Le monde selon Feydeau : le mari et l'amant<!-- --> | Atlantico.fr
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Micheline Boudet, Robert Hirsch et Jean Piat le 09 décembre 1961 sur la scène de la Comédie Française dans la pièce ''Un fil a la patte'' de Georges Feydeau.
Micheline Boudet, Robert Hirsch et Jean Piat le 09 décembre 1961 sur la scène de la Comédie Française dans la pièce ''Un fil a la patte'' de Georges Feydeau.
©AFP

Bonnes feuilles

Christophe Barbier publie « Le Monde selon Feydeau : Portes qui claquent, maris cocus, quiproquos et fous rires » aux éditions Tallandier. Roi du Paris de la Belle Époque et dramaturge de génie, Georges Feydeau (1862-1921) a dédié sa vie à distraire ses contemporains tout en les caricaturant. Christophe Barbier nous montre combien l’art de Feydeau est intemporel. Extrait 1/2.

Christophe Barbier

Christophe Barbier

Christophe Barbier, journaliste et éditorialiste français, a été le directeur de la rédaction de L’Express de 2006 à 2016 et est chroniqueur sur BFMTV. Il est l’auteur de plusieurs essais politiques et d’un Dictionnaire amoureux du théâtre (2015).

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Peut-il en être autrement ? Dans le théâtre de Georges Feydeau, le mari et l’amant sont les deux faces du même personnage. Non seulement parce que le séducteur d’un soir peut se retrouver le cocu du lendemain, tant les intrigues rebondissent, mais aussi parce que la psychologie du mâle est, chez lui, une et indivisible. Il y a du coq et du pigeon dans l’homme « feydaldien ». Le coq aime séduire, il se croit irrésistible et ajoute la lâcheté à la vanité en se cachant de sa femme s’il est marié, du mari s’il est amant. Le pigeon se retrouve défait et piteux, soupirant éconduit ou rentrant bredouille en son caleçon, ou bien mari adultère démasqué par son épouse. Enfin, si le mari et l’amant sont proches, c’est parce qu’ils sont… proches ! Très souvent, ce sont des amis, parfois des intimes. L’aventure est plus drôle et la conquête plus savoureuse si la proie chassée appartient au cheptel qu’un ami vous expose chaque jour avec fierté. Plus la propriété est privée, plus le cambriolage est excitant.

Georges Feydeau se distingue ici de Sacha Guitry, qui ne cessera de séparer, voire d’opposer, les psychologies structurelles, les ADN sentimentaux de l’amant et du mari. Cocasse divergence quand on songe qu’à 14 ans, le futur auteur de Faisons un rêve se rendit au domicile des Feydeau, tant il était amoureux de Marie-Anne, pour lui offrir un bouquet de fleurs. « Qu’elles sentent bon ! Merci, mon petit ! Tu remercieras bien ton papa pour moi ! » lui répondit l’épouse du vaudevilliste, se méprenant sur la démarche… Si Georges Feydeau explore les points communs, les zones de frottement, entre le mari et l’amant, c’est par atavisme. Ernest, son père, connaît un immense succès (le seul de sa carrière…) en 1857, avec le roman Fanny, dont l’intrigue psycho-sentimentale passionne les foules par son originalité paradoxale : Roger est l’amant de Fanny, une femme mariée ; plus le temps passe, plus il est jaloux du mari et refuse de partager avec lui le cœur et le corps de l’être aimé… La scène où l’amant, depuis un balcon, entend sa maîtresse faire l’amour avec son mari, subissant une torture insupportable, assure la renommée de l’œuvre et de l’auteur.

Dans les pièces de Feydeau, mari et amant se ressemblent parce que la mécanique du désir et celle de l’humiliation sont les mêmes. Mais cette quasi-gémellité est à l’origine de la première méprise  : s’il est mon ami, il ne peut songer à séduire ma femme. C’est ce que pense Charançon dans L’Affaire Édouard :

Charançon. –  Ce bon Édouard !… Quand je pense que j’ai pu le soupçonner. Idiot, va ! Il ne pouvait pas être son amant, puisqu’il est mon ami !

Dans l’esprit de l’amant, c’est l’inverse : être l’ami du mari, c’est être le plus légitime, en tout cas le mieux placé pour en être le suppléant. Ainsi raisonne Moricet dans Monsieur chasse !, quand il courtise la femme de Duchotel :

Moricet. –  Qu’est-ce que je vous demande après tout ? Une chose toute naturelle… entre gens qui sympathisent… Votre mari s’en va à la chasse… Je suis son ami, c’est tout simple que je vous demande de me consacrer votre soirée.

Léontine. – Comment donc !… jusqu’à demain matin.

Moricet. –  Demain matin, de bonne heure !… Il faut que je sois à huit heures à mes affaires, ainsi …

Croyant que l’amitié est un vaccin, dans Le Dindon, Vatelin pardonne aussi à Pontagnac d’avoir suivi sa femme ; plutôt que de s’en offusquer, car il connaît la nature de coureur de son camarade, il s’en amuse :

Vatelin. –  Eh bien ! voilà, ça vous apprendra à suivre les femmes ! Vous tombez sur la femme d’un ami et vous êtes bien avancé !… C’est votre leçon !…

Pontagnac. – Eh bien ! je l’avoue ! Vous ne m’en voulez pas, au moins ?

Vatelin. – Moi, mais voyons !… Je sais bien que vous êtes un ami… par conséquent !… Et puis, dans ces choses-là, n’est-ce pas, ce qui m’embête parce qu’enfin je suis sûr de ma femme c’est d’avoir l’air d’un imbécile. Un monsieur suit ma femme, je me dis : il peut savoir qui elle est ; il me rencontre, il pense : « Tiens, voilà le mari de la dame que j’ai suivie », j’ai l’air d’un serin, mais vous, n’est-ce pas, vous savez que je sais ; je sais que vous savez que je sais ; nous savons que nous savons que nous savons ! alors, ça m’est bien égal, j’ai pas l’air d’un imbécile !

Pourtant, Vatelin était averti, puisqu’il a lui-même dépeint Pontagnac à sa femme en ces termes :

Vatelin. – Au fait ! je ne sais pas si c’est très prudent ce que je fais là de te présenter Pontagnac. […] Ah ! c’est que c’est un tel gaillard. Un tel pécheur devant l’Éternel ! Tu ne le connais pas ? Il ne peut pas voir une femme sans lui faire la cour ! il les lui faut toutes !

Lucienne. – Toutes ! Ah ! ça n’est pas flatteur pour chacune.

Pontagnac. – Oh ! Madame, il exagère ! (À part.) Est-il bête de lui raconter ça !

Lucienne. – Quelle déception pour la pauvre femme qui a pu se croire distinguée et qui finit par s’apercevoir qu’elle n’est qu’additionnée.

L’ami n’est pas un allié, il est un traître, qui saisit la première occasion pour encorner le front de celui qui lui fait confiance. Dans Occupe-toi d’Amélie !, Étienne confie sans hésiter sa dulcinée à son ami Marcel… qui s’empresse de passer la nuit avec elle.

Marcel. – Ah ! pourquoi est-il mon meilleur ami ?… Car enfin, il ne serait pas mon meilleur ami, regarde comme ce serait simple ; je ne serais plus qu’un monsieur qui a passé une nuit avec une dame… et ça, ça se voit tous les jours !…

Amélie. – Sans compter qu’on ne l’aurait pas passée ensemble, la nuit !

Marcel. – Ah ?

Amélie. –  Car, n’étant pas le meilleur ami d’Étienne, il ne t’aurait pas dit : « Occupe-toi d’Amélie !… » Marcel. – Mais oui !… Mais alors… ! au fond, c’est sa faute, tout ça ! […] Ah ! et puis zut, aussi ! Est-ce que j’ai une gueule de tuteur !… Pour qui me prend-il ?… Pour un eunuque ?… Est-ce qu’il s’imagine que je n’ai pas un tempérament tout aussi bien que lui ?… Est-ce qu’il n’a pas couché avec toi, lui ?…

Amélie. – Tout le temps !

Marcel. – Eh ! ben, alors ?

Un mari ne doit décidément faire confiance à personne, surtout pas à son meilleur ami. C’est ainsi que Paillardin, dans L’Hôtel du libre-échange, partage l’intimité de son couple avec Pinglet (il n’arrive plus à satisfaire les ardeurs de son épouse), sans se douter que ce même Pinglet en pince pour madame Paillardin…

Marcelle. –  Je vous avouerai vraiment que j’attendais autre chose du mariage !… Ah ! on a du mérite à rester une femme honnête avec vous ! […] Mais prenez garde qu’il ne me vienne un jour l’idée d’aller le chercher ailleurs, ce bonheur que vous ne me donnez pas chez moi !

Paillardin. – Toi !

Marcelle. – Pourquoi pas !… Il y en a de plus laides que moi qui ont trouvé des consolateurs !

Paillardin. –  Ah ! la bonne farce !… Mais ne te gêne donc pas, ma chère amie !… Mais prends donc ton consolateur ! […]

Marcelle. – Eh bien, voilà ! voyez comment il me parle, mon mari ! Voilà comment il me parle !… Ah ! c’est trop fort !

Pinglet. – Marcelle ! Marcelle ! Je t’aime !

Marcelle. – Hein !…

Pinglet. –  Ah ! non, non ! il est trop bête ! il est trop bête ! Vous êtes témoin, n’est-ce pas, que je lui ai dit tout ce qu’il y avait à lui dire ?… J’ai bien rempli mon devoir d’ami ?

Marcelle. – Oui !

Pinglet. – Je lui ai dit qu’il faisait une bêtise !… Il s’entête à la faire !… Eh bien ! tant pis pour lui !… Je ne retiens qu’une chose : c’est que quand vous l’avez menacé de prendre un consolateur, il vous a répondu  : prenez-le !… Eh bien, si vous avez un peu de caractère, vous devez le prendre, ce consolateur. Ah ! mais…

Marcelle. – Oui !… vous avez raison !

Pinglet. – Et ne me dites pas que vous n’avez personne sous la main. Je suis là, moi !

L’aveuglement des maris est tel que certains offrent même leur femme, sans le savoir, à leur rival. Chandebise, dans La  Puce à l’oreille, ne sait pas que la lettre d’amour qu’il a reçue, avec rendez-vous à la clef, est un piège tendu par sa femme, et il propose l’aventure à Tournel, qui soupire aux pieds de madame Chandebise depuis longtemps :

Chandebise. – Mais regarde-moi ! Est-ce que je puis inspirer des béguins, moi ?… tandis que toi, mais c’est tout naturel ! c’est ta fonction. Tu as l’habitude de tourner la tête aux femmes ; tu es beau… […] Enfin, quoi ! il y a des femmes qui se sont suicidées pour toi ! Est-ce vrai, oui ou non ?

Tournel. – Oh !… une !

Chandebise. – Ah !

Tournel. – Et encore, elle va très bien.

Chandebise. – Enfin, ça n’empêche pas.

Tournel. – De plus, c’est très contestable. Elle s’est empoisonnée en mangeant des moules. […] Je venais de la quitter ; elle a répandu le bruit que c’était par chagrin. Mais elle a beau dire, quand on veut mourir, on ne choisit pas les moules !… c’est trop aléatoire.

Extrait du livre de Christophe Barbier, « Le Monde selon Feydeau : Portes qui claquent, maris cocus, quiproquos et fous rires », publié aux éditions Tallandier.

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