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Le dilemme du Royaume-Uni : la reprise demande plus de main-d'œuvre qu'il n’y en a mais les capacités d’accueil des immigrants sont déjà sous tension
©Reuters

Paradoxe

Le Royaume-Uni va bien, un peu trop même : il manque de plus en plus de main d’œuvre qualifiée pour pourvoir les nouveaux postes créés par la croissance. David Cameron paye ainsi les conséquences de sa politique anti-immigration.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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La société britannique est-elle aujourd'hui en mesure d'accueillir davantage d'immigrés ?

Guylain Chevrier : Comme l’Allemagne, l’Angleterre est confrontée à une injonction paradoxale, la nécessité d’avoir recours à la main-d’œuvre étrangère, tout en étant en mal d’intégration des populations migrantes qui arrivent sur son sol. Ce qui l’amène à freiner une politique qui a été longtemps celle d’un accueil inconditionnel uniquement fondé sur la logique économique. L’opinion britannique est beaucoup moins favorable aujourd’hui à cet accueil, puisque selon une enquête récente, seulement un britannique sur dix y est favorable. Un sentiment qui ne peut qu’être renforcé par  l’incapacité de l’UE à résoudre sérieusement la crise migratoire actuelle, en nourrissant un peu  plus l’euroscepticisme, pour peser sur les décisions du gouvernement en la matière.

Quels sont les facteurs indépassables qui expliquent les crispations actuelles sur le sujet, alors même que le Royaume-Uni était un pays traditionnellement ouvert à l'immigration ?

Guylain Chevrier :  L’accroissement des blancs et pauvres à la marge de la vie des grandes villes pèse électoralement dans le sens d’un télescopage avec une immigration perçue comme un désavantage dans la course à l’emploi, même si cela devrait être modéré par une forte croissance anglaise et un faible taux de chômage. Ceci est à remettre dans le contexte d’une croissance qui profite d’abord aux secteurs porteurs à haut niveau de qualification qui ne concerne donc pas tout le monde et tout d’abord pas, derrière ce renouveau économique lié à la dévalorisation de la livre, une partie de l’Angleterre abandonnée à sa pauvreté. C’est de ce côté qu’il faut chercher aussi la dynamique d’une extrême droite qui était encore méconnue il y a peu outre-manche.  Les dernières statistiques publiées font état d’un solde migratoire de 260.000 personnes au Royaume-Uni au cours de l’année écoulée 2013- 2014, c’est-à-dire une augmentation de 43 % de plus que l’année précédente. Un autre phénomène vient renforcer une immigration déjà régulière ven

Quel regard les Britanniques portent-ils aujourd'hui sur le multiculturalisme ?

Guylain Chevrier : Dans ce contexte, l’évocation de plus d’immigration renvoie les Anglais à des risques supplémentaires du point de vue des tensions qui traversent déjà la société anglaise, alors que l’actualité est régulièrement secouée par des difficultés rencontrées avec les communautés dont les dérives communautaristes, comme l’application de la charia courte par des tribunaux islamiques, a pu défrayer la chronique. Il y a aussi les affrontements intercommunautaires qui font l’actualité, sans oublier les traces des attentats de Londres qui ont fait s’effondrer l’idée que le multiculturalisme exorcisait certains risques. On se rappelle que le Premier ministre britannique, David Cameron, comme la chancelière allemande Angela Merkel en 2010, avait dénoncé l'échec de la politique de multiculturalisme dans son pays, en appelant à mieux intégrer les jeunes musulmans pour lutter contre l'extrémisme. La marque d’un changement important dans la politique britannique à l'égard des minorités ethniques et religieuses. Malgré la volont

Les entreprises britanniques rencontreraient des difficultés à répondre aux besoins de main d'œuvre qui lui impose la consolidation de la reprise économique. Quelle ampleur ce phénomène prend-il ? De quel type de main d'œuvre s'agit-il (qualifiée ou pas) ?

Pierre-François Gouiffes : Il faut d’abord parti de la situation conjoncturelle britannique qui est particulièrement brillante quand on la compare à la situation française : nos voisins d’outre-manche connaissent la croissante la plus élevée de l’ensemble des pays du G7 (2,8% en 2014, prévisions de 2,4% et 2,3% en 2015 et 2016). Le taux de chômage est dans la zone des 5%, exactement à la moitié du taux de chômage français…

Donc les institutions économiques internationales, notamment le FMI et l’OCDE, se concentrent sur les risques de tensions sur le marché du travail, enjeu notamment mis en avant dans l’étude économique de l’OCDE de février 2015 : « La promotion d’une économie fondée sur la connaissance pourrait s’appuyer en particulier sur des actions qui encourageraient les immigrants hautement qualifiés à venir vivre et travailler au Royaume-Uni, pour contribuer à combler les pénuries de compétences et accroître la productivité du travail. » Dans son rapport de juillet 2014, Le FMI préconise de la même façon un assouplissement des restrictions à l’immigration dans les secteurs où l’on constatait des pénuries de main d’œuvre comme le secteur manufacturier.

Donc l’enjeu concerne à la fois les emplois qualifiés (ou les étudiants) et les secteurs en pénurie de main d’œuvre

Le Royaume-Uni va-t-il être contraint de faire appel à l'immigration, alors même que le gouvernement Cameron a tenté d'y mettre un coup d'arrêt ? 

Pierre-François Gouiffes : Il y a en effet une forte contradiction entre les engagements de campagne de David Cameron, amené après sa nette et imprévue victoire de mai 2015 à gouverner sans coalition et les protestations des organisations patronales britanniques suite à ses premières annonces en matière d’immigration.

La question de l’immigration a constitué un élément central du manifeste conservateur pour les élections générales de 2015, beaucoup plus encore qu’en 2010 : La thématique « British First » inclut ainsi la volonté de durcir considérablement l’accès des immigrés aux prestations sociales voire le tourisme sanitaire, l’un des aspects majeurs de la future campagne référendaire sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, et la volonté de durcir encore la lutte contre l’immigration clandestine.

Mais c’est la politique de quotas relative aux travailleurs qualifiés (20 700 annuels), la volonté de relever le salaire minimum pour les travailleurs qualifiés (20 800 livres par an) ou l’obligation pour les entreprises de publier d’abord leurs annonces d’emplois au Royaume-Uni sous peine de sanctions qui a généré de fortes protestations des milieux d’affaires, comme l’atteste par exemple un récent article de The Economist mettant en exergue les menaces sur la reprise liées à la politique migratoire du gouvernement Cameron. Tant le puissant Institute of Directors(IOD) que la Confederation of British Industry(CBI), équivalent britannique du MEDEF, sont montés au créneau : s’ils admettent la nécessité de lutter contre l’immigration illégale, le projet d’augmentation de la taxe sur les visas des travailleurs migrants les révulse. Ils indiquent en outre que la question du coût du travail n’a que peu d’influence sur les décisions des entreprises de recourir à la main d’œuvre étrangère.

Donc il y a percussion à ce stade entre les promesses de campagne d’un David Cameron concurrencé sur sa droite par l’UKIP et les positions souvent libérales des organisations patronales en matière d’immigration, qui mettent en avant un risque sur le rythme et la persistance de la reprise.

De quelles marges de manœuvre le Royaume-Uni dispose-t-il pour privilégier une politique d'immigration choisie ?

Pierre-François Gouiffes : Le problème est fondamentalement politique. David Cameron, seulement quelques semaines après sa victoire électorale et par ailleurs embarqué avant fin 2016 dans un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne où les questions d’immigration seront importantes, ne peut que suivre sa ligne visant à une réduction tous azimuts (immigration illégale et légale, non qualifiée et qualifiée, travailleurs et étudiants) de l’immigration nette britannique. D’une certaine manière le projet est celui d’une immigration choisie mais minimale. Au moins au niveau du discours politique.

De quelles autres options l'économie britannique dispose-t-elle ?

Pierre-François Gouiffes : De longue date les études économiques sur le Royaume-Uni constatent la nécessité de redresser à moyen terme sa productivité du travail. La solution de court terme préconisée par les organisations patronales est la libéralisation de l’accueil de travailleurs migrants qualifiés. Le gouvernement conservateur met en avant son objectif d’améliorer le capital humain des salariés britanniques domestiques, un objectif légitime selon l’IOD et le CBI mais qui mettra au moins une décennie à porter ses fruits, et qui ne supprime pas leurs pressions sur la solution immédiate visant à accueillir, dans une logique de wimbeldonisation de l’économie britanniques « les meilleurs et plus brillants talents globaux ». Un point qui n’était pas du tout dans le manifeste conservateur « British first » de David Cameron.

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