Mgr Matthieu Rougé : ce trésor spirituel que la France perd en perdant le christianisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Religion
Mgr Matthieu Rougé : ce trésor spirituel que la France perd en perdant le christianisme
©LUDOVIC MARIN / AFP

Il n’y a pas que l’identité

"Si l’Eglise, à tous les niveaux également, ne vit pas sans tarder un véritable sursaut spirituel et moral, elle sera infidèle au Seigneur et condamnée à une marginalisation croissante et méritée."

Matthieu Rougé

Matthieu Rougé

Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, est membre du Conseil Permanent de la Conférence des Evêque de France. Il a publié Un sursaut d’espérance. Réflexions spirituelles pour le monde qui vient aux Editions de l’Observatoire en novembre 2020.

 

Voir la bio »

Atlantico : L'incendie dramatique de Notre-Dame a profondément marqué les Français. Si la cathédrale est évidemment un élément essentiel de notre histoire commune et donc de notre culture, c'est aussi une part plus spirituelle de ce qu'est la France qui brûlait pour nombre d'entre eux, chrétiens ou non, comme le montraient les témoignages des riverains ou les commentaires très majoritairement bienveillants sur les réseaux sociaux. Cette union "sacrée" autour d'un tel drame pose la question du sens qu'on donne à ce qui nous est commun. Qu'est-ce que le christianisme a à nous dire sur ce qui nous rassemble, nous Français, au-delà de l'évidence des racines chrétiennes ?

Mgr Matthieu Rougé : Vous évoquez deux « évidences » qui n’étaient pour le moins pas conscientes ou admises pour la majorité de nos concitoyens avant que le dramatique incendie de Notre-Dame ne les remette en valeur. Pourquoi Notre-Dame est-elle un lieu essentiel de notre histoire commune ? Parce qu’elle est le cœur de la capitale de notre pays hyper-centralisé, le cœur de son cœur. C’est le lieu des grands événements à la fois spirituels et civils qui scandent notre histoire, du couronnement de Napoléon aux Messes de Requiem pour les chefs d’Etat défunts en passant par le Magnificat de la Libération. Le fait que toutes les distances géographiques se calculent à partir de Notre-Dame en est le résumé symbolique. Quant à nos « racines chrétiennes », elles sont constamment discutées voire occultées. Même si elles ne sont pas exclusives, elles apparaissent par cet événement comme réellement décisives.

La société française - et une grande partie du monde - a été fortement touchée par la crise que connait l'Eglise depuis quelques décennies : crise théologique - comme l'affirmait récemment le pape émérite Benoit XVI - mais aussi crise cléricale, notamment du fait des scandales de pédophilie. Un sentiment d'incompréhension, voire de rejet a pu gagner le coeur de nombreux Français, parfois même de chrétiens. Alors que cette nouvelle épreuve que connait l'Eglise se trouve être une épreuve collective, qu'est-ce que le chrétien que vous êtes aimerait dire à ceux qui malgré les tensions souffrent avec vous dans cet instant ? L'Eglise n'insiste-t-elle pas particulièrement sur l'importance du pardon dans cette semaine décisive ? 

Il règne souvent, dans les médias et un certain « politiquement correct », un dénigrement a priori des catholiques, vécu comme particulièrement injuste et blessant par beaucoup. De ce point de vue, la bienveillance avec laquelle ont été considérés les jeunes en train de prier et de chanter devant le brasier de Notre-Dame a été appréciable. Par ailleurs, l’Eglise traverse un crise interne que nous avons à prendre très au sérieux en menant un vigoureux travail de vérité. J’ai comparé, durant la Messe chrismale de mon diocèse, la lutte de la vérité contre le mensonge et les abus à la guerre des pompiers et des lances à incendie contre les flammes dévastatrices. L’enjeu de cette réforme spirituelle n’est pas moindre que celui de l’extinction matérielle d’un incendie, aussi terrible soit-il.

Il est intéressant de voir à quel point les Français donnent du sens à Notre Dame, un sens esthétique, historique, culturel - au sens noble du terme, un sens identitaire. Cependant, si la cathédrale a subi de lourdes pertes et que c'est un triste jour pour les catholiques de France - c'est néanmoins peu de chose pour ce qu'est l'Eglise dans son sens chrétien. Alors que les chrétiens du monde entier sont entrés dans la Semaine Sainte, moment clé de la foi chrétienne, et que notre société semble toujours plus désorientée car en quête de sens, quels messages peut apporter à notre société l'Eglise catholique aux Français en recherche de vérité dans notre époque troublée par le relativisme ?

Le cœur de la foi chrétienne est ce que nous célébrons durant la Semaine Sainte : la victoire de l’amour du Christ sur la mort, le péché, la violence, la dureté, le refus de pardonner. Cette espérance fait que, même si les catholiques sont viscéralement attachés à Notre-Dame, lieu de tant de grands moments de joie et de foi, ils ne sont pas abattus. Ils sont même moins abattus que des esthètes agnostiques ou athées. Ils savent qu’avec le Christ et l’Evangile, l’espérance l’emporte toujours sur le désarroi et le désespoir. Ce message lumineux, les catholiques doivent sans cesse réapprendre à le partager par l’authenticité de leur témoignage de vie et un discours à la fois vigoureux, bienveillant et enthousiasmant.

Cette semaine sainte est aussi un moment décisif pour le chrétien qui retrouve le sens profond de sa foi, de ce qu'est pour lui l'amour qui par le sacrifice du Christ terrasse le mal. Quelle place ont ces mots d'amour et de mal pour le chrétien dans cette période particulière ?

Cette Semaine Sainte est, pour plus de 4000 adultes dans notre pays, le moment de leur baptême, de leur confirmation et de leur première communion (près de 200 dans mon diocèse). Ces catéchumènes, parfois mal perçus par leur milieu d’origine, font preuve d’un courage et d’une persévérance très stimulants pour ceux qui sont engagés depuis leur naissance dans la vie chrétienne. Les baptisés de longue date sont donc invités, par la confession et la participation aux célébrations pascales, à se laisser renouveler en profondeur pour que le choix d’aimer comme le Christ l’emporte toujours contre la tentation du désespoir, de la dureté voire de la haine.

L'incendie de ce lundi a été un grand moment de foi, certains chrétiens allant jusqu'à prier dans les rues de Paris, pendant que toute la capitale et toute les villes de France ont pu entendre les cloches de leurs églises "pleurer" la destruction de Notre Dame. Le cardinal Sarah nous affirmait dans un entretien récent que notre époque souffrait d'avoir abandonné la prière, et en cela s'éloignait de Dieu. Quel sens prend la prière dans un moment de profonde tristesse collective, mais aussi dans la vie de tous les jours pour le chrétien ?

La prière ouvre à l’essentiel : l’amour de Dieu répandu dans les cœurs par l’Esprit Saint. Il n’y pas de vie chrétienne authentique et durable sans vraie place donnée à la prière. Notre époque de tourbillon et de bruit permanents est, plus qu’une autre, appelée à le redécouvrir. Une grande émotion collective fait resurgir un besoin et un désir de prière et c’est très beau. Mais l’important est qu’au-delà de l’effervescence d’un soir, chacun avance dans un chemin d’approfondissement persévérant qui seul peut délivrer d’une superficialité qui n’est en réalité pas digne de la condition humaine authhentique.

Dans une lettre à l'archevêque de Paris, le pape François a évoqué l'espérance de la reconstruction qui prendrait bientôt la place de la tristesse de la destruction. N'est-ce pas un symbole fort pour l'Eglise d'aujourd'hui ? Dans un entretien récent accordé à Atlantico, Jean-Pierre Denis, directeur de la publication de La Vie, disait que les difficultés rencontrées par l'Eglise devait être perçues comme un motif d'espérance et encourager les chrétiens à témoigner plus intensément de leur foi...

La reconstruction des murs et des voutes de Notre-Dame ne sera un « symbole fort, que s’il s’agit à la fois d’une reconstruction matérielle et spirituelle. C’est vrai du point de vue civil : notre paix est depuis plusieurs mois à feu et à sang et a un besoin urgent, à tous les niveaux, de retrouver le sens du bien commun. C’est encore plus vrai du point de vue spirituel : si l’Eglise, à tous les niveaux également, ne vit pas sans tarder un véritable sursaut spirituel et moral, elle sera infidèle au Seigneur et condamnée à une marginalisation croissante et méritée. Je dis cela avec sévérité peut-être mais surtout avec beaucoup d’espérance.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !