Le Pécressisme pourrait-il être le logiciel politique qui mette (enfin) un terme aux vraies fausses querelles de la droite ?

Guillaume Bernard: Les Républicains sont à la croisée des chemins. Soit leur candidat se qualifie pour le second tour de la Présidentielle et, dans ce cas, cela leur donne un regain de santé. Soit ils n’y arrivent pas et ils risquent fort de devenir une force politique de second rang, étant entendu que leur disparition sera plus lente que celle du PS parce que, d’une part, l’opinion publique se droitise (il y a donc un espace politique plus large qu’à gauche pour laisser subsister diverses organisations) et, d’autre part, ce parti dispose de nombreux élus locaux (certes mal élus en raison des forts taux d’abstention aux élections locales de 2020 et 2021 mais tout de même en poste) contrairement à ses concurrents de droite (le RN et la mouvance zemmouriste). 

C’est donc beaucoup plus et d’abord à tâche de rassemblement (même hétéroclite) de plusieurs segments électoraux qu’à une production doctrinale nouvelle et cohérente que Valérie Pécresse, désormais candidate de LR à la présidentielle, va devoir s’atteler. Elle va être confrontée à la même difficulté que connaît LR depuis quelques années : réussir, sans que cela ne se voit trop, le grand écart entre le libéralisme (pas seulement économique mais surtout culturel et sociétal) et le conservatisme, réussir à capter des électeurs de centre-droit déjà séduits ou susceptibles d’être séduits par Macron tout en ne laissant pas trop l'électorat de droite filer vers Éric Zemmour et Marine Le Pen. 

À Lire Aussi

Présidentielle 2022 : Valérie Pécresse remporte le Congrès LR et devient la candidate de la droite

L’angle qu’elle a choisi (sans doute sous l’influence d’hommes comme Patrick Stefanini ou de Thibault de Montbrial) est la question des fonctions régaliennes, ce qui lui permet de défendre l’idée d’une autorité étatique plus assurée mais d’une puissance de l’État moins pesante. Cela peut séduire le peuple de droite à condition qu’elle apparaisse crédible sur la question centrale de l’immigration et de l’identité. Or, n’a-t-elle pas donné, par le passé, des gages au multiculturalisme ?

Valérie Pécresse peut-elle refonder un logiciel collectif qui serait la première vraie reconstruction depuis le sarkozysme ?

Guillaume Bernard: Jusqu’à la présidentielle, il y a aura au moins une unité de façade et des convergences très réelles malgré des égos en conflits. Les débats entre les candidats de la primaire (fermée) ont, certes, montré des différences, mais qui sont, somme toute, assez mineures. En outre, les résultats du premier tour ont été dans un mouchoir de poche (entre 22 et 26 %). Par conséquent, il est vraisemblable que Valérie Pécresse va chercher à ménager les susceptibilités. 

Même si elle donnera la priorité à ses équipes, elle ne pourra pas se couper entièrement de celles de ses concurrents (contrairement à ce qui c’était passé en 2016-2017 où, dans le cadre d’une primaire ouverte avec de très nombreux électeurs, les écarts avaient été bien plus importants, tant en pourcentages qu’en nombres de voix, et avaient conduit à de profondes mésententes). Il ne faudrait cependant pas oublier que plusieurs caciques de LR (Wauquiez, Retailleau) n’ont pas participé à la primaire et qu’ils auront peut-être tendance à se tenir éloigné de la campagne (tant une victoire de la Présidente de la région Ile-de-France ruinerait leurs espoirs et leurs chances pour 2027…). 

Edouard Husson: Encore une fois, Valérie Pécresse ne crée aucun logiciel. Regardez comme elle a fait sur l’immigration. Elle n’a jamais pris le temps de comprendre la question et ses enjeux de l’intérieur, au-delà des fiches de Patrick Stefanini qu’elle est capable de répéter comme une bonne élève. Mais elle a surtout fait de la com. Elle « s’est payé » Barnier, en faisant comme si le « moratoire » dont parlait ce dernier était un délai avant de commencer la politique de contrôle de l’immigration. Et elle lui a dit en face: « Donc, ton truc, ce n’est pas de l’immigration zéro ». C’était un argument assez lamentable sur le fond mais efficace dans l’immédiat. Il a permis de doubler l’ancien négociateur en chef du Brexit d’un millier de voix. Le problème d’une victoire électorale est toujours le même: vous croyez que vous avez gagné par vos qualités alors que ce sont leurs défauts qui ont fait perdre les autres.   

Facialement, la ligne validée aujourd'hui par les adhérents et l'équilibre des forces en présence ressemble d’assez près si on y regarde bien à la ligne Fillon 2016/2017 ou à la ligne Wauquiez. Valérie Pécresse pourra-t-elle échapper aux pièges qui ont emporté ses prédécesseurs par le fond ?

Guillaume Bernard: L’une des principales difficultés à laquelle Valérie Pécresse va être confrontée est la droitisation globale de l’opinion publique (ce que les débats de la primaire de cette année ont, d’ailleurs, explicitement révélé tant les candidats se sont bien souvent rangés à des positions qui, il y a peu de temps encore, auraient été jugées très à droite pour les LR). N’avait-elle pas quasiment quitté LR parce que ce parti se droitisait trop à son goût (campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, élection de Laurent Wauquiez à la tête des LR en 2017) ? 

Par conséquent, saura-t-elle maintenir longtemps son positionnement hostile à Macron alors qu’elle avait appelé à voter pour lui lors du second tour de la présidentielle de 2017 ? C’est, là, que la figure d’Éric Ciotti (dont le score du second tour est très significatif puisqu’il gagne près de 15 points alors que personne n’avait appelé à se reporter sur lui) va être indispensable à la campagne de LR. S’il n’est pas associé de manière visible à celle-ci (en lui promettant, par exemple, un poste d’importance dans une éventuelle future équipe gouvernementale), il est très possible qu’une part importante de ses électeurs (et des cadres du mouvement acquis à sa cause) ne se laissent séduire par Éric Zemmour voire Marine Le Pen. 

Edouard Husson: Il y avait une ligne Fillon, oui. Elle était cohérente. Eric Ciotti l’a reprise à son compte. Je ne connais pas de ligne Wauquiez. Laurent Wauquiez est un chat qui se prend pour un tigre et s’emmêle régulièrement les pattes dans la pelote de son machiavélisme de village. Derrière l’apparence ferme, Wauquiez est quelqu’un qui passe son temps à se demander comment il va dézinguer le reste de la droite pour rester le dernier. Restons donc sur la question des relations entre Ciotti et Valérie Pécresse. La seule ligne, c’est Ciotti. La question est de savoir si Valérie Pécresse aura suffisamment d’instinct du pouvoir pour pasticher la ligne Ciotti et surtout l’installer comme son futur Premier ministre. Sinon, elle perdra à droite sans pouvoir retrouver autant au centre. 

La droite d'en haut va-t-elle enfin comprendre que ses électeurs en ont assez d’une droite qui promette fermeté avant les élections et qui délivre une forme de crypto-radical socialisme chiraquien post élections ?

Guillaume Bernard: C’est la quadrature du cercle… Nombre de caciques LR ne semblent pas comprendre que s’il y a, aujourd’hui, moins de sympathisants de leur formation politique qui souhaitent des rapprochements avec la droite de la droite par rapport à il y a quelques années, c’est tout simplement parce que ceux-ci ont basculé vers le RN et, maintenant, vers la droite hors les murs actuellement incarnée par le zemmourisme. L’espace politique de LR se réduit comme peau de chagrin quand le peuple de droite a l’impression de se faire flouer. 

Il en va de même quant à l’analyse de la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 : la campagne sur la « ligne Buisson » a limité la casse ; c’est la distorsion entre les promesses de 2007 (qui avait, en outre, conduit au siphonnage d’une grande partie de l’électorat FN) et la manière effective de gouverner qui a été sanctionnée par les électeurs. 

Malgré un discours sans doute plus ferme qu’auparavant, il est à craindre pour les militants et sympathisants LR que Valérie Pécresse fasse partie de ceux qui ne l’ont toujours pas vraiment doctrinalement compris. Il est cependant possible que, ne serait-ce que par pragmatisme, elle ne cherche à se différencier clairement de Macron et à reconquérir l’espace politique préempté par Éric Zemmour. 

Les destins politiques de Pécresse et de Zemmour sont assez intimement liés. L’un comme l’autre peut sérieusement avoir des ambitions présidentielles en atteignant le second tour. Et après, tout est possible…  

Edouard Husson: C’est peu probable tant qu’il n’y aura pas un ébranlement profond de ce qui est l’assurance-vie de la « droite d’en haut » comme du macronisme: la gouvernance transnationale. Même Nicolas Sarkozy a fini par trancher en faveur de la gouvernance internationale en faisant l’ouverture à gauche au lieu de la faire à droite. D’un autre côté, je me mets à la place de tout gouvernant arrivant au pouvoir avec un programme populiste. Il faut avoir la solidité d’un Donald Trump pour accepter de ne pas être aimé et pour avoir la force de gouverner alors que le système lance sur vous « fake news » sur « fake news ». Et, pour finir, Trump a succombé à la coalition de tous les intérêts progressistes du monde. Cela ne va  pas de soi, donc. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais placé mes espoirs en la désignation de Michel Barnier: la perspective d’un « insider » de l’UE capable de voir les failles du système était une manière paradoxale d’accompagner la crise de la gouvernance internationale tout en faisant de la place aux intérêts du peuple français. Barnier a vu le Brexit de près. 

Pécresse comme Ciotti ont insisté sur le collectif, peut-on estimer que cette volonté d'incarner une équipe de France plurielle, soit respectée au delà du simple affichage ?

Edouard Husson: Est-ce que la juxtaposition Pécresse + Ciotti peut devenir un véritable amalgame? C’est tout l’enjeu d’une présence au second tour pour LR. Mais rendons-nous bien compte de ce que signifie le score final de Valérie Pécresse: elle perd 13 points par rapport au report de voix idéal (celui de toutes les voix de Juvin, Bertrand et Barnier qui avaient appelé à voter pour elle). On peut se permettre cela à l’élection interne chez LR. Pas à l’élection présidentielle. Valérie Pécresse saura-t-elle comprendre qu’elle doit faire beaucoup de « Ciotti » si elle veut avoir une chance de contenir l’offensive Zemmour et de parvenir au second tour.