Les sondeurs ont demandé aux Américains les souvenirs qu’ils gardent de la présidence Trump. Voilà ce qu’ils ont répondu (et ce qu’on peut en tirer comme leçons) <!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président des États-Unis et candidat à l'élection présidentielle de 2024, Donald Trump, arrive pour prendre la parole lors d'une soirée de veille de l'élection du Super Tuesday au Mar-a-Lago Club à Palm Beach, Floride, le 5 mars 2024.
L'ancien président des États-Unis et candidat à l'élection présidentielle de 2024, Donald Trump, arrive pour prendre la parole lors d'une soirée de veille de l'élection du Super Tuesday au Mar-a-Lago Club à Palm Beach, Floride, le 5 mars 2024.
©CHANDAN KHANNA / AFP

Souvenirs

L'ancien président, candidat à l'élection de novembre, vient de rafler quasiment tous les Etats en jeu lors du "Super Tuesday", cette grande journée électorale. Parmi eux la Californie, la Caroline du Nord et le Texas.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Un sondage mené aux Etats-Unis a permis d’interroger les Américains sur les souvenirs qu'ils gardaient de la présidence Trump. Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

Jean-Eric Branaa : Ce sondage révèle que la mémoire des citoyens américains est très courte. Ce phénomène est bien connu en journalisme. L'information est tellement dense aujourd'hui, particulièrement parce qu'elle est de plus en plus relayée désormais sur les réseaux sociaux et qu’il est très facile pour tout un chacun de devenir soi-même son média, les citoyens oublient tout ce qui peut se passer. Ils oublient leur colère, leur rancœur, leurs frustrations et ils gardent un souvenir plus ou moins diffus qu'ils reconstruisent aussi au hasard des écrits. Dans le cas de Donald Trump, cet effet d'effacement s'est produit et la reconstruction s’est opérée autour de Donald Trump et ses partisans, ceux qui le suivent, ceux qui l'apprécient, ceux qui le supportent, qui ont participé à son succès en vantant sa présidence, en expliquant qu'elle avait été extraordinaire. Tous les jours, Donald Trump twittait sur ses bons résultats, sur ce qu'il pouvait faire. Il était lui-même sa propre agence de communication et il faut dire qu'il était plutôt efficace. 

Le principal enseignement de ce sondage pour la campagne électorale est que Donald Trump ne fait plus peur à l'ensemble de la population. Il ne fait absolument pas peur aux jeunes qui vont voter pour la première fois et qui ont grandi dans une présidence Trump et qui se disent qu'après tout, le bilan n'était pas si mauvais. 

La deuxième leçon est que le public américain considère que la présidence Trump a été plutôt réussie, ne serait-ce que sur l'économie. Trump est considéré comme quelqu'un en qui les Américains ont confiance pour redresser le pays, pour conduire la nation, en ayant d'ailleurs un ressenti global plutôt négatif sur ce que fait Joe Biden actuellement, même si les faits leur donnent tort. Donald Trump a donc bien réussi sa stratégie politique pour cette campagne.

Un sondage du New York Times / Siena College, réalisé à la fin du mois dernier, a révélé que 10 % des électeurs de Joe Biden en 2020 déclarent désormais soutenir Donald Trump, alors que l'inverse n'est pas forcément vrai. Est-ce qu'il y a une forme d'évolution sondagière favorable à Trump et qui pourrait inquiéter les démocrates ? 

Je suis beaucoup plus réservé en réalité sur ce type de sondage. Cette seconde enquête est une photographie sur l'instant qui dépend de ce qui a pu se passer dans l'actualité immédiate et sur ce que ressent la personne interrogée et sur ce qu'elle a envie de dire aussi. Ce n'est pas du tout de même nature que pour le premier sondage qui nous décrit une situation en dynamique avec une impression plus profonde et plus globale du ressenti des citoyens. En revanche, un autre sondage New York / Siena publié il y a quelques jours montre que les Américains ont déjà choisi leur candidat à 94 %. Cette tendance se rapproche plus du premier sondage. Cela s’inscrit dans une dynamique. Les deux candidats ont une forte notoriété. Ils ont tous les deux été présidents, l'un est sortant mais l'autre qui est en position quasiment de sortant aussi dans son propre camp (le dernier candidat à avoir remporté les élections pour les républicains). 

Ces sondages révèlent donc une dynamique. Les Américains s'inscrivent dans une impression globale qu'ils ont sur le candidat et pas sur un point donné à un moment où les électeurs auraient pu dire quelque chose sur Donald Trump et Joe Biden et penser le lendemain tout à fait autre chose.

Quels sont les mécanismes à l'œuvre qui ont une réel influence et un véritable impact sur les choix des citoyens américains pour sélectionner leur candidat lors de l’élection. Qu'est-ce qui est à l'œuvre dans leur choix ?

Trois sujets sont particulièrement forts dans cette campagne et vont décider du résultat. Le premier très clairement est l'âge du candidat. Ce critère de sélection est plutôt défavorable à Joe Biden, le ressenti sur ce sujet est beaucoup plus négatif en ce qui le concerne. Selon un récent sondage du New York Times, ce critère est beaucoup plus défavorable à Joe Biden qu'à Donald Trump, qui a pourtant quasiment le même âge mais qui n'obtient pas le même résultat négatif que Joe Biden. 

Le deuxième thème très important pour le choix du vote est l'immigration. La crise migratoire est indéniable aujourd'hui aux Etats-Unis, que l'on soit républicain ou démocrate, tout le monde dénonce cette crise migratoire. Il y a eu 7,5 millions d'entrées depuis le début de la présidence de Joe Biden, dont 2,5 millions de clandestins. Tous ces sans papiers sont difficilement assimilables par la société américaine car les villes ne sont pas équipées pour les recevoir. Il n'y a pas de logements, pas de services sociaux adaptés, il ne peut pas y avoir de suivi, d'aide médicale. La plupart d'entre eux se retrouvent dans la rue. La criminalité augmente. La population de clandestins étant nombreuse et paupérisée, il y a forcément des troubles. Les enfants souffrent de carences médicales. La population américaine rejette tout cela. Cette situation est dénoncée, y compris par des maires démocrates. La situation est donc très compliquée sur cet enjeu pour Joe Biden. 

Le troisième élément central qui influe sur la décision des électeurs est l'économie. Les Américains ont le souvenir que la situation économique était bonne sous Donald Trump, que l’on vivait plutôt bien, que le chômage avait largement baissé, qu'un record de baisse a été à nouveau atteint par Biden. Il s’agit d’une thématique sur laquelle Joe Biden a du mal à se positionner même s'il a d'excellents résultats en la matière. Lors du discours sur l’état de l’Union, le président américain va beaucoup insister sur cette question là, parce que pour l'instant, un incendie s’est déclaré dans la campagne de Joe Biden. Il faut absolument qu’il rebondisse et qu’il fasse de la politique. Il doit donc repartir sur ces thématiques, qui sont essentielles aux yeux des citoyens américains.

Face à cette réalité et au regard du ressenti des Américains qui ne tiennent pas rigueur finalement du passé des candidats en partie, quelle campagne faudrait-il faire face à cette nouvelle réalité des citoyens américains pour Joe Biden ou Donald Trump ? 

Joe Biden doit renoncer et repenser à sa campagne lancée le 6 janvier. Elle est similaire à  celle de 2020. Il est reparti sur les thèmes de défense de la démocratie en dénonçant le danger que représenterait Donald Trump, en expliquant qu’il pourrait créer à nouveau une situation de chaos avec une insurrection. Or, rien ne prouve que ce scénario va se reproduire. Tout prouve même le contraire puisque le Congrès a même fait passer une loi pour changer les règles au niveau de la certification des résultats des élections. De ce côté-là, Trump n'a plus de leviers. Les Américains ne sont plus sensibles à cette question. Joe Biden a donc intérêt à faire de la politique, à expliquer par exemple que sur l'immigration Trump a fait beaucoup de promesses mais qu'il a été incapable de les tenir, à commencer par la plus connue, celle du mur qui n'a jamais été achevé. Ce mur devait être payé par le Mexique et le Mexique n'a pas déboursé le moindre dollar sur cette question-là. Concernant la lutte contre les cartels et les gangs qui apportent de la drogue aux Etats-Unis et qui ont contribué à une flambée d'overdoses avec le fentanyl, les chiffres ne plaident pas en faveur de Donald Trump. Sous sa présidence, il y a eu 50.000 overdoses la première année, 70.000 la deuxième, 90.000 la troisième et 120.000 la quatrième. Donald Trump ne peut pas expliquer qu'il a la solution sur cette crise. 

Donald Trump s’était aussi engagé à ce qu'une usine Ford qui devait se construire au début de sa présidence ne serait pas implantée au Mexique, sinon des taxes de 40 % seraient appliquées sur chaque voiture qui sortirait des usines Ford. L'usine s'est construite au Mexique et il n'y a pas eu 40 % de taxes puisque cela concernait des voitures américaines. 

Quand les candidats veulent défendre leur bilan, il est important de bien mener sa campagne. C’est ce genre de campagne qu’attendent les Américains. Ils ont besoin d'avoir un comparatif entre les bilans des candidats afin de pouvoir peser le pour et le contre et pour faire leur choix lors de l’élection en novembre.

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