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Le Grand Méchant Blanc et les inepties de la sororité
©LUDOVIC MARIN / AFP

Atlantico Litterati

Pascal Bruckner publie « Un coupable presque parfait », ou la construction du bouc émissaire blanc (Grasset).

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

L’Amérique du Bien voudrait nous inculquer la détestation du Grand Méchant Blanc. « Mais Paris sera toujours Paris », disait à Voltaire Mme du Deffand.

« Le sens le plus ancien du mot Satan, c’est le calomniateur qui transforme des innocents en faux coupables, en boucs émissaires », indique René Girard (1923-2015),dans son essai « Le bouc émissaire »(Poche/Grasset).

L’innocent dont la fausse culpabilité va rendre service au groupe, telle est la théorie qu’illustre Pascal Bruckner dans son nouvel essai :« Ce coupable presque parfait ». Un beau brûlot dans lequel le philosophe se rebiffe contre le politiquement correct qui envahit la France, via les relais de la « woke left » Lire à ce sujet « White » de Bret Easton Ellis(« Laffont-2018), qui réfléchit au désastre intellectuel provoqué par la pensée unique. Pour comprendre ce qui se joue aux Etats-Unis du côté des femmes, des gays et de toutes les minorités, il faut aussi lire -ou relire- cette bible du néo-féminisme que fut en 1997 l’essai de Judith Butler :« Troubles dans le genre » . « Dans cet ouvrage, la philosophe définit la French theory ( née aux Etats-Unis), soit tout ce qui concerne l'ambivalence d’un sujet soumis à un pouvoir et devenu le produit de cette soumission. Ce livre est essentiel au principe de la théorie queer afin de bousculer l'hétérosexualité obligatoire  »  .

Outre le fait que nous ne sommes ni anglais ou Allemands, la France a inventé jadis les « Salons Littéraires », animés par des femmes amoureuses des arts et Lettres. Parmi les salons littéraires fondés à Paris au milieu du xviiie siècle, il faut citer celui de la marquise du Deffand, peinte par Voltaire en ces termes :

« Ce qui est beau et lumineux est votre élément ; ne craignez pas de faire la disserteuse, ne rougissez point de joindre aux grâces de votre personne la force de votre esprit ». Une définition de la Française, cette femme que nous envie le monde entier pour sa « tête aussi bien faites que bien pleine», dirait Montaigne.L’art de la conversation qu’ignorent les anglo-saxons est une spécialité du féminin français.  D’où l’habitude d’un mode de relations avec les hommes (cf.la cour, la galanterie etc.) ignoré aux USA. La Française n’est pas « exploitée » comme le sont parfois encore ses « sisters » anglo-saxonnes, plus ou moins victimes du puritanisme ambiant, donc reléguées dans le tiroir du bas de l’imaginaire collectif des Texans, Munichois, Danois ou Californiens. A Paris l’on n’est pas prêt à renier son hétérosexualité pour se libérer de la domination masculine. Et l’on n’est pas obligé non plus de trouver chez Judith Butler de quoi satisfaire aux modes de vies convenant aux Européens, en particulier à la fantaisie des Francaises, dont la singularité- dans leur mode de relation aux hommes- continue de faire sensation, longtemps après Mme du Deffand. Une French-femme n’est pas pour rien la compatriote de Madame de La Fayette, Colette, Duras, Beauvoir, Badinter, Cixous et Sagan. Le féminisme universaliste est démodé, répondent les néo- féministes : c’est un féminisme de blanches, donc « excluant » (sic). L’homme blanc soude les groupes antagonistes et permet au désir mimétique de se renforcer. Et nous sommes condamnés (sous peine d’effacement politique via « la cancel culture » inventée aux Etats-Unis) à penser tous ensemble la même chose en même temps, afin d’aller d’un seul et même pas vers cette terre promise du Camp du Bien que serait le féminisme « intersectionnel ». Miracle ou «  bêtise au front de taureau » ?

Les Français -ce « grand et vieux peuple » (cf. de Gaulle) tomberont-ils dans le panneau ?La bien-pensance née dans les colonnes du New –York- Times, du Washington- Post et autres medias contaminés par la « woke left » répand sur nos terres la doxa des campus américains. La haine de la domination masculine hétérosexuelle passera-t-elle à Lille, Rennes, Marseille, Bordeaux, Toulouse et sur les ponts de la Seine ? Pascal Bruckner, intellectuel français se dressant contre la pensée unique souhaite sans doute activer la capacité de résistance du vieux continent. Depuis le temps que nous rongions notre frein face aux inepties proférées par certains démonteurs de statues et autres « théoriciennes » de la sororité, auxquels nous n’osions répondre, par peur de nous entendre traiter de « racistes » ! Seul contre tous les clichés et faux semblants, Pascal Bruckner ose. Car le « néo – féminisme »- encore appelé « féminisme intersectionnel » ou « Afro féminisme »- semble avoir quelque chose à voir avec une haine quasi totalitaire de tout ce qui n ‘est pas lui, soit cette pensée inculte et rétrograde. La France réunissant de par son histoire et sa géographie une population plutôt « blanche »- et ce d’autant plus paisiblement que la République n’a jamais été anti « diversité »- au contraire, elle sait que « Black Lives matter », certes, mais se dit que «  Black, yellow, red ou white skin », peu importe : c’est la vie  qui « matters », pas la couleur. Chez les néo-féministes, au contraire la guerre est déclarée avec les peaux pâles, en particulier celle des hommes. Ils ont le cuir épais, on peut les malmener pour se venger de la Domination Masculine chère à Bourdieu. Dans cette affaire, le fascisme n’est pas où l’on croit. A la différence de ce qui se joue dans les pays anglo-saxons, nous n’étions pas sous le joug d’un puritanisme tel qu’il imprègne la société américaine depuis toujours. Nous ne saurions donc trahir Mme du Deffand pour faire cause commune avec nos sisters en colère. Notre histoire, notre culture, nos traditions nous amènent à une typologie des modes de relations femmes-hommes sans équivalent en Occident.L’anti-sexisme adossé à cette régression qu’est tout mépris pour une race, quelle qu’elle soit - ici la race blanche- manifeste un défaut d’intelligence qui nous indispose, nous les disserteuses. Pascal Bruckner- écrivain de la subtilité -a toujours combattu la bêtise, donc le racisme : « Directement importés des Etats-Unis le genre, l’identité et la race succèdent à la lutte de classes. L’homme blanc est un prédateur raciste exploiteurs de tous les dominés de la terre, en particulier les femmes. Il faut l’abattre, le combattre, le réduire à néant. Il est l’ennemi de nos sociétés « tribalisées », dit l’éditeur, pour résumer l’entreprise littéraire de Pascal Bruckner. « Comment le féminisme de progrès est-il devenu un féminisme de procès ?»,  s’étonne l’auteur, car rien n’est moins porteur d’espoir que la pensée haineuse: « L’ennemi c’est la relation amoureuse tout court, ou l’hétérosexualité ». Et si la bêtise régnait dans le camp- tendance pétasse -des « intersectionnelles » ? Et si personne n’osait réfuter, par exemple, les affirmations déconcertantes de platitude de Rokhayia Diallo, ce « phare de la pensée » (sic), au risque de se voir « cancelled » ? Autre diktat du néo-féminisme : « Il ne faut pas pénaliser les racisés » (c’est à dire les migrants ».Et encore ceci :« Une femme ne donne jamais de vrai « consentement » car elle est sous emprise ». Esclaves du Grand Méchant Blanc, les femmes du XXIème siècle seraient toujours contraintes, toujours forcées. Simone de Beauvoir, qui ne s’interdisait aucune aventure amoureuse, doit se retourner dans sa tombe. Blanche, donc « dominante » nous dit Madame Diallo, Beauvoir est « universaliste » et son féminisme est « excluant » (sic) et démodé, tel celui, - né longtemps après les créations du Castor d’Elisabeth Badinter, « excluante » et démodée elle aussi, puisque blanche non lesbienne ni transgenre. Pour les néo- féministes, seule une femme noire peut évoquer le sort d’une femme noire. Un homme n’a pas le droit de parler des femmes. Il serait à côté de la plaque. Ce postulat est la négation de toute littérature, puisque la fiction, par exemple, et une grande partie de l’art poétique, consistent à découvrir le ressenti de la pierre au bord du chemin (Flaubert), l’arbre devant la porte, les mots perdus et retrouvés des revenants, le cri des animaux, les soupirs des végétaux (Michel Onfray), le langage des étoiles (Oscar Wilde) etc.

Je connais Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut- ces « frères d’encre » - depuis toujours. Brillants et singuliers disciples de Roland Barthes, ces « jumeaux d’écriture » aimaient déjà ces mêmes livres, de semblables insolences, et toujours ils me surprenaient par cette manière nonchalante qu’ils avaient déjà d’avoir toujours raison dans leurs intuitions. Bruckner et Finkielkraut sont frères d’intelligence et de talent sur la scène littéraire contemporaine. Ils ont l’art et la manière de percevoir avant tout le monde les petits frémissements sociétaux agitant nos individualités complexes, qu’ils savent déceler, reconnaître, classer, définir et aimer. Ils sont en effet des écrivains bienveillants. Ils aiment la littérature et ceux qui la font. Ils sont philosophes, mais surtout écrivains. Ils perçoivent donc tout vite et savent exprimer les nuances de nos petits cœurs complexes et de nos vies débordées.

Dans « Un coupable presque parfait », Bruckner rabat le caquet des néo-féministes et du politiquement correct qui tue l’art et la pensée. « La grandeur ou la beauté d’une œuvre, désormais, n’est plus sa complexité ou son invention formelle, mais sa conformité au crédo moral du temps » Plus cette phrase : « L’amoureux est un herméneute qui tâtonne dans un univers de signes confus. » On sent l’influence de Barthes. Et encore : « La richesse du commerce amoureux réside dans son indécision ». Barthes, toujours. Par contraste, on note avec délectation les moqueries que l’auteur adresse aux néo-féministes : « Dans la relation sexuelle, la femme subit les assauts d’un monstre bestial ».Tout un programme. Au sujet du féminisme « intersectionnel » qui n’amuse guère Pascal Bruckner, Rokhaya Diallo - auteure de rares livres- et réalisatrice de quelques documentaires-fut récemment engagée aux « Global Opinions » du Washington Post ; il est permis d’être surpris lorsqu’on lit la présentation que fait le rédacteur en chef de cette « impératrice internationale du féminisme contemporain ». D’après son rédacteur en chef, Rokhaya Diallo est « L’une des personnalités publiques les plus importantes de France pour son travail éclairant (si, si, ndlr ) sur les inégalités raciales et de genre ». « Engagée à offrir à nos lecteurs de quoi comprendre les questions sociétales à travers le monde ( !!!, ndlr) « nous sommes heureux de présenter son point de vue crucial sur ces questions en Europe, et au delà   ». 

Les Américains, parmi lesquels j’ai longtemps travaillé et vécu, croient tout ce qu’on leur dit. La France et les Français les bluffent. Ils sont intimidés jusque dans les couloirs du Post, en leur cœur de métier  : la presse, domaine dans lequel ils sont les meilleurs du monde. A moins que la Chine ? Quoi qu’il en soit, le point de vue « crucial » de Madame Diallo surprendra plus d’un plumitif français. « La femme référente reste blanche et, de ce fait, le féminisme français tend à considérer en priorité les préoccupations des femmes dominantes (sic). Les problématiques des corps non blancs sont invisibilisés ( ???ndlr)Le CAP de coiffure dispensé par l’Education Nationale ne sanctionne pas la capacité à coiffer les cheveux crépus. »(l’Obs/2019). Crucial.

Une chose est sûre : Rokhaya Diallo n’a guère de passion pour la France : «  En réalité la France reste une puissance très moyenne, dont les valeurs sont largement partagées par de nombreux autres pays. Contrairement à ce que l’on croit, notre pays n’est pas le centre du monde (…) Il n’est pas catholique mais laïc. L’islam est la deuxième religion du pays, avec beaucoup de jeunes qui s’en revendiquent.(…). Les groupes français qui cartonnent à l’international sont Kassav et les Gypsy King, pas forcément Edith Piaf. (…) (…)Mais s’il faut être rationnel, rappelons que la France n’est pas un pays très accueillant par rapport à ses voisins. Par ailleurs, je cite dans mon ouvrage des études qui montrent que l’immigration ne coûte rien à la France. Au contraire elle lui rapporte de l’argent par le biais des différentes taxes, dont la TVA. La plupart des immigrés sont jeunes, ils consomment et travaillent pour financer les retraites des Français les plus âgés (..)

Personne n’ose contredire Rokhaya Diallo lorsqu’elle lance sur les plateaux ses plates ou fumeuses théories. La contester serait faire preuve de racisme. CQFD.

Un coupable presque parfait/Pascal Bruckner/Grasset/20, 90 euros

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