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Le vaccin contre la grippe est beaucoup moins efficace cet hiver.
Le vaccin contre la grippe est beaucoup moins efficace cet hiver.
©Reuters

Les aléas des mutations

Les vaccins anti-grippaux sont élaborés à l'avance, à partir de projections et en se basant sur les souches du virus en cours. Cependant, les aléas de leurs mutations rendent parfois le travail des chercheurs moins efficace, et cette année justement, c'est le cas. En cause, le virus grippal A-Texas-50-2012, qui par glissement antigénique, s'est modifié de manière inattendue.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le Centre de contrôle et de prévention des maladies  américain a récemment publié une mise en garde contre le vaccin de la grippe. Selon ce dernier, le cru de cette année serait moins efficace. Qu'en est-il en France, doit-on également prendre en compte cette mise en garde ?

Stéphane Gayet : Il faut déjà rappeler que la grippe est une maladie infectieuse potentiellement grave, due à un virus (particule biologique inerte constituée d’un acide nucléique, d’une protection –appelée capside- et d’enzymes). L’acide nucléique du virus grippal (Influenza virus) est un acide ribonucléique (ARN) à polarité négative (ce qui signifie que l’ARN viral n’est infectant qu’accompagné de l’enzyme virale), comme celui du virus Ebola.

Le virus grippal possède en plus une enveloppe qui recouvre la capside et porte des protéines enzymes, particulièrement l’hémagglutinine (HA) et la neuraminidase (NA). On doit bien distinguer les virus grippaux de l’homme (genres A, B et C) de ceux de l’animal (A). Chez les virus grippaux humains, HA peut être de type 1, 2 ou 3, NA de type 1 ou 2. Ainsi, un virus grippal A-H5N1 est forcément animal (surtout oiseaux, chevaux et porc). Les virus grippaux de l’animal n’infectent pas facilement l’homme (spécificité d’espèce relative). Toutefois, le porc a la particularité d’être un incubateur de virus grippal : il peut être infecté à la fois par un virus aviaire et par un virus humain (A), et ainsi constituer le cocon dans lequel un niveau virus hybride se forme. Si l’on ajoute que l’ARN du virus grippal est segmenté et de ce fait instable, on comprend que la grippe humaine est une maladie qui nous réservera toujours des surprises. En effet, on s’immunise contre une souche qui nous infecte, ou grâce à un vaccin qui la renferme (sous forme inactivée), mais cette immunisation reste un peu vaine, car les virus grippaux se modifient sans cesse. C’est pourquoi il faut se faire vacciner chaque année et que les vaccins -qui changent donc tous les ans- contiennent plusieurs souches virales inactivées.

La préparation d’un vaccin grippal prend de longs mois et c’est avant l’été que l’on décide de sa composition pour la prochaine saison froide : elle procède d’une estimation qui s’appuie sur les souches de l’année précédente et dans chacun des deux hémisphères du globe. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie dès février une recommandation sur la composition du vaccin grippal pour l’hiver suivant dans l’hémisphère nord.

Elle recommande que les vaccins grippaux saisonniers soient trivalents (trois souches différentes). Le vaccin associe deux souches A et une souche B. Pour la saison 2013-2014, l’OMS a préconisé la composition suivante : souche A-California-7-2009 (H1N1), souche A-Texas-50-2012 (H3N2) et touche B-Massachussetts-2-2012. Or, la souche A-H3N2 s’est encore modifiée depuis le choix de la composition du vaccin de cette année, tant et si bien que deux souches virales A-H3N2 donnent la grippe : l’une, bien ciblée par le vaccin, l’autre, mal ciblée par le vaccin (la nouvelle souche est un peu différente, mais pas trop, de telle sorte que le vaccin est moyennement efficace). Ce qui est vrai aux Etats-Unis d’Amérique l’est également en France, et, si cette souche A-H3N2 bis circule en France et infecte les Françaises et les Français, les personnes vaccinées seront moins immunisées que si cette souche A-H3N2 bis n’était pas venue perturber le plan de prévention grippale 2014-15.

Ce qu’il faut retenir, c’est que le vaccin grippal 2014-5 risque de moins bien protéger la population que les années précédentes, du moins si la souche A-H3N2 bis circule et atteint les sujets vaccinés. Mais ce n’est qu’une prévision : on ne sait pas quelle sera l’importance exacte de la diffusion de cette souche A-H3N2 bis qui va se retrouver "en compétition" avec la souche A-H3N2 du vaccin.

A quoi est due cette réduction de l'efficacité du vaccin?  

Comme nous venons de le préciser, elle est due au fait que le choix de la composition d’un vaccin grippal s’effectue environ dix mois avant le début de l’épidémie saisonnière de grippe, et que, de ce fait, ce choix procède d’une estimation, fonction de diverses données épidémiologiques, et peut s’avérer non entièrement satisfaisant. Cette année, les virologues et les épidémiologistes n’avaient pas bien anticipé la possibilité, pour la souche de virus grippal A-Texas-50-2012 (H3N2) intégrée au vaccin, de se modifier de façon conséquente, par un processus appelé glissement antigénique.

C’est l’occasion d’insister sur le fait que le virus grippal a un ARN instable, procurant aux souches virales un caractère changeant, pas entièrement prévisible, et qu’il ne cessera de nous surprendre.

Comment élabore-t-on ce vaccin chaque année, et en quoi les protocoles ont pu être défaillants ?

Le vaccin grippal est préparé de longs mois avant le début de l’épidémie, qui survient pendant la saison froide (décembre à avril). Il faut : premièrement choisir la composition du vaccin de l’année, fonction des souches ayant circulé l’année précédente, tant dans l’hémisphère nord que dans celui du sud ; deuxièmement, produire de très grandes quantités de particules virales correspondant aux trois (vaccin trivalent) souches devant entrer dans la composition du vaccin annuel ; troisièmement, inactiver les particules virales produites ; quatrièmement, préparer les solutions vaccinales, les contrôler et les conditionner pour leur commercialisation puis leur administration. C’est surtout la deuxième étape qui est longue : les virus ne peuvent être produits que par cultures de cellules.

On comprend que, si début décembre, on réalise que la composition du vaccin de l’année n’est pas bien conforme aux souches qui ont commencé à circuler, il est trop tard pour réajuster le vaccin.

Malgré tout, est-ce qu'il vaut mieux se faire vacciner ? N'y a-t-il pas plus de risques de tomber malade ?

Cette possible et même probable moindre efficacité ne doit aucunement remettre en cause les recommandations en matière de vaccination contre la grippe. Il est essentiel, cette année comme les autres, de vacciner les personnes fragiles. Il s’agit, d’une part, des personnes âgées de 65 ans et plus, d’autre part, des individus, y compris les enfants à partir de l’âge de 6 mois et les femmes enceintes, atteints d’une maladie chronique assez invalidante, dont voici une liste très résumée : affection broncho-pulmonaire évoluée, insuffisance cardiaque grave, maladie rénale sévère, atteinte neurologique lourde, drépanocytose, diabète de type 1 ou de type 2, déficit immunitaire primitif ou acquis.

Sont également concernées les personnes séjournant dans un établissement de soins de suite ainsi que dans un établissement médico-social d’hébergement, et cela, quel que soit leur âge. Ce vaccin s’adresse aussi à l’entourage familial des nourrissons de moins de 6 mois prématurés, atteints de broncho-dysplasie, de cardiopathie congénitale ou de déficit immunitaire congénital.

En milieu professionnel, cette vaccination est également recommandée aux personnes qui sont susceptibles de disséminer le virus : les professionnels de santé et tout professionnel en contact régulier et prolongé avec des personnes à risque de grippe sévère, personnes âgées et autres.

Il convient donc d’insister sur le fait que, en dépit des rumeurs et autres idées reçues qui circulent autant, voire plus que les virus, la vaccination antigrippale reste bien tolérée et de bonne efficacité : elle ne rend certainement pas plus malade que la grippe qui, à l’opposé, tue chaque année un très grand nombre de personnes diminuées et fragiles, en tout premier lieu des personnes âgées.

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