Mais qui contrôle les entreprises à qui appartiennent les satellites capables de voir ce qui se passe dans votre jardin (et dans la cour de votre usine) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Urthe Cast propose à des entreprises privées d'utiliser les images qu'elle fournit depuis ses caméras très haute définition en orbite.
Urthe Cast propose à des entreprises privées d'utiliser les images qu'elle fournit depuis ses caméras très haute définition en orbite.
©Reuters

Very Big Brother

De nombreux satellites gravitent autour de la Terre, certains transportant des caméras très haute définition dont les images peuvent être visionnées par des groupes privés, et ce sans aucun contrôle. Le vide juridique dont souffre l'espace commence à devenir problématique.

Bernard Lamon

Bernard Lamon

Bernard Lamon est avocat spécialiste en droit de l’informatique et des télécommunications, animateur du cabinet Lamon & Associés, fondé en 2010. Il assiste ses clients (prestataires informatiques ou entreprises utilisatrices) dans le domaine du conseil et du contentieux. Il anime un blog dans lequel il commente les lois et les décisions essentielles en droit de l’innovation.

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Atlantico. Urthe Cast propose à des entreprises privées d'utiliser les images qu'elle fournit depuis ses caméras très haute définition en orbite. N'importe quel groupe privé a ainsi la possibilité d'avoir accès à des images satellites en ultra haute définition. Quelles sont les mesures existantes pour encadrer ce genre de pratiques ? Et si aucune n'existe réellement, pourquoi ? 

Bernard Lamon :  Tous les pays du monde ont leur propre conception du respect de la vie privée. Mais les limites des uns ne sont pas celles des autres. Promenez-vous dans le centre d’Amsterdam, vous longerez des maisons dont les fenêtres donnent, au rez-de-chaussée sur des salons ouverts aux yeux de tous.

Plus précisément, sur les images satellites, leur commerce et leur usage existe depuis longtemps, c’est la base de services comme Waze ou ign.fr. On peut d’ores et déjà, quand on est architecte ou agriculteur, obtenir des images très détaillées par des sociétés comme Spot.

La nouveauté est que la plupart des acteurs économiques étaient jusqu’à récemment publics ou para-publics. Avec l’arrivée de nouveaux intervenants privés, les problématiques (qui existent depuis longtemps) sont ravivées. On peut imaginer qu’une personne commande des images de la propriété de son voisin pour examiner la taille exacte de sa piscine. Voire une commande de photos prises dans le jardin du Palais de l’Elysée…

On peut donc s'attendre à voir ce système remplacer les paparazzis par exemple. Quels autres aspects de la vie quotidienne sont concernés ? Quels sont les risques pour les individus ? 

Un moyen intéressant d’envisager les impacts de ce type de technologies est de regarder… les films hollywoodiens. Quand Tony Scott décrit ce monde nouveau qui arrive en 1998 dans "ennemi d’Etat", tout le monde pense qu’il délire. Ce qu’il montre est inférieur à ce que peut faire la NSA aujourd’hui. Et demain, un acteur privé doté d’un peu de moyens, grâce au prix des technologies qui va en décroissant.

Les risques ? Après le cinéma, un peu de littérature : relisez 1984. Sauf qu’à côté des Etats, l’immixtion dans la vie privée peut être le fait de n’importe qui. J’ai défendu un directeur général d’entreprise qui avait trouvé un boîtier GPS sous sa voiture. Son employeur soupçonnait une volonté d’espionnage économique. Le boîtier GPS peut se louer quelques dizaines d’euro par mois.

Faut-il s'attendre à voir émerger des nouvelles formes d'espionnage, ou au moins des excès pouvant découler de cette pratique ? 

A côté de technologies assez simples finalement (le boîtier GPS ou le logiciel malicieux installé sur un smartphone par exemple), on voit se développer des systèmes plus complexes dont le coût de mise en œuvre était tel que leur usage était réservé aux Etats. Et encore, seulement les plus puissants. Aujourd’hui, avec des projets semi-privés du type SpaceX, le lancement satellitaire est voie de démocratisation.

En France, les clichés obtenus grâce à ce procédé pourraient-ils être utilisés au tribunal ? Dans le cas d'un divorce par exemple ? 

On peut imaginer dans un futur proche qu’un riche mari, prévenu d’une escapade amoureuse illégitime de son épouse, commande des photos de l’escapade pour prouver l’infidélité. En procédant de cette manière, il pourrait tenter d’échapper aux paiements des sommes mises à sa charge dans le cadre d’un divorce. En 2015, on parle de science-fiction. Mais si en 1995, j’avais dit qu’une grande partie des preuves amenées dans le cadre des procédures de divorce sont 20 ans plus tard de nature numérique (extrait de SMS, de postsFacebook…), on m’aurait pris pour un fou.

Et la question se pose régulièrement de savoir si on doit accepter devant les tribunaux certaines preuves. Par exemple, les SMS collectés sur le smartphone de l’époux volage sont acceptés en justice.

Pourtant, la procédure civile en France (et dans tous les pays comparables) exigent des preuves légitimement acquises.

L’application de la loi est parfois curieuse : ce qui sera accepté pour prouver une infidélité conjugale ne sera pas admis pour une déloyauté commerciale…

La procédure semble compliquée dans le cas où aucune des personnes mises en cause n'est française ou n'a pas la même nationalité. La grande diversité des nationalités pouvant être concernée ne va-t-elle pas rendre compliqué de légiférer ?

Ce qui est compliqué n’est pas de légiférer, la plupart des pays comparables ont des textes, parfois d’origine très ancienne. Ce qui accroît la difficulté est le caractère transnational de ces affaires. Reprenons l’exemple du milliardaire qui veut éviter de payer une prestation compensatoire : il est russe, installé à Londres, son épouse est française, l’escapade a lieu en Espagne, et le prestataire qui fournit les photographies est installé aux Etats-Unis. Au moins cinq lois différentes pourraient s’appliquer. Et les limites de la vie privée ne sont pas les mêmes partout, entre les partisans d’une transparence totale (tyrans d’un genre nouveau, les néo-puritains : si tu n’as rien à cacher, on peut tout exposer de ta vie) et les adeptes du : pour vivre heureux, vivons cachés.

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