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Macron otage des technocrates ? Plus c'est gros, plus ça passe…
©Dimitar DILKOFF / AFP

Les Arvernes

L’habillage médiatique de la reculade mémorable du Président Macron devant les Gilets jaunes le 10 décembre mobilise un argument nouveau : Emmanuel Macron aurait été l’otage de la « technostructure », ces hauts-fonctionnaires tout-puissants de Bercy, Matignon et l’Elysée, qui diraient « non » à tout et qui auraient précipité la chute de popularité du jeune monarque par leur incapacité à comprendre le pays réel et leur recherche obsessionnelle de l’assainissement budgétaire.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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La semaine qui s’achève a ainsi vu bon nombre de macroniens défendre leur idole en assurant qu’il était déterminé maintenant à tenir ses promesses dispendieuses contre la rigueur budgétaire imposée par Bercy et affronter ainsi les forces honnies de l’immobilisme. La palme revient à l’inénarrable François Bayrou qui a vu dans cette discussion l’occasion unique de se positionner en candidat à Matignon, défenseur du peuple, contre l’actuel Premier ministre accusé d’être le meilleur représentant de la caste des énarques.
Disons-le tout net : cette fable n’est qu’une tentative grossière d’un Président en perdition pour retrouver une contenance contre toute vraisemblance. Elle est surtout révoltante, quand on connaît le propre parcours et les appuis d’Emmanuel Macron, qui a par ailleurs tout fait pour se placer dans cette situation d’isolement.
Premièrement, le Président, même s’il n’a jamais revendiqué être « normal », incarne dans sa personne toutes les dérives de l’énarchie française. Le copinage : aucune étape de sa carrière météorique n’aurait été possible sans son appartenance à l’élite de l’élite, l’inspection des finances, dont il a su séduire à merveille les vénérables membres. L’idéologie européiste : Emmanuel Macron est un représentant « chimiquement pur » de cette élite déracinée pour laquelle la Nation est une relique barbare et dont les rêves ne sauraient avoir pour théâtre que l’Europe et le monde. Le manque de diversité : toute son ascension politique n’a été conduite que dans un cercle très étroit de « technos » de Bercy dont le secrétaire général de l’Elysée actuel est le plus parfait exemple, quitte à forcer la caricature : gouverner seul (la nuit !), savoir tout, décider de tout, exclure de l’Elysée et des cabinets ministériel tout profil « atypique » etc.

Deuxièmement, l’armature du pouvoir macronien repose depuis son origine sur une organisation hermétique. Au Président jupitérien, l’on pourrait opposer le vieil adage du droit romain « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. » Et la racine du mal porte une date précise : le 18 mai 2017, date à laquelle Jupiter décida d’imposer à ses Ministres, par décret, de limiter drastiquement le nombre de membres de leurs cabinets, promettant en échange une revue attentive des cadres supérieurs de l’administration, afin de s’assurer qu’ils soient bien en accord avec la politique gouvernementale. En agissant ainsi, le Président avait tout à gagner à court terme. D’abord, il tirait sur une ficelle populiste bien connue, en supprimant quelques postes visibles au sommet de l’Etat, alors même que leur faible nombre n’a aucun impact sur le budget de l’Etat – les membres des cabinets ministériels permettent justement d’apporter au pouvoir des experts qui ne sont pas issus du « sérail » et, s’ils sont bien choisis, qui donnent ce sang neuf qu’il semble manquer à la haute administration. Surtout, cette mesure machiavélique permettait au Président de contrôler plus étroitement ses ministres dépourvus de moyens propres pour exercer leurs prérogatives.

Emmanuel Macron, ancien énarque devenu responsable politique, adopte la pause facile de celui qui se défausse sur ses fonctionnaires, mais il n’est en réalité que la caricature ultime de la dégénérescence de notre classe politique en une caste de haut-fonctionnaires besogneux (François Hollande) ou arrogants (Emmanuel Macron). La vraie stature d’un homme d’Etat se mesure à sa capacité à guider l’administration et non la subir. A proposer une vision au peuple et à la mettre en œuvre en séparant clairement le politique de l’administratif.

Dans ce domaine aussi, le macronisme est un naufrage. Aucune des initiatives qu’il porte ne va dans ce sens. Le « spoil system » à la française annoncé un temps par le Président est absurde en France (de fait, il n’a pas été appliqué). Il relève de cette fascination stupide pour les rites des Etats-Unis, qui font sens, mais dans un tout autre contexte. Après le temps de l’arrogance et des effets d’annonce, le macronisme est confronté maintenant à une impasse politique dont il cherche à faire porter la responsabilité à la masse des fonctionnaires. 

Est-ce à dire que la haute-fonction publique – à laquelle beaucoup d’entre nous appartiennent après des études et des concours difficiles que nous avons réussis de haute lutte et non sans sacrifices – est parfaite ? Evidemment non. Pourtant, qu’il soit permis de dire cette vérité indécente : elle est, elle reste un des grands atouts de la France contemporaine. Le pays souffre, son industrie s’est effondrée, ses finances sont exsangues, ses élites entrepreneuriales le fuient, il est miné par le communautarisme et beaucoup de citoyens sont découragés et en colère. A l’échelle de la zone euro, la France est plus proche de l’Italie et de la Grèce que de l’Allemagne et des Pays-Bas. Un fait marquant nous distingue pourtant de l’Europe du sud : la qualité générale de notre fonction publique et, en particulier, celle des plus hauts fonctionnaires. Ce constat n’est pas le nôtre, mais celui de nombreux économistes étrangers et des agences de notation internationales qui soulignent, en particulier, la force de notre appareil fiscal et la compétence générale des dirigeants des administrations.  Ceux d’entre nous qui ont travaillé avec des hauts fonctionnaires étrangers dans les organisations internationales ont pu mesurer combien la France était et demeure en avance, avec le Royaume-Uni, en ce domaine, et à quel point elle est jalousée par ses partenaires.

Signe de cette ambigüité d’une fonction publique attendue et décriée à la fois, les Français critiquent les énarques mais rêvent que leurs enfants le deviennent ! Cet atout français remonte à loin dans notre histoire. On mesure mal combien l’absence d’une élite administrative manque à des pays comme l’Italie. Car de quoi parle-t-on sinon du corps préfectoral qui « tient » le territoire et assure encore une homogénéité rarement vue ailleurs dans l’application de la loi ? De l’inspection des finances qui (dans son rôle originel) a fait de la France un pays où les malversations des agents publics sont minimales. Du Quai d’Orsay qui porte encore haut la voix de la France dans les organisations internationales en dépit de moyens toujours plus réduits. Des directeurs d’hôpitaux. Nous pouvons collectivement être fiers de nos hauts fonctionnaires qui, bon an mal an, tiennent le navire France à flot alors qu’il aurait pu déjà couler à de nombreuses reprises. En France, c’est l’Etat qui a fait la Nation et la fierté de le servir est demeurée forte sous tous les régimes et à toutes les époques. Ce reste de prestige attaché à la haute fonction publique s’est traduit dans le comportement des élites économiques et culturelles du pays qui ont continument poussé leurs enfants à peupler les grandes écoles et les grands corps de l’Etat, au moins en début de carrière. 

Toutefois, ce constat a faibli au cours des vingt dernières années : les élites poussent désormais leurs enfants vers les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs prestigieuses, ou encore les universités étrangères. Parallèlement, le désir de reforger les identités locales contre lesquelles la Nation s’est bâtie, l’incapacité à définir simplement ce que signifie le fait d’être français, déconstruisent peu à peu le mythe de l’Etat Nation. Si ces deux mouvements fondamentaux échappent à la haute fonction publique, ils échappent plus encore au Président, alors que c’est avant tout au pouvoir politique d’y répondre – la solution ne viendra pas de l’administration quelque vertueuse qu’elle soit !

La méfiance des français vis-à-vis de la haute fonction publique (et la tentative du régime macronien de l’instrumentaliser à son profit) existent pourtant bien et il faut en comprendre les causes légitimes. Il y a bien sûr la dérive naturelle de toute bureaucratie à subsister en son être, à coopter ses propres membres et à conquérir toutes les positions de pouvoir atteignables. Les grands corps de l’Etat sont les vrais coupables car ils ont rapidement dégénéré, après les premières années glorieuses de la nouvelle ENA créée et voulue par le Général de Gaulle, dans le copinage et l’occupation à leur seul profit des plus hautes fonctions administratives. Il y a surtout une dérive idéologique majeure, depuis les années 1980, d’une haute fonction publique (surtout celle des finances) autrefois viscéralement attachée à l’idée nationale et convertie à l’Europe, un libéralisme simplet fait de concurrence mal comprise, d’assouplissement du marché du travail (qui ne la concerne pas, bien évidemment) et de libre-échange intégral. Au plan juridique, le Conseil d’Etat (et maintenant le conseil constitutionnel) n’est pas en reste. Il s’est fait le chantre de la diversité et d’une vision bien naïve de la laïcité. C’est parce que ces énarques-là, peu nombreux mais très puissants, ne pensent plus comme la majorité des Français, que ceux-ci s’en sont distancié. 

Enfin, il y a l’arrogance de toute élite fermée qui choque le citoyen. La diversité sociale de la haute fonction publique, et surtout des grands corps, s’est étiolée. La diversité des idées portée par les hauts-fonctionnaires est allée de pair. Lutter contre ces dérives – cette fossilisation – de la haute fonction publique est une exigence démocratique et une nécessité politique. Il est un fait certain : Emmanuel Macron est dénué de toute légitimité pour affronter cette haute-fonction publique là dans ses dérives les plus choquantes et ses critiques récentes ne sont qu’un rideau de fumée. Pire : les plus talentueux peuvent aujourd'hui légitimement se sentir trahi par leur égérie, Emmanuel Macron, qui a fait semblant de les écouter. Il n’y a qu’à regarder la composition des directions d’administrations centrales et de ce qu’il reste des cabinets ministériels pour s’en rendre compte : les grands corps de l’Etat semblent avoir encore une fois gagné la bataille avec la complicité totale du Président.
Dans un tel contexte, les critiques du pouvoir macronien à l’encontre des haut-fonctionnaires dans l’affaire des Gilets jaunes ne sont donc qu’un rideau de fumée. Car de quoi parle-t-on ? Les « gens de Bercy » auraient forcé le chef de l’Etat à renoncer, dans un premier temps, à des concessions aux manifestants, au prix d’une reculade bien plus couteuse quelques semaines plus tard ? La direction du budget aurait « dicté » la hausse des APL en 2017, une idée jugée idiote quelques mois plus tard ? Soyons sérieux. Jupiter serait-il finalement qu’une marionnette ? 
La réalité est toute autre. La haute fonction publique est très largement intègre et loyale. Elle porte au cœur les intérêts immédiats du pays. Maintenant, il n’est pas dans son rôle, de dicter au gouvernement les grandes lignes de la politique de la nation. Le pouvoir exécutif « dispose de l’administration » dit le constituant de 1958. Mais ce pouvoir a renoncé à se servir de cette prérogative. Incapable de porter une vision cohérente de l’avenir du pays, il condamne ses fonctionnaires à piloter au jour le jour le grand navire de l’Etat, sans vision à long terme et sans inspiration. Les vrais hommes d’Etat ont déserté le navire et laissé la place à l’élite des fonctionnaires comme ersatz de gouvernants.    

La haute fonction publique est la dernière barrière qui nous protège des inconséquences de nos politiques. Elle doit être réformée en profondeur, mais défendue. Aux électeurs de sanctionner le vrai responsable de tous nos échecs : Emmanuel Macron, et lui seul, digne représentant de grands corps de l’Etat qui ont renoncé à servir pour se servir, jetant l’opprobre sur quelques milliers de haut-fonctionnaires dont la France et les français devraient être fiers.

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