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Le crédit, c'est bien ou mal ? La Banque centrale veut accélérer le crédit mais la Banque de France le freiner. Comment comprendre ce risque de tête-à-queue ?
©ERIC PIERMONT / AFP

Telle est la question

Le crédit c’est bien, et il en faut plus en zone euro, déclare Mario Draghi, pour sortir du marasme actuel. Le crédit c’est dangereux, dit en France le Haut Conseil de la Stabilité Financière dans sa réunion du 18 mars. Qui faut-il croire ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Le crédit c’est bien, et il en faut plus en zone euro, déclare Mario Draghi, pour sortir du marasme actuel. « Le rythme annuel de variation des prêts aux sociétés non financières a diminué, s’établissant à 3,3 % en janvier 2019, contre 3,9 % en décembre 2018, reflétant… la réaction… au ralentissement de l’activité économique, tandis que le taux de croissance annuel des prêts aux ménages est resté inchangé, à 3,2 %... (Donc) nous avons décidé de mener, entre septembre 2019 et mars 2021, une nouvelle série d’opérations trimestrielles de refinancement à plus long terme ciblées (targeted longer-termrefinancingoperations, TLTRO-III), chacune d’une échéance de deux ans. Ces nouvelles opérations contribueront à préserver des conditions de prêts bancaires favorables et une transmission harmonieuse de la politique monétaire. » En zone euro, il faut ainsi, non seulement, maintenir à 0% les taux courts, maintenir le portefeuille des titres publics pour peser sur les taux longs, mais encore financer davantage les banques à des conditions très favorables, pour qu’elles fassent plus de crédit moins cher aux entreprises. Plus de crédit, ce sera donc plus d’investissement, puis plus d’emploi et de salaires, donc plus de croissance et d’inflation. Tout ce que Mario Draghi veut depuis le début de son mandat, et qu’il n’a pas encore obtenu !

Le crédit c’est dangereux, dit en France le Haut Conseil de la Stabilité Financière dans sa réunion du 18 mars. Donc les banques doivent augmenter leurs fonds propres pour rendre le crédit plus cher, autrement dit pour le freiner.« L’endettement du secteur privé non financier continue de croître pour atteindre 133,3 % du PIB au 3ème trimestre 2018 (59,2 % pour les ménages et 74,1 % pour les sociétés non-financières, SNF), (ce) qui est supérieur à la moyenne de la zone euro comme à ceux de nos principaux partenaires. Pour les SNF, la hausse de l’endettement reste marquée (+6,0 % sur un an en janvier 2019), portée à la fois par la progression des encours de crédit bancaire et de dette de marché. La progression du crédit concerne toutes les tailles d’entreprises… L’encours de crédit aux ménages continue également de progresser à un rythme soutenu : +5,5 % sur un an en janvier 2019, principalement porté par le crédit immobilier ».Le Haut Conseil décide alors de relever « le taux du coussin contracyclique de 0,25 point de pourcentage des actifs pondérés par les risques sur les expositions françaises », pour le porter à 0,5 %. A partir du 2 avril, les banques auront ainsi douze mois pour augmenter les fonds propres destinés à protéger leurs crédits, en réalité pour le renchérir.

Bel exemple de non-coordination entre BCE et BdF! Et c’est la deuxième fois que ceci a lieu !Ainsi, la politique monétaire soutient d’un côté la progression du crédit dans la zone, mais la politique macro-prudentielle,à savoir la solidité des structures de bilan des banques,inquièterait en France. Quand même, la part des crédits non performants en France est de 2,9% du total, couverts à plus de 51%. Certes, c’estun peu plus que 1,4% pour l’Allemagne, mais qui sonteux couverts à 41%, mais que se passe-t-il vraiment chez Deutsche Bank, Commerzbank, et dans les Landesbanken ? Etil ne faut pas oublier que 9,4% des crédits sont compromis en Italie, 12% au Portugal, ou 44% en Grèce ! En réalité, le système bancaire français est le plus puissant et solide de la zone, et le plus internationalisé. Est-ce là le problème, pour le freiner ?

À continuer ainsi, la BCE va continuer à financer davantage l’Italie, le Portugal et la Grèce et nous ici à freiner la croissance française en augmentant les taux du crédit, ce qui pourrait nous pousserà augmenter la dette publique ! La France, en effet, ne s’endette pas davantage dans le secteur privé pour s’endetter moins dans le secteur public : elle fait les deux ! Le logement, si utile pour la croissance, mobilise 30% de plus de crédit que le financement des entreprises – ce qui fait monter les prix du logement ! Pourquoi ne pas financer plutôt des tours de logements neufs que des logements anciens de plus en plus chers ?Et le financement à crédit des entreprises monte parce que l’investissement est plus tonique – c’est bien, et surtout parce que la rentabilité de l’investissement dépasse les taux d’intérêt : c’est rationnel ! C’est l’effet levier qui est à l’œuvre, pour renforcer la rentabilité des fonds propres – c’est donc bien, si les excès sont évidemment surveillés et évités. C’est ainsi que les marges se reconstituent, mais pasencore au niveau de l’Allemagne : il est donc plus rentable en France de s’endetter pour doper la rentabilité des fonds propres, et les faire ainsi croître dans les entreprises françaises, souvent jugées sous-capitalisées.

Donc, comment comprendre cette opposition entre politique monétaire laxiste au niveau de la BCE et politique macroprudentielle restrictive à celui de la Banque de France ? Quatre explications.

  • Est-ce une faute de coordination ? Ce serait mal.
  • Est-ce un « jeu », une série de mesures pour monter que chacun fait sa part du travail ? Ce serait « moyen » et au final plutôt négatif pour la France.
  • Ou bien la preuve de l’inquiétude d’un risque systémique français, devant un risque de fragilisation de nos grands groupes bancaires et financiers ? Ce serait excessif et contradictoire, car alors la croissance privée ralentit et la dette publique monte.
  • Est-ce enfin l’idée de renforcer les groupes français, pour les mettre mieux à même de participer à la consolidation du secteur, dont tout le monde parle et qui n’a lieu aujourd’hui encore qu’au sein des pays, Italie ou Allemagne (pris au hasard) ? Dans ce cas, ce ne serait pas mal !

Alors : erreur, astuce, inquiétude excessive, ou préparation stratégique ?Ah, si ça pouvait être cette dernière possibilité !

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