphique et collabore depuis 2010 avec plusieurs compagnies internationales, telles que TRASH (Pays-Bas), Abattoir Fermé (Belgique), Veronika Riz (Italie) ou encore Emma Martin/United Fall (Irlande). Ses créations lui valent de nombreuses récompenses : le solo Hope Hunt (2015) remporte la 1ère place du Jury et du Public au concours Reconnaissance Grenoble (2017) ; la même année, Oona Doherty fait partie des 10 meilleurs artistes irlandais sélectionnés par le magazine Irish Times ; en 2019, la pièce de groupe avec Hard to be Soft – A Belfast Prayer est élue meilleur spectacle de danse britannique par le journal The Guardian. En France, Oona Doherty est artiste associée à la Maison de la Danse de Lyon (2017-2018) et à la Briqueterie de Vitry-sur-Seine (2017-2019). Son travail de création est mis en avant lors des rencontres chorégraphiques de Seine Saint Denis (2019) et grâce à sa collaboration avec (La) Horde, le collectif du Ballet National de Marseille (2021). Cette année, la chorégraphe crée Navy Blue, une pièce pour 12 danseurs présentée fin septembre au Palais de Chaillot, puis en novembre à Aix-en-Provence, Grenoble et Le Havre.

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