Migrations : vers une année 2023 de tous les records dans le monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
En ce qui concerne les migrations, Frontex a enregistré 330 000 passages irréguliers en 2022, soit une augmentation de plus de 64% par rapport à 2021.
En ce qui concerne les migrations, Frontex a enregistré 330 000 passages irréguliers en 2022, soit une augmentation de plus de 64% par rapport à 2021.
©Giovanni ISOLINO / AFP

Flux migratoires

Les migrations, tous motifs confondus (légale et illégale), sont observées partout à travers le monde.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

Voir la bio »

Atlantico : The Economist souligne que « l'année dernière, 1,2 million de personnes se sont installées en Grande-Bretagne, ce qui est certainement le chiffre le plus élevé jamais atteint. La migration nette (c'est-à-dire les immigrants moins les émigrants) vers l'Australie a doublé par rapport au taux d'avant le covid-19. En Espagne, le chiffre équivalent a récemment atteint un niveau record. Près de 1,4 million de personnes devraient s'installer en Amérique cette année, soit un tiers de plus qu'avant la pandémie. En 2022, la migration nette vers le Canada a plus que doublé par rapport au record précédent et, en Allemagne, elle a été encore plus élevée que lors de la "crise migratoire" de 2015. » Comment expliquer ces chiffres records ?  Quelle est l'ampleur la nouvelle vague d'immigration ?

Jean-Paul Gourévitch : Il y a ici un effet de loupe. The Economist mêle migrants et solde migratoire alors qu'il souligne lui-même qu'il y a plus de gens qui quittent l'Australie que de gens qui y arrivent, ne différencie pas migrants réguliers et migrants irréguliers, ne tient pas compte du rattrapage dû aux années Covid et précompte la totalité des Ukrainiens parmi les personnes qui s'installent dans des pays d'accueil alors que certains repartiront dans leur pays. Ceci posé il est exact qu'avec un marché de l'emploi plus ouvert et fluide puisque le chômage est à très bas niveau dans les pays du Nord, et un déficit de main d’œuvre qualifiée, les opportunités d'accéder rapidement à un travail intéressant  attirent les candidats à la migration économique  d'autant plus que la fragilité des monnaies de certains  pays tiers  pousse leurs ressortissants  à migrer vers des pays où les salaires sont à la fois plus hauts et mieux consolidés. J'ajouterai que l'importance des migrations étudiantes dans certains pays comme la Grande-Bretagne, le Canada ou la France et le lobbying fait par ces pays pour bénéficier des capacités  futures de ces étudiants tente ceux qui ont compris que pour réussir une migration il faut pouvoir vendre non seulement sa force de travail mais ses compétences qu'on peut difficilement développer dans leurs pays d'origine où les systèmes éducatifs sont exsangues, inefficaces ou inadaptés.  

Il est exact de constater un lien entre baisse du chômage, augmentation de l'emploi et plus grande fluidité sur le marché du travail et l'immigration de travail. La population manquante est compensée par cette immigration de travail, ce qui est une donnée économique importante. L'article met en évidence des aspects originaux, notamment la dépréciation de certaines monnaies de pays tiers, comme l'Inde, qui se dirigent vers des pays ayant une monnaie forte.

Que nous disent les chiffres européens ?

En prenant en compte les migrations légales dans l'Union européenne stricto sensu, il y a eu environ 3 000 000 d'entrées légales en 2022, ce qui correspond approximativement aux chiffres d'avant la pandémie. En ce qui concerne les migrations, Frontex a enregistré 330 000 passages irréguliers en 2022, soit une augmentation de plus de 64% par rapport à 2021. Cela concerne toutes les routes, mais principalement la route des Balkans et la route de la Méditerranée orientale. En ce qui concerne les pays de l'Union européenne, auxquels nous pouvons ajouter la Norvège et la Suisse, ils ont enregistré 966 000 demandes d'asile, soit une augmentation de 50% par rapport à l'année précédente. Sur ces 966 000 demandes, 500 000 ont été rejetées, mais seulement 150 000 personnes sont reparties. Cela signifie qu'il y a un solde migratoire de plus de 800 000 personnes irrégulières. Certaines de ces migrations irrégulières seront régularisées. Et cela devient encore plus intéressant lorsque l'on examine les détails, car si l'on regarde, par exemple, la France, nous avons eu, en 2022, 1 700 000 visas, soit plus que les 733 000 de 2021, mais moins que les 3,5 millions de 2019.

 Il est également intéressant de noter que malgré les discours du président, les visas d'Algérie n'ont pas fondamentalement diminué. Cependant, il y a quelque chose de vraiment intéressant à souligner. Si l'on examine les premiers titres de séjour et leur répartition, nous avons accordé 320 000 premiers titres de séjour en 2022. C'est là que l'écart entre les titres de séjour étudiants et les titres de séjour familiaux se creuse. Les titres de séjour étudiants sont plus nombreux, avec 108 000 contre 91 000 titres de séjour familiaux. La catégorie des motifs professionnels ou sociaux arrive loin derrière avec 53 000, et la catégorie humanitaire, toutes catégories confondues, est encore plus basse avec 41 000. Donc, vous voyez, cet article amalgame différentes réalités, ce qui amplifie médiatiquement la situation réelle de l'émigration.

Mais il y a bien une augmentation qui n’est pas uniquement due au rattrapage de la crise COVID ?

C'est vrai, je reprends l'exemple des chiffres en France. Il y a eu 1,7 millions en 2022, mais il y en avait 3,5 millions en 2019, donc il y a eu une forte augmentation par rapport à 2020 ou 2021. Cependant, cette augmentation n'est pas significative par rapport à 2019 et elle n'est pas non plus significative globalement en Europe. Nous sommes revenus aux niveaux d'avant la pandémie en ce qui concerne les migrations régulières, et presque aussi en ce qui concerne les migrations irrégulières. Si l'on exclut les années 2015 et 2016. 

Quels sont les indices d’un phénomène plus profond ?

Alors, vous savez, je suis très prudent en ce qui concerne les prévisions à long terme. Je me méfie des prévisions des futurologues, car ils se sont souvent trompés par le passé. C'est évident lorsque l'on regarde rétrospectivement. Bien sûr, il est vrai qu'il y a une baisse structurelle du chômage dans les pays riches, ce qui entraîne un marché du travail plus fluide. Le vieillissement de la population native dans ces pays crée également la nécessité d'une immigration de travail importante pour combler les lacunes et peut-être aussi contribuer au financement des retraites. De plus, la situation internationale, tant sur le plan économique que géopolitique, est un facteur d'augmentation des migrations à court terme.

Cependant, je constate également que les politiques populistes de restriction de l'immigration, telles que celles formulées par la Hongrie, la Grande-Bretagne et d'autres, ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Plus de migrants signifie plus de familles de migrants, plus d'enfants de migrants, plus de demandes sociales et un risque accru de conflit avec la population des pays d'accueil.

On a le sentiment que les migrations, tous motifs confondus (légale et illégale), sont observées partout à travers le monde. Pour des motifs différents, le monde est-il particulièrement mobile en ce moment ?

C'est en grande partie exact. Les incertitudes géopolitiques, les pandémies, l'absence de décollage de certains pays africains, le mirage de l'Eldorado des pays du Nord, l'omniprésence de la mondialisation des messages, des biens et des personnes ne peuvent qu'amplifier le désir de quitter l'"ici" pour  réussir "ailleurs". 

Quel impact cela a sur les pays d'accueil ?

Cela varie d'un pays à l'autre, et cela dépend également de la relation géographique entre les résidents du pays d'accueil et les nouveaux arrivants. Lorsque ces nouveaux arrivants sont peu nombreux et qu'il y a des emplois et des logements disponibles pour eux, leur insertion se fait mieux. Cependant, lorsque les migrants sont en très grand nombre et que leurs coutumes, leur religion et leur mode de vie diffèrent considérablement de ceux de la population des pays d'accueil, il peut y avoir des difficultés d'insertion. Cela peut conduire à des tensions et à un sentiment de remplacement chez certains membres de la population locale. Il s'agit d'un problème classique lié à l'insertion des migrants.

Il est important de noter que nous ne sommes pas au point de dire que le "grand remplacement" se produira demain matin, ni même dans 5 ou 10 ans, que ce soit en termes quantitatifs, qualitatifs ou sociétaux.

Quelles sont les conséquences économiques ?

Prenons l'exemple donné dans l'article, qui est caractéristique des régions comme le Labrador Terre-Neuve, où il existe un marché largement ouvert et un espace très vaste. Cependant, ce n'est pas exactement le cas des pays occidentaux, où les possibilités d'emploi, même si elles sont plus nombreuses qu'auparavant, restent limitées. Surtout en ce qui concerne le logement, les opportunités sont extrêmement restreintes. L'article néglige un peu ces problèmes de logement, qui sont véritablement fondamentaux en Europe. Comme vous l'avez constaté, nous ne parvenons pas à fournir des logements décents, que ce soit pour les migrants en situation légale ou régulière. Et nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. En Belgique, la situation n'est pas particulièrement meilleure, et bien que l'Allemagne bénéficie d'une situation économique légèrement plus favorable, notamment en raison de son positionnement géographique, permettant aux migrants de s'installer à Francfort, Munich, Berlin, et autres grandes villes, nous sommes beaucoup plus limités de ce côté-là. Ainsi, la concentration de migrants chez nous est plus élevée que dans d'autres pays.

Lorsque la présidence cherche à transférer les migrants vers d'autres destinations, où certains maires ont choisi d'accueillir ces populations et d'autres non, cela pose toute une série de problèmes dans les zones rurales, les petites villes et les villes de taille moyenne. Il est important de prendre en compte cette diversité de situations à l'échelle de l'Union européenne, plutôt que de considérer une loi générale s'appliquant à l'ensemble du territoire.

Il existe effectivement des secteurs où les besoins de recrutement sont présents. Il y a un marché du travail disponible ainsi que des opportunités de formation importantes. À la fois l'État, les entreprises et parfois même les autorités territoriales encouragent l'arrivée d'un certain nombre de migrants pour combler les déficits d'emploi. Cependant, il est également connu qu'une fois qu'ils s'installent, il peut y avoir des tensions, des frictions au sein des familles, ainsi qu'une augmentation de la demande sociale et des difficultés qui en découlent.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !