Ligne Maginot, le retour ? 6 pays de l’Otan projettent un mur de drones pour se défendre de la Russie et voilà pourquoi c’est une très bonne nouvelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats finlandais de la division finno-suédoise chevauchent le Leopard 2A6, un char de combat principal allemand de troisième génération, lors d'une démonstration de passage de frontière par des troupes suédoises et finlandaises, le 9 mars 2024.
Des soldats finlandais de la division finno-suédoise chevauchent le Leopard 2A6, un char de combat principal allemand de troisième génération, lors d'une démonstration de passage de frontière par des troupes suédoises et finlandaises, le 9 mars 2024.
©Jonathan NACKSTRAND / AFP

Prévention

Six pays de l'OTAN envisagent de mettre au point un "mur de drones" pour défendre leurs frontières avec la Russie après une série de provocations, allant de la migration forcée à des tentatives de modification des frontières.

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

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Atlantico : Six pays de l'OTAN envisagent de mettre au point un "mur de drones" pour défendre leurs frontières avec la Russie après une série de provocations, allant de la migration forcée à des tentatives de modification des frontières. Est-ce une bonne initiative ou une illusion dans l’absolu ? Et vis-à-vis des forces russes en présence ?

Thierry Berthier : C’est une initiative hautement nécessaire face à l’agressivité croissante de la Fédération de Russie. Les six pays concernés sont la Finlande, la Norvège, la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Ils subissent les provocations croissantes d’une Russie qui s’engage volontairement dans des mécanismes « escalatoires » de basse intensité avec ses voisins membres de l’OTAN. On peut interpréter cette série de « frictions » comme des réponses d’intimidation au soutien sans faille de ces six pays à l’Ukraine. Il peut aussi s’agir de tester les systèmes de défense de l’OTAN en préparation d’une opération de plus grande envergure. Dernière provocation en date, la Marine Russe a retiré la moitié des 50 bouées positionnées sur les routes maritimes de la rivière Narva matérialisant la frontière entre la Lituanie et la Russie. Depuis 2022, le pouvoir Russe ne reconnait plus les frontières historiques avec la Lituanie et la Finlande en Mer Baltique… Les espaces aériens finlandais ont également été brièvement survolés par des chasseurs russes sans doute là aussi pour tester les mécanismes d’alerte et de défense. L’entrée dans l’OTAN de la Finlande et de la Suède a suscité la colère de Moscou qui multiplie depuis les incidents et comportements belliqueux. Située en première ligne face à l’agression russe en Ukraine, l’Europe n’a pas d’autre choix que de se préparer à une potentielle extension du conflit (une escalade horizontale) ciblant un ou plusieurs pays membre de l’OTAN. Cette extension de la guerre déclencherait de fait les mécanismes de défense de l’article 5 de l’Alliance Atlantique et nous entrainerait probablement sur les plus hauts échelons de l’échelle d’escalade d’Herman Kahn, y compris les échelons des confrontations nucléaires. Par ailleurs, l’incertitude liée à la prochaine élection présidentielle américaine renforce la nécessité d’un front commun européen face aux menaces russes. Le mur des drones constitue une réponse opérationnelle très intéressante de l’Europe car elle se situe sous le seuil nucléaire. Elle adresse un message clair et concret au pouvoir russe, notamment après la séquence calamiteuse des déclarations françaises d’un potentiel envoi de troupes françaises (OTAN) sur le terrain ukrainien. D’un côté, la France déclarait ne rien s’interdire sur l’envoi de troupes au sol et de l’autre, quelques heures plus tard, les déclarations françaises étaient immédiatement démenties par le Président américain Biden, répétant qu’il n’y aurait ni de soldat américain sur le terrain ni soldat de l’OTAN… On imagine sans peine la satisfaction de Vladimir Poutine face à cette dissonance stratégique entre alliés et puissances nucléaires. Le « Mur des Drones » repositionne l’Europe face aux menaces russes en cohérence avec les mécanismes OTAN. Techniquement ce « mur des drones » pourrait protéger plus de 1000 kilomètres de frontières partagées avec le voisin russe, de la Finlande jusqu’à la Pologne. Il pourrait être constitué de drones de surveillance, de drones intercepteurs de drones, de systèmes radars dédiés à la lutte anti drones et de drones d’attaque de neutralisation de colonnes de chars et blindés ennemis.  

Comment ces drones pourraient-ils agir concrètement ? Dans quelles situations ?

Le « mur des drones » est une architecture de systèmes complémentaires dont l’objectif est triple :

Objectif n°1 – Déployer une infrastructure de surveillance et de renseignement : Il s’agit de déployer des unités de drones tactiques de surveillance et de renseignement couvrant l’intégralité des lignes de frontières de la Norvège jusqu’à la Pologne. Ces drones évoluent en général à la hauteur de 5000 mètres, sont dotés de capteurs multispectraux et peuvent rester durant plus de 24 heures en vol. Ils peuvent réaliser des vols automatiques permanents en se relayant tout au long des frontières à surveiller. Ils sont capables de détecter, de jour comme de nuit et quelques soient les conditions météorologiques, toute concentration de troupes, de véhicules, tout mouvement d’unités militaires, de colonnes de véhicules, toute traversée de la frontière par des unités terrestres, par des groupes de drones, de missiles ou d’aéronefs.    

Objectif n°2 – Déployer une infrastructure d’interception et de lutte anti-drones : Une infrastructure de systèmes de détection, de suivi et de poursuite de drones ennemis pénétrant en territoire OTAN est déployée tout au long de la frontière. Elle est associée à des systèmes de neutralisation des drones hostiles par brouillage électromagnétique, par impulsion électromagnétique, par canons laser de puissance, par brouillage des systèmes de positionnement par satellite. On peut imaginer un déploiement linéaire de postes de défense anti-aérienne intégrant des canons anti-drones, et des bases de lancement automatique de missiles sol-air. Ces dispositifs sont complétés par des unités de drones intercepteurs Air-Air.

Objectif n°3 – Déployer une infrastructure de drones d’attaques et de munitions téléopérées (MTO) anti chars et blindés : Ces unités de drones se concentrent sur la neutralisation de colonnes blindées ennemies traversant la frontière. Les munitions téléopérées ou drones kamikazes ont prouvé leur efficacité sur la ligne de front russo-ukrainienne. Des petits drones légers porteurs de 3 kg de charge explosives suffisent à la neutralisation d’un char de combat ou d’un blindé. Le pré-positionnement de grands volumes de MTO sur toute la longueur de la frontière permet de bloquer la progression en profondeur d’une armée ennemie et de garantir la sécurité des unités de seconde frappe.

Les responsables finlandais, par exemple, se sont étonnés que l'Ukraine ait maintenu sa population civile sur les lignes de front ou à proximité, affirmant que les plans de défense du pays nordique prévoient l'évacuation des populations frontalières. Comment cela s’explique ? Malgré ce "mur de drones", le déplacement de populations est-il indispensable ? 

Si le « mur de drones » est déployé en tenant compte des trois objectifs décrits précédemment, alors l’évacuation préventive des populations frontalières n’est pas nécessaire. Les unités de drones MTO permettent de stopper efficacement une offensive terrestre, dès sa détection et sa traversée de frontière. Si le volume et le réapprovisionnement des MTO ont été correctement dimensionnés à la création du « mur », ils suffisent à figer le front.

L’ensemble du dispositif doit être complété :

·Par une couverture satellite permanente de la frontière sur toute sa longueur ;

·Par des champs de mines positionnés aux points de passage d’unités ennemies ;

·Par des unités d’artillerie positionnées à plus de 20 kilomètres dans la profondeur.

Les six pays frontaliers de la Baltique à l’origine du projet « mur de drones » doivent être soutenus et rejoints par la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne notamment dans l’approvisionnement en drones intercepteurs et en munitions téléopérées. Ce futur bouclier améliore la sécurité de toute l’Europe occidentale sur ses frontières Est. Il installe aussi les fondations d’une « dissuasion technologique » qui complète et renforce notre dissuasion nucléaire.   

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