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Mais qui paiera(it) le prix de l’indépendance de la Catalogne ?
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Atlantico Business

Le gouvernement de Catalogne a certes proclamé l’indépendance de la région, mais n’a pas prévu les moyens d’en assurer son autonomie financière.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que dans les rues de Barcelone, on a, pendant tout ce week end, compté les partisans et les opposants à l’indépendance, l’incertitude politique demeure totale. L’incertitude économique et financière l’est encore davantage. D’où un début de panique dans le monde des affaires et sur les marchés financiers. Depuis le début de la fronde, 1200 entreprises (dont deux très grandes banques – Caixa et Banco Sabadell) ont déjà quitté le territoire. Leur credo, défendre les intérêts des salariés, de leurs clients et de leurs actionnaires.  

En fait, le pouvoir indépendant autoproclamé de la Catalogne n’a aucune visibilité à offrir quant à l’évolution économique. Les indépendantistes n’ont publié aucun plan B capable de dessiner et de programmer un avenir économique à leur région. Si la Catalogne s’installe dans l’indépendance, personne ne sait quelle sera sa monnaie, les réglementations qu’elle suivra, ses accords commerciaux ou son niveau d’endettement. La bataille de chiffres qui a eu lieu jusque-là ne peut rendre compte de ce que serait une Catalogne isolée.

Tout se met en place pour subir une situation assez compliquée et sans doute douloureuse pour beaucoup. La chronique s’articule en trois actes.

Acte un : la région se croit sans doute plus forte économiquement qu’elle ne l’est vraiment.  Les analystes et militants de l’indépendance ne doutent pas de la viabilité d’un Etat catalan, d’un point de vue économique. Et de fait, la Catalogne possède de nombreux atouts : sa démographie, la performance des secteurs de l’industrie pharmaceutique ou bancaire. Avec un secteur bancaire surreprésenté, elle est même comparable à la Confédération helvétique. La répartition de son économie, à 74% composée de services, en fait d’ailleurs une région capable d’assumer la modernité. Ne parlons pas de l’industrie touristique qui en fait une des régions les plus prospères de l’Europe du Sud. En terme de richesse,  le revenu annuel par habitant est plus élevé de plus de 5000 euros chez les catalans que dans le reste de l’Espagne. Un revenu situé à l’échelle de l’Europe entre l’Italie et la France. Elle bénéficie d’une situation meilleure : un taux de chômage plus bas et une croissance plus élevée.  D’où l’impression qu’ont les catalans de travailler, de réussir et finalement de nourrir une grande partie de l‘Espagne. Le projet des indépendantistes est simple : arrêter de payer pour les espagnols pauvres.

Acte deux : le parti de Carlos Puigdemont, le président du Parlement catalan, se croit à la tête d’une mine d’or qu’il ne veut plus partager. Mais il n’explique pas qu’une grande partie de la richesse provient de l’appartenance de la Catalogne à l’Espagne, qu’elle a besoin du marché espagnol. Aujourd’hui, les marchés catalans et espagnols sont encore interconnectés. 80% de l’économie catalane s’exerce dans les échanges avec le marché espagnol et européen.

En cas de sécession, les choses peuvent se passer au plus mal. La Catalogne connaît déjà une forte désertion des entreprises, qui n’ont pas de difficulté juridique à quitter le territoire, grâce à un décret extraordinaire approuvé par le gouvernement en début de mois. Forcément, la manœuvre est plus facile à l’intérieur d’un pays que dans le cas du Brexit.

Il n’est même pas à exclure que la Catalogne soit l’objet d’un blocus. Notamment avec la frontière française, Frédéric Mérant, professeur à l’université de Montréal explique que « si la France maintient sa frontière ouverte, Madrid pourrait estimer qu’il s’agit d’une attitude hostile à son égard, avec ce que cela implique ». Il est d’ailleurs probable que les flux commerciaux intra-européens soient détournés vers Madrid, la Catalogne se retrouvant alors vidée de sa substance économique.

Avec en plus, un dossier assez lourd à régler qui sera celui de la dette catalane gérée actuellement par Madrid.

La question qui bloque est celle de la dette. Régionale d’abord. La Catalogne est très endettée. Elle s’en justifie par une charge fédérale trop importante, alors que l’Etat central accuse la région d’une mauvaise gestion et d’un comportement dépensier. Au début du mois d’octobre, l’agence de notation S&P a, en tout cas, pris le parti d’abaisser la note de la dette régionale catalane en la mettant sous surveillance négative. La question se complique encore quand il s’agit de répartir la dette nationale, celle contractée par l’Espagne en tant que pays. Car, en toute logique, la Catalogne serait sommée de reprendre l’équivalent de son poids économique ; bien que le camp indépendantiste ne soit pas unanime sur ce sujet.

Le ministre espagnol des finances a averti les indépendantistes que la région pourrait perdre 30% de son PIB et voir son taux de chômage doubler. Raisonnement économique : l’incertitude dissuade les ménages de consommer, fait fuir les investisseurs étrangers. Les prix de l’immobilier s’effondrent. Les exportations diminuent, faute de traités commerciaux. Certaines entreprises se délocalisent vers le reste de l’Espagne. « Le risque de défaut sur les entreprises de Catalogne augmenterait significativement » selon Eric Dor, professeur à l’IESEG. Par effet de secteurs, les banques sont touchées et donc plus réticentes à financer les entreprises.

Ce que les banques espagnoles ont signalé dans un rapport commun, prévoyant un risque de « réduction de l’offre bancaire, du manque et du renchérissement du crédit ». Forcément, plus de taux bas dictés par la BCE, plus de confiance  apportée par une zone monétaire et commerciale autour de son économie, les investisseurs seraient au contraire sommés d’emprunter à des taux mécaniquement plus hauts. La région ne serait donc plus attractive comme elle l’a été. Mais ce n’est pas tout.

Acte 3 : sans Espagne, plus d’Union Européenne. La Catalogne indépendante pourrait en théorie demander une adhésion directe à l’Union européenne, mais il lui faudrait obtenir l’accord des 27 Etats membres. L’unanimité est exclue.

Par solidarité politique et culturelle,  les chefs d’Etat européens « ne reconnaitront pas la Catalogne comme un Etat, dès lors qu’elle est née en violant le droit et la Constitution de l’Espagne » explique Jean-Claude Piris, juriste spécialisé en droit européen. Ils continueront de traiter exclusivement avec Madrid et le gouvernement de Mariano Rajoy.

La conséquence de l’indépendance, c’est donc évidemment aussi la sortie de l’Union européenne, même si elle serait plus subie que choisie. Dans les textes, une Catalogne indépendante n’a donc aucune raison, ni aucun droit d’appartenir au marché commun ni à l’Eurogroup.

La Catalogne se retrouverait donc dans la position d’un tout nouvel Etat, n’appartenant pas à l’UE et au niveau zéro en termes de partenariats commerciaux. Et là, c’est le droit commercial international qui parle – le droit européen n’ayant pas anticipé une telle situation. Une région proclamant son indépendance, avec ou sans accord de l’Etat central, sort automatiquement de tous les traités signés par le pays auquel elle appartenait. L’UE donc, mais aussi l’OCDE, l’OMC, l’ON…

Faute d’obtenir une adhésion à  l’UE, la catalogne serait obligée de conclure de nouveaux accords commerciaux, comme ceux de la Suisse ou de la Norvège, et comme essaie actuellement de le faire le Royaume-Uni. Mais c’est une décision plus lente à mettre en œuvre.

Comme dans le cas du  Royaume-Uni, toutes les relations commerciales internationales seraient à reconstruire.

L’aventure est risquée ; les catalans réaliseront peut-être trop tard qu’ils tiennent leur richesse de leur appartenance au marché espagnol mais aussi à l’Europe qui, en dépit de tous ses défauts, leur a permis de toucher les fonds structurels depuis 20 ans et donc des financements qu’elle n’aurait jamais eu par ailleurs, pour ses TGV, ses autoroutes, ses universités…

Pour beaucoup, impossible de ne pas faire le rapprochement avec le Brexit.  Les indépendantistes ont usé des mêmes arguments populistes que le vote britannique. Celui d’une spoliation fiscale, l’idée de payer pour les autres. « L'Espagne nous vole », était le slogan des indépendantistes ces dernières années. Mais qu‘en est il exactement ? La Catalogne verse effectivement à l’Etat central une cotisation de 16 milliards d’euros. Et c’est une région riche donc elle verse plus qu’elle ne reçoit en retour, c’est précisément ce que dénoncent les sécessionnistes.

Comme pour le Brexit, les conséquences économiques restent illisibles. Sauf que si sécession il y a, cela risque de se faire de manière beaucoup plus brutale que les négociations de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Avec des conséquences plus rapides. La seule solution lui resterait de reconstruire une attractivité. En misant sur son secteur bancaire, ses équipements touristiques, sa compétitivité et son innovation. La Catalogne se rêve parfois d’être la nouvelle Suisse ibérique. Mais pour que ce rêve devienne réalité, il faudra sacrifier peut-être une génération.

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