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Le « moralisme conservateur » tout aussi grave que la délation gauchiste ? Le traitement réservé à deux professeurs de l’IEP de Grenoble révèle la crise profonde du monde universitaire
©Philippe DESMAZES / AFP

Académie

Extraordinaire témoignage que celui donné par Klaus Kintzer, professeur à l’IEP de Grenoble, lors d’un débat sur BFM TV mercredi 10 mars ! Il y raconte comment la directrice de l’IEP, Madame Saurugger, est dépassée par la polémique. Mais ce qui le choque le plus, c’est qu’en réunion des professeurs, on ait pu lui dire que son « moralisme conservateur » était tout aussi répréhensible que le comportement des étudiants qui ont jeté son nom en pâture à l’opinion publique.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Des facultés de sciences humaines et sociales coupées du réel

Je voudrais m’arrêter sur cet élément du témoignage car il dit toute la crise du monde des facultés de sciences humaines et sociales actuellement en France. Et ailleurs dans le monde occidental, bien entendu; mais concentrons-nous sur la France car les 300 morts victimes de l’islamisme, et en particulier la décapitation de Samuel Paty, n’ont visiblement pas encore réveillé un certain nombre d’universitaires de leur sommeil dogmatique. Tel est en effet le premier enseignement des événements à l’IEP de Grenoble. Nous vivons dans un pays où, malgré l’assassinat barbare d’un professeur de lycée, des universitaires peuvent ne pas réclamer des sanctions contre des étudiants qui encouragent à la haine et à la violence; et qui le font comme de banals Gardes Rouges d’une révolution culturelle néo-maoïste. Et d’où vient ce manque de sens des choses? D’où vient l’absence totale de rapport au réel de la part d’individus très diplômés et chargés de transmettre la connaissance? La dfénonciation du « moralisme conservateur » nous met sur la piste. 
Au secours, « l’ordre moral » revient. 
« Moralisme conservateur ». On ne serait pas dans un contexte tragique et très dangereux pour les deux professeurs concernés - Klaus Kinzler a confirmé qu’il était sous protection policière ! - il faudrait pousser un énorme éclat de rire. Moralisme conservateur, avez-vous dit? Personnellement, je prendrais comme un compliment d’être traité de « conservateur »; mais je n’ai pas le sentiment que Klaus Kinzler puisse être rangé » sous cette rubrique. Il me donne plutôt l’impression d’appartenir à une gauche modérée dépassée par le nouveau totalitarisme ambiant. Le plus important est cependant ailleurs. D’où parlent - pour utiliser une formule horripilante qu’ils prononcent souvent - les dénonciateurs du « moralisme conservateur » ? Dans l’esprit manichéen de ces très diplômés, le mal, c’est « la droite », « le passé », « la nation », « les frontières », « le capitalisme qui détruit l’environnement » mais c’est aussi « la morale », « l’ordre moral » ! Alors, mettez « moralisme «  et « conservatisme » ensemble, vous avez un des ces monstres qu’il vaut la peine de pourfendre, une des incarnations de la « bête immonde » ! D’ailleurs, comme le dit très bien Klaus Kinzler personne parmi ses collègues ne s’est levé pour dire aux autres: mais Klaus n’est pas fasciste ! 
On ne se lasse pas de la bonne vieille recette stalinienne
Nous voici plongés au coeur de l’imposture qui dure depuis les années 1930, depuis que le communisme a voulu faire oublier qu’il était par essence totalitaire et de la même famille que le fascisme et lui a collé une étiquette de droite ! Mais le fascisme est de gauche, historiquement ! Mussolini était le Lénine de la gauche italienne avant 1914. Il a compris avant le régime soviétique quelle était la puissance du cadre national pour réaliser le totalitarisme révolutionnaire. Staline a suivi les traces de Mussolini tout en forgeant une propagande de dénonciation du fascisme, qui devait coller comme une étiquette infamante aux conservateurs et aux capitalistes. C’était pour lui un « déviationnisme de droite » comme un autre. C’est bien pourquoi le terme d’islamo-gauchisme, forgé par Pierre-André Taguieff, est particulièrement bien trouvé. Il nous raconte, trois générations plus tard, la même histoire. L’internationalisme gauchiste a besoin, à un moment, de s’allier à un sentiment identitaire, à une communauté, qui lui donne des frontières, un cadre, une forme dans laquelle se déployer. C’est bien parce que le terme est efficace qu’il suscite de telles réactions. Et, en réponse, la bonne vieille machine de propagande se met en route pour crier au fascisme, dénoncer le racisme, l’antisémitisme. Peu importe que l’antisémitisme soit aujourd’hui quasi-exclusivement à gauche, chez tous les antisionistes, les islamistes et les gauchistes (ramenant l’antisémitisme à ses origines anticapitalistes). Peut importe que le racisme soit aujourd’hui quasi-exclusivement le fait des indigénistes, des décolonialistes, de Black Lives Matter - largement le produit de la pensée du nazi Heidegger recyclé par la gauche française après 1945, exporté aux USA sous la forme de la « French theory », et qui nous revient comme un boomerang. La ligne de front doit être clairement tracée: à bas le fascisme et l’extrême-droite. Comme il est difficile de traiter ouvertement Klaus Kintzer de « fasciste », on le traitre de « moraliste conservateur ». Staline a longtemps dénoncé les sociaux-démocrates comme des « sociaux-traitres » ! 
La nouvelle « Route de la Servitude ». 
Nous voilà sur une nouvelle « route de la servitude », très semblable à celle qu’identifiait le grand Friedrich Hayek, en 1944, lorsqu’il montrait que fascisme et communisme appartenaient à la même famille des « socialismes nationaux » et mettrait en garde contre l’étatisation croissante des sociétés à l’occasion des deux guerres mondiales. Nous voilà confrontés à nouveau à cette mentalité « gnostique » qu’Eric Voegelin fut le premier à identifier dans l’entre-deux-guerres:  Le totalitarisme auquel nous sommes confrontés est bien une métamorphose du grand courant religieux qui s’accroche au christianisme comme le lierre à l’arbre et menace de le stériliser. Comme tous les courants gnostiques, la nouvelle gauche universitaire vit en dehors du réel. Elle exalte l’individualisme mais déteste les êtres humains. Elle se préoccupe peu que des militants islamistes puissent s’en prendre à des collègues comme l’un d’entre eux a tué Samuel Paty. Non, il s’agit de combattre pour la pureté d’une cause et peu importe le nombre de victimes. Ces dernières sont des victimes de leur refus d’adhérer à « la vérité ». 
Car telle est la crise très profonde du monde des sciences humaines et sociales français où les individus sont bardés de diplômes d’Etat  (puisque l’université publique a le monopole des grades): si vous n’adhérez pas à l’idéologie dominante, vous êtes du côté des ténèbres. Si vous êtes à droite, on vous collera l’étiquette fasciste. Si vous êtes à gauche, on vous traitera de « moraliste conservateur ». Dans les deux cas, vous méritez d’être vilipendé, dénoncé, symboliquement lynché. 

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