Le rapport sur le "racisme" en France qui mélange tout : actes violents, discours haineux, antisémitisme, "islamophobie", "homophobie"... Pourquoi tant d’amalgames ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vouloir s’opposer au mariage pour tous ne signifiait nullement pour tous les manifestants d’être des homophobes.
Vouloir s’opposer au mariage pour tous ne signifiait nullement pour tous les manifestants d’être des homophobes.
©Reuters

Bouillie

Alors que le Conseil de l'Europe a publié ce mardi un rapport pointant du doigt la hausse généralisée du racisme en France, l'état actuel de la société française et des dérives qui s'y produisent aurait sans doute mérité une différenciation plus prononcée entre les différents types de violences.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, un organe du Conseil de l’Europe, publie ce mardi un rapport dénonçant "une augmentation importante du discours de haine et, surtout, de la violence motivée par le racisme et l’intolérance" en France. Dans quel contexte ce rapport est-il réalisé (à la demande de qui, comment, à quelle fin...) ? Que contient-il précisément ?

Guylain Chevrier : On explique, après la publication de ce rapport, que des experts du Conseil de l’Europe s’inquiètent de la "banalisation" des discours racistes en France, y compris de la part de responsables politiques, et de "l’accroissement des violences racistes, antisémites et islamophobes". On en reprend ici et là la conclusion générale, en se faisant l’écho de quelques références, comme l’augmentation des "violences racistes" recensées par le ministère français de l’Intérieur de 14% entre 2012 et 2014, et même de 36% pour les seules violences antisémites. On nous dit que ces experts de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dénoncent également l’homophobie et les discriminations anti-Roms. On devrait regarder les choses de plus près, au lieu de sauter sur l’occasion pour relier ce rapport à une situation de la France surtout marquée par les attentats. Ceci, d’autant plus qu’en le lisant, on y découvre un certain nombre d’amalgames qu’il est nécessaire de relever, pour distinguer plus clairement ce qu’il vaut d’en garder. C’est d’autant plus nécessaire que ses propositions sont fort éloignées de notre modèle républicain qui parait rester dans l’étrange pour ces experts.

Cette commission dont on relaie soudain les conclusions pour mettre la France gravement en cause, arrive comme à point nommé alors qu’elle est critiquée de l’intérieur comme jamais en raison de l’état d’urgence, qu’une partie importante de la gauche de la gauche et du PS lui-même crie au racisme à propos de la déchéance nationale, le tout poussé hors contexte des attentats meurtriers de novembre dernier, ses travaux ayant été arrêtés au 18 juin 2015. Ce rapport arrive comme un cheveu sur la soupe !

Il apparaît qu’il a surtout pour fondement de faire pression sur les autorités françaises, en raison du fait qu’elles n’aient pas pour projet de ratifier le Protocole mis au point par cette commission qui prévoit "l’interdiction générale" de la discrimination, considérée par elle comme un élément fondamental en matière de lutte contre le racisme et l’intolérance. Une "interdiction générale" dont la portée est à regarder à deux fois, pour mesurer les enjeux d’une telle ratification.

Il s’attache surtout à une dénonciation du racisme mis sur le même plan que l’homophobie ou la transphobie, en référence au mouvement LGBT, tel un fil rouge. On y parle du fait que le racisme ou l’homophobie constitue "une circonstance aggravante de toute infraction pénale ordinaire", notion introduite sous la formule désignant "la criminalité raciste et homo/transphobe" comme un tout, n’hésitant pas ainsi à assimiler des crimes propres à des violences allant jusqu'à l’assassinat avec l’homophobie ou la transphobie. La discrimination au titre du choix de l’orientation sexuelle est condamnable et condamnée en France par la loi, mais ce n’est pas un crime. Aller plus loin dans le prolongement de ce rapport serait sans doute franchir un cran de trop. Cette confusion entre crime et délit est assez malvenue, car très décalée au regard des enjeux découlant des derniers attentats et de ce qui y est rattaché, telle l’augmentation des actes anti-musulmans et particulièrement antisémites, qui concernent les cas les plus violents allant de la torture jusqu'au crime, des Juifs ayant été les victimes directes de ces attentats parce qu’ils étaient juifs.

Un rapport qui apparaît comme tendancieux et quelque peu hors propos, promis à l’instrumentalisation en raison de son hors contexte, ce que ne manquent pas de faire certains médias français, et motivé par des velléités qui mériteraient peut-être que le Conseil de l’Europe réinterroge cette commission.

Le rapport traite tout autant de violences racistes proprement dites que de ce qu'il appelle "les discours de haine". En regroupant ainsi actes et propos, n'ignore-t-il pas la distinction juridique essentielle entre ces deux notions ?

Le rapport parle d’"interdiction générale des discriminations", où l'on retrouve pêle-mêle comme victimes : musulmans, juifs, homosexuels, transsexuels, Roms..., tout en créant la confusion entre "violences racistes" et "discours de la haine", "actes" et "propos", par absence de hiérarchisation. Entériner cette proposition uniforme risquerait de conduire à des interdictions générales pouvant déboucher sur de graves atteintes aux droits que garantit notre démocratie. La loi distingue nettement en France, l’injure, la diffamation, la provocation, les violences, les discriminations, avec des sanctions proportionnées, entre délits et crimes, dont ce rapport ne tient nullement compte, bien au contraire qu’il amalgame derrière des notions très éloignées du droit, d’inspiration idéologique.   

Ce groupe propose la mise en place de : "dispositions pénales de lutte contre le crime de haine (…) érigés en infractions : l’expression publique d’une idéologie prônant la supériorité d’un ensemble de personnes ; la création ou la direction d’un groupement qui promeut le racisme, le soutien à ce groupement ou la participation à ses activités". Le crime de haine est une notion juridique à définir dans cet imbroglio général où tout est mis sur le même plan. Il ressort surtout un sentiment général, la volonté des auteurs d’aligner à tout prix, en grossissant le trait, "racisme", "discours de haine", "crime" et "lutte contre les discriminations relatives à l’orientation sexuelle", pour finalement les désigner sous le vocable incertain de "crime de haine". Reconnaitre juridiquement ce terme qui associe la notion de crime à un sentiment qu’il s’agirait de juger, ne pourrait que conduire à des confusions dangereuses attentatoires aux libertés.  La généralisation de la notion de "crime" concernant toutes les formes de discriminations, comme si c’était la solution à tout, est un leurre qui comprend bien des dangers. Eduquer contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations, l’homophobie…, reste l’enjeu essentiel, et nécessite du discernement, de bien savoir identifier ce qu’est un délit et ce qui le distingue d’un crime. Chose qu’il ne faut pas perdre de vue, derrière l’illusion qu’une sanction accrue à tout prix dans ce domaine, puisse résoudre tous les problèmes.

Par ailleurs, en associant le racisme à des termes beaucoup plus polémiques, comme les "discours de haine islamophobe" ou "homo/transphobie", ce rapport ne fait-il pas un certain nombre d'amalgames contre-productifs ? Lesquels ? Toutes ces dérives sont-elles équivalentes, ou même comparables ?

En suivant les explications du rapport, on distingue bien le fond du problème : "Le discours de haine s’est également accru  (….) à l’occasion de grandes manifestations organisées à l’échelle nationale par des associations de la société civile. Cela a notamment été le cas de certains participants des manifestations organisées lors de l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, et lors desquelles des propos et attitudes intolérants ont visé des groupes vulnérables, notamment les personnes LGBT". Si on suivait les recommandations du rapport à cet endroit, et si la France ratifiait dans cet état d’esprit ce fameux protocole proposé par cette commission, cela entraînerait des interdictions d’expression publique et des atteintes à la liberté d’opinion gravissimes, que l’on soit ou non en désaccord avec les manifestations en référence, par-delà certains débordements condamnables lors de celles-ci. Georgina Dufoix, ancienne ministre de François Mitterrand, a elle-même participé à ces manifestations, sans que l’on puisse la taxer d’homophobie ou transphobie, assimilable à un crime raciste. Vouloir s’opposer au mariage pour tous ne signifiait nullement pour tous les manifestants d’être des homophobes.

On fait référence dans ce rapport à la réglementation sur le port du voile lors de sorties scolaires, en insistant sur le fait de veiller à ce que les femmes musulmanes portant le voile ne soient pas l’objet de discriminations, sans pour autant s’interroger de ce que l’enfermement communautaire que le voile peut exprimer puisse compter de risque d’atteinte aux libertés, au libre choix de chacun et de chacune. Dans Wuppertal, ville allemande, des jeunes islamistes radicaux ont constitué "une police de la charia". Cette "police" privée, illégale, sillonne la ville afin de repérer celles et ceux qui pourraient boire de l’alcool ou se laisser aller à des jeux d’argent. Les filles que cette milice rencontre sont, elles, "invitées" à rester chez elles… Un quartier de la ville a été ainsi transformé par ces jeunes salafistes en "zone sous contrôle de la charia". Cette constitution d’une milice privée religieuse n’est pas un fait isolé car à Bonn, un groupe a ainsi essayé d’obliger une jeune femme musulmane à porter le voile… Un autre groupe a lui battu un jeune parce qu’il buvait de l’alcool. A Londres, une police privée de même nature agit pour mettre de l’ordre dans la communauté… En Angleterre, on a laissé s’installer des tribunaux islamiques sous couvert de liberté religieuse, mettant en œuvre ce que l’on nomme pudiquement "la charia courte". Autrement dit, une application de la charia, loi islamique, qui ne prévoit pas la lapidation ou les atteintes physiques aux personnes prévues par le code coranique, mais une soumission des femmes à un ordre patriarcal où toutes les violences morales au nom de la religion sont permises, lorsqu'elles ne sont pas physiques derrière le silence du communautarisme. Où se trouve la réflexion sur ces dérives que ne connait heureusement pas la France, qui viennent d’une priorité donnée à la protection d’une liberté religieuse qui peut entraîner des atteintes aux droits et libertés des personnes ?  

Dans cet état d’esprit, on fait référence dans ce rapport au terme contesté et contestable d’"Islamophobie" pour expliquer les discriminations. Un terme qui devrait faire réfléchir ces experts dont il est assez clairement établi qu’il est au service d’une interdiction de toute critique de la religion, alors qu’est fortement questionnée l’intégration de l’islam dans la République et que, des responsables musulmans eux-mêmes interrogent les références religieuses des textes en appelant à leur modernisation, très en avance sur les attendus de ce rapport à courte vue.

Un malaise ressort de ce rapport, alors que la France est mise en procès de racisme lorsqu'elle affronte une déclaration de guerre à être une République démocratique et que, justement, pour autant, on n’y a pas vu s'enflammer les esprits contre les musulmans. Bien que l'on relève une augmentation des actes anti-musulmans, il s'agit essentiellement de propos sur les réseaux sociaux et de dégradations, vis-à-vis de quoi il faut être sans concession aucune, mais sans aller plus ici jusqu'à les assimiler sans discernement à des crimes. Au regard de la façon dont les terroristes se réclament de l’islam, on peut considérer que cela ressort du miracle, à moins que tout simplement la France en raison de sa défense du principe d’égalité qui favorise le mélange, la mixité, en désamorce le risque, ce qui devrait constituer aux yeux de cette commission quelque chose d’assez estimable.

Affirmer que "l'intolérance" est globalement en hausse en France ne revient-il pas, du coup, à occulter des évolutions très spécifiques en les noyant dans un constat général qui ne permet pas d'en percevoir la gravité (des Juifs sont tués à bout portant par des Français musulmans, quand les actes antimusulmans ou "homophobes" se résument en général à des propos injurieux sur les réseaux sociaux...) ?

Le rapport en arrive à demander que "les systèmes de statistiques relatives à la criminalité raciste et homo/transphobe" soient renforcés par "des dispositions législatives en matière de collectes de données relatives à l’égalité." Ce qui abouti finalement à introduire la demande de statistiques ethniques, totalement contraire à l’esprit de notre République et à sa laïcité, à l’égalité de traitement des individus devant la loi quelles que soient leur origine, leur couleur, leur religion. Il en va semble-t-il d’une méconnaissance de notre société, pour lui plaquer tout simplement les règles d’un modèle anglo-saxon multiculturel, à travers cette façon de vouloir faire reconnaître un statut particulier à des "groupes cibles vulnérables", encourageant la reconnaissance juridique des différences. Une façon d’envisager la lutte contre les discriminations et le racisme, l’antisémitisme, qui n’a jamais réglé quoi que ce soit dans les pays où le multiculturalisme domine, qui masque les problèmes derrière les séparations communautaires qu’il encourage comme autant de murs entre les citoyens selon leurs différences, loin de tout mélange ou/et ouverture à l’autre, ce  quoi au contraire notre République invite, sans tabou.

L’ECRI pose deux recommandations dont une aux "autorités françaises de lutter efficacement contre la prévalence des stéréotypes et préjugés raciaux et homo/transphobes pour mieux résoudre les questions concrètes que pose le vivre ensemble dans un monde interculturel", reprenant le mélange entre modèle multiculturel, et défense d’une lutte contre les discriminations portant le thème central de l’orientation sexuelle. L’autre recommandation  insiste sur la légitimité de la reconnaissance de domiciliation des Roms comme groupe vulnérable, pour leur permettre un accès aux droits en toutes circonstances. On notera la contradiction qui peut exister ici entre la reconnaissance de groupes vulnérables et donc une logique communautaire, de minorités reconnues, et la revendication à un accès à des droits sur des conditions d’éligibilité à des dispositifs sociaux qui ne peuvent être relatifs qu’à des droits individuels inaliénables,  seuls capables de garantir la liberté des personnes. Un rapport qui passe largement à côté, du point de vue des buts qu’il poursuit de promotions des identités, de la réalité des préoccupations et des enjeux auxquels notre société se trouve gravement confrontée, relatifs à la radicalisation, et sur lesquels elle aurait eu besoin d’un tout autre éclairage.

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