Le gouvernement en pleine opération de rachat de son électorat<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement cherche à se réconcilier avec son électorat traditionnel.
Le gouvernement cherche à se réconcilier avec son électorat traditionnel.
©Reuters

Hausse de rémunération pour les fonctionnaires

Le gouvernement promet des hausses de salaires “non négligeables” pour les fonctionnaires, qui devraient toucher "entre 30 et 40 euros par mois" et jusqu'à 70 euros de plus à l'horizon 2020 selon Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Quelles sont les raisons officielles qui expliquent le relèvement du traitement des fonctionnaires ? Quelles sont les raisons officieuses ? Le gouvernement pense-t-il pouvoir se réconcilier avec les fonctionnaires ?

Eddy Fougier : Les négociations de ce matin et les annonces de hausse de pouvoir d'achat pour les fonctionnaires illustrent une volonté de se réconcilier avec cet électorat. Dans une conjoncture difficile, on observe que deux projets de loi ont fait l'objet de critiques féroces de la part des fonctionnaires (avec les projets de loi sur le collège et sur la santé). Ces réformes concentrent les critiques, avec une grande majorité des enseignants s'opposant notamment au projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem. Après ces critiques, la gauche souhaite se rabibocher avec une cible élctorale. Il s'agit aujourd'hui d'avantage de panser des plaies que de mobiliser un électorat pour 2017. 

Dans un contexte de vâche maigre budgétaire, un point d'indice gelé et un pouvoir d'achat en berne pour les fonctionnaires, l'idée est de faire en sorte que ces fonctionnaires ne s'opposent pas à la politique du gouvernement, et se rangent de nouveau derrière le Président et son gouvernement. L'horizon reste 2017. Le résultat des négociations nous dira si cette initiative trouve un écho. 

A quel point le gouvernement a-t-il perdu pied électoralement chez les fonctionnaires ?

Pour le moment, on ne parle pas nécessairement d'enjeux électoraux, mais plus de dimensions corporatistes. Le corps des fonctionnaires est très large (des catégories A aux catégories C), et diagnostiquer un divorce n'est pas évident. La côte de popularité du gouvernement et les résultats électoraux (élections européennes, municipales et départementales) traduisent le désemparement d'une partie de l'électorat de gauche, dont les fonctionnaires font partie, face à la politique de l'éxécutif. Je ne pense pas que les négociations qui s'ouvrent ont uniquement une idée électoraliste en tête. Il s'agit également d'éviter une période de grève et un blocage, à la fois dans les établissements scolaires comme les établissements hospitaliers.

A une époque, Sarte disait "il ne faut pas désespérer Billancourt". Je dirais aujourd'hui qu'il ne faut pas désespérer la fonction publique, surtout quand on est un gouvernement de gauche. 

Une telle stratégie peut-elle s'avérer efficace ? A quel prix ? Ou bien est-ce trop tard ?

Peut-être que le gouvernement va développer une stratégie, mais cet épisode ressemble d'avantage à du coup par coup, pour donner du lest à des réformes qui ne passent pas. La marge de manoeuvre, en particulier budgétaire, est très étroite. Certes, il faut, dans chaque négociation, du grain à moudre, mais le contextre budgétaire restreint les négociations. Entre une sorte de clientélisme électoraliste pour ne pas désespérer la fonction publique, et les contraintes budgétaires bruxelloises, le gouvernement se retrouve dans une voie étroite, qui lui impose de ne pas trop lâcher la bride. Par ailleurs, ces négociations risquent d'être tendues et certains sujets, non prévus à l'ordre du jour, pourraient se retrouver au coeur de ces négociations. 

Tous les gouvernements sont dans une logique clientéliste, chaque gouvernement ayant sa propore clientèle, au sens strict du terme. A droite, on pensera aux catégories qui paient trop d'impôts, pour tenter de les limiter ; à gauche on songera au pouvoir d'achat des plus déshérités, aux fonctionnaires ou aux retraités. La ficelle peut être un peu grosse, mais le travail d'un gouvernement, et même si c'est choquant, au-delà de l'intérêt général, est de penser à sa clientèle électorale. Messieurs Valls et Hollande sont très impopulaires, y compris dans leur sphère électorale. Au-delà de ces négociations, on l'a vu lors du Congrès du Parti socialiste à Poitiers, ces politiques multiplient les clins d'oeil. On va de plus en plus observer ces signaux au "peuple de gauche" comme à certaines personnalités. En plus des fonctionnaires, le gouvernement risque de gauchiser sa posture (même si le 49-3, de nouveau annoncé, sera impopulaire). 

Par quels autres biais le gouvernement tente-t-il de racheter l'électorat que ses orientations politiques lui ont fait perdre ?

Sur le plan économique, la ligne définie par le gouvernement reste sociale-libérale. Sur le social, le gouvernement bute sur des contraintes économiques. La marge de manoeuvre est très étroite, et quelques avancées ne seront peut-être pas payées électoralement. En revanche, le gouvernement peut exploiter d'autres biais, et envoyer des signaux, par un certain nombre de symboles. La Une de Libération du vendredi 12 juin titrait "enfin une mesure de gauche" sur la loi d'encadrement des loyers. Ce type de mesure peut souder un électorat dispersé. Ces idées ne sont pas toujours très consensuels, mais je crois que c'est une carte à jouer. 

Un sondage Ifop pour Atlantico montrait que seulement 5% des Français trouveraient dans le projet une raison de voter pour l'éventuelle candidature de François Hollande. Sur quelles catégories d'électorat la gauche aurait-elle, dans ces conditions, intérêt à miser ?

Je me souviens d'une enquête réalisée par Terra Nova, recommandant, pour 2012, de viser d'avantage pour la gauche les "bobos" et les électeurs étrangers ayant acquis la nationalité, au détriment des classes populaires. Cette enquête avait fait l'objet de nombreuses critiques. Aujourd'hui la présidence Hollande est dans une situation de porte-à-faux par rapport à de très nombreuses catégories sociales. La gauche n'arrive pas, depuis 20 ans, à se reconnecter avec les catégories populaires. Pour François Hollande, retrouver un électorat chez les ouvriers et les employés, sera très compliqué. 

Les cadres supérieurs de la fonction publique, grognent également ; quand les cadres supérieurs au sens large ne se sont toujours pas remis des hausses d'impôt du début du mandat. Je ne parle pas des professions libérales, des artisans, des commerçants ou des agriculteurs, qui semblent avoir un rejet particulièrement fort de la gauche au pouvoir. Au bout du compte, il ne reste pas grand chose, ce qui explique vos 5% ! Les mesures clientélistes décrites ci-dessus, dans une enveloppe de rejet des probables candidats Sarkozy et Le Pen, conjuguées à une conjoncture économique meilleure, pourra remobiliser un électorat, et permettre au pouvoir de se refaire une santé. 

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