Le dérèglement climatique menace de plus en plus les sports d’hiver et de montagne en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon des données publiques, l’économie touristique de la montagne française (5 600 communes, 25% du territoire national) représenterait 20 milliards d’euros.
Selon des données publiques, l’économie touristique de la montagne française (5 600 communes, 25% du territoire national) représenterait 20 milliards d’euros.
©AFP

Bouleversement

Le recul de l’enneigement commence indéniablement à ébranler toute l’économie alpine.

Rémy Knafou

Rémy Knafou

Rémy Knafou est professeur émérite à l'université Paris 1 – Panthéon Sorbonne. Auteur de Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable, éditions du faubourg (2023).

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Atlantico : Les changements climatiques bouleversent l'activité des montagnes. Les Alpes se sont réchauffées d'environ 0,5 degré chaque décennie depuis les années 1980, à tel point que les Alpes françaises deviennent trop dangereuses pour les alpinistes l'été. L'économie de cette région est-elle menacée par le réchauffement climatique ? 

Rémy Knafou : Il faut nuancer le tableau selon les altitudes et la morphologie des montagnes, même si l’ensemble du massif alpin est concerné par le recul du pergélisol et les descentes en masse de matériaux sur des grands versants en cas de fortes chutes de pluie.

Indiscutablement, le recul de l’enneigement commence à ébranler toute l’économie alpine, mais le ski n’est pas tout et la montagne a des atouts importants à faire valoir, à la condition d’arriver à allonger les autres saisons touristiques, ce qui ne sera pas facile en France, où le rapport culturel à la montagne et la structure du capitalisme qui s’est constitué dans les Alpes du nord, là où le ski est encore triomphant, sont très différents de ce qu’on observe dans la partie germanique de l’arc alpin : en Suisse, en Autriche, en Haute-Bavière, la montagne est fréquentée en toutes saisons, ce n’est pas le cas des Alpes françaises où la saison d’été demeure courte, la plupart des acteurs économiques vivant d’abord du ski n’éprouvant pas le besoin de travailler davantage, surtout pour un marché de l’arrière-saison insuffisamment constitué. Malgré cela, le discours officiel s’évertue à mettre en avant un « tourisme des quatre saisons », lequel demeure un vœu pieux depuis qu’il a été conceptualisé, il y a maintenant un demi-siècle…, à Valmorel, par Michel Bezançon, connu pour avoir été en particulier l’architecte de La Plagne et de ses nombreux satellites.

Les sports d'hiver sont des activités qui peuvent disparaître ?

Il y a, au moins, trois cas de figure.

D’abord, les lieux où les sports d’hiver ont déjà disparu, faute à la fois d’un enneigement régulier et d’une clientèle suffisante (on estime généralement qu’il faut au moins 100 000 skieurs/ an pour atteindre la rentabilité) : ainsi, en Suisse, ces dernières années, quatorze petits domaines skiables ont fermé ; en France, ce sont 168 sites qui ont fermé (la plupart d’entre eux n’avaient que une ou deux téleskis), les massifs bas étant les plus concernés (Massif central, Vosges, Jura), mais les grandes montagnes (Alpes, Pyrénées) n’y échappent pas non plus.

Deuxième cas de figure, les stations de moyenne altitude (autour de 1000 m dans les Alpes du nord), menacées par la montée des températures et l’accroissement de la variabilité de l’enneigement. Face à cette menace, les réponses sont variées mais, schématiquement, on peut les ranger en deux grandes catégories : les stations qui vont tout faire pour retarder l’échéance, notamment en créant de nouvelles retenues d’eau afin d’alimenter des canons à neige, politique doublement risquée car elle ne constitue pas une parade suffisante si le réchauffement continue à s’accélérer (il faut du froid pour faire fonctionner les canons) et elle hypothèque gravement la reconversion de l’économie locale en portant davantage atteinte au capital naturel que l’écotourisme peut et pourra valoriser ; quand elles le peuvent, certaines stations commencent à déporter en altitude leur front de neige, comme c’est par exemple le cas aux Gets (Haute-Savoie), où , à 1100 m, on sait qu’en 2050, même avec de la neige de culture, on aura du mal à atteindre les 100 jours skiables.

Inutile de dire que la catégorie des stations qui sont prêtes à tous les aménagements pour retarder l’inéluctable est la plus nombreuse, tant il est vrai qu’il n’est pas facile d’arriver à imaginer d’abandonner un modèle économique jusqu’alors très rentable ; l’autre catégorie est surtout représentée par la station de Métabief dans le Jura, qui a pris acte, de la disparition prochaine de l’économie des sports d’hiver, et se prépare à des activités de remplacement dont on sait qu’elles ne seront jamais aussi lucratives que l’économie du ski.

Troisième cas de figure, les stations de haute altitude sont les mieux armées pour faire face à ces temps difficiles pour la montagne hivernale : elles sont doublement favorisées par leur altitude qui leur assure un enneigement naturel qui devrait leur permettre de passer le cap du milieu du siècle, et un équipement plus précoce et plus massif en canons à neige, à la condition de poursuivre leur politique de production de neige artificielle. Mais même ces stations doivent déjà faire face au recul d’une partie de leur activité, lorsqu’elles doivent renoncer à skier sur leur glacier, comme à Tignes ou à La Plagne. Ainsi, pour l’essentiel, le ski d’été dans les Alpes françaises est une parenthèse historique qui s’est déjà refermée.

Que représente le tourisme pour l'économie de la montagne ? Comment cette économie peut survivre si le ski ou l'alpinisme disparaissent ?

Selon des données publiques, l’économie touristique de la montagne française (5 600 communes, 25% du territoire national) représenterait 20 milliards d’euros. Le poids économique total du tourisme de montagne en hiver est estimé à 10 milliards d'euros par an, selon un rapport parlementaire de 2020. Sur les 250 stations françaises de ski, la répartition est très inégale puisque les grandes et très grandes stations, principalement alpines, concentrent 78 % des journées-skieur.

Par définition, le poids du ski est essentiel dans les régions qui en vivent car on estime que pour 1 € de forfait, 6 € supplémentaires sont dépensés en station ou autour dans la vallée.

Économiquement, l’alpinisme et le ski ne sont pas à mettre sur le même plan : en France, l’alpinisme n’est important que dans le massif du Mont-Blanc, mais même à Chamonix (plus de 200 guides) ou à Saint-Gervais - Les Contamines (environ 64 guides), cette activité n’est pas à l’échelle du ski (la Compagnie des guides de Chamonix réalise un chiffre d’affaires de 2,8 millions d’euros, alors qu’en 2019, la Compagnie du Mont-Blanc (qui exploite les remontées mécaniques de la vallée, plus quelques-unes à Saint-Gervais et à Megève) avait un chiffre d’affaires de près de 100 millions d’euros). En revanche, l’alpinisme constitue un élément central de l’identité de ces haut-lieux touristiques, fondateurs du tourisme alpin.

Face au recul de la très lucrative économie des sports d’hiver, la réponse n’est pas facile car on sait que les solutions ne seront probablement jamais à la hauteur de ce qui sera perdu.

Néanmoins, la montagne a des arguments à faire valoir, en particulier la situation de refuge climatique face à l’augmentation de la chaleur dans les basses vallées où se trouvent les principales agglomérations urbaines. Dans les Alpes, la température diminue en moyenne de 0,6° par 100 m d’élévation, observation importante quand on la met en relation avec la prévision de Météo France qui annonce jusqu'à 43 jours de canicule à Grenoble en 2050, contre 3 par an aujourd'hui.

Dans ces conditions, il est essentiel que les communes de montagne, confrontées à un réchauffement supérieur à ce qui s’observe en plaine, s’engagent dans des politiques de prévoyance afin de préparer une transition qui sera d’autant plus difficile à affronter qu’elle aura été retardée ou niée. Et ce d’autant plus que la montagne française bénéficiera moins que d’autres montagnes européennes de l’effet d’atténuateur de crise que constitue l’existence d’un capitalisme familial, comme en Suisse ou en Autriche ; ce de ce point de vue, ce sont les moins menacées à court et moyen terme, c’est-à-dire les grandes stations d’altitude des Alpes, gérées par de très grandes entreprises capitalistiques, qui seront les plus exposées, lorsque ces sociétés considèreront que le rendement de leur investissement sera insuffisant ou trop risqué.

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