Laïcité : voilà ce que nous disent vraiment ceux qui se félicitent que la tolérance des jeunes Français soit bien supérieure à celle de leurs aînés<!-- --> | Atlantico.fr
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Les historiens Charles Mercier, de l’université de Bordeaux, et Philippe Portier du CNRS, ont dirigé une enquête sur le rapport des 18-30 ans à la laïcité.
Les historiens Charles Mercier, de l’université de Bordeaux, et Philippe Portier du CNRS, ont dirigé une enquête sur le rapport des 18-30 ans à la laïcité.
©AFP

En finir avec la laïcité

Spoiler : la réalité qu’ils dévoilent est beaucoup moins souriante qu’ils ne le voient.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Une enquête d’opinion sur les 18-30 ans, a entendu évaluer le rapport entre des jeunes mondialisés et la tolérance à la diversité : traduisez, en finir avec la laïcité.

Les historiens Charles Mercier, de l’université de Bordeaux, et Philippe Portier du CNRS, ont dirigé une enquête sur le rapport des 18-30 ans à la laïcité. L'objectif était d'évaluer dans quelle mesure l'inscription ou non des jeunes dans un environnement globalisé a une incidence sur leur positionnement à l'égard de la laïcité française. Deux laboratoires de recherche français ont réalisé, avec l’institut Kantar, l’enquête, de ce domaine dit, « encore inexplorée ». Dans un entretien au Monde, les deux historiens donnent leur lecture de cette enquête. En substance, ils expliquent que la jeunesse, influencée par la mondialisation, est plus ouverte à l’expression des identités religieuses, et qu’ainsi, au regard de la laïcité « la tolérance des jeunes français est bien supérieure à celle de leurs ainés ». Ils en développeraient une conception plus « inclusive » nous dit-on. La formule en dit déjà beaucoup sur la façon d’en juger.

L’état de réceptivité et de compréhension de la laïcité, un enjeu biaisé

Les jeunes se disent à 52% sans religion, ce qui est interprété comme leur éloignement du religieux institutionnel, mais qui seraient en revanche, beaucoup plus libéraux vis-à-vis des manifestations religieuses individuelles, des signes religieux. Le principe de laïcité serait avant tout, pour 29% de « mettre toutes les religions sur un pied d'égalité », pour 27 % « la liberté de conscience des citoyens », pour 22% « séparer les religions de la sphère politique et de l’Etat », pour 15 % « faire reculer l’influence des religions ». On en déduit la tendance dominante à une « laïcité d’ouverture », passant par l’égalité entre les cultes. Ce que révèle surtout les questions posées, c’est la confusion ainsi créée envers la laïcité, étrangère à l’idée « d’égalité de traitement des religions » (concordat) autant qu’à la volonté de « recul » de celles-ci (athéisme). On oriente ainsi inévitablement les réponses au regard de ce qu’elle n’est pas. Selon l’enquête, 89 % des interrogés comprennent et connaissent bien le terme laïcité, mais au vu des réponses obtenues aux questions posées, on ne peut qu’en douter, à moins que l’on cherche effectivement à leur faire dire autre chose. Derrière cette idée de « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », on interroge quelque chose d’autre que la laïcité, la reconnaissance par l’Etat des communautés religieuses, le choix du multiculturalisme, en fait, son contraire. Un égal traitement des cultes par l’Etat l’engagerait à garantir leur entretien, rompant avec la séparation, et ainsi avec la protection de la liberté de conscience de tous, l’égalité entre les citoyens.

Concernant la tolérance aux signes religieux, pas de raz-de-marée. La question a été posée à des salariés d’entreprises privées, des agents du service public, des élèves de lycées publics. 44% en moyenne y sont favorables, 28% opposés, mais surtout, 25 % n’y sont ni favorables ni opposés. Ce qui souligne l’importance d’une transmission fidèle du principe de laïcité qui semble faire défaut pour se positionner. Selon l’enquête, un peu plus de deux tiers des jeunes Français pensent qu’elle devrait évoluer. Mais aucun consensus sur les modalités de cette évolution n'émerge : 35% de ceux qui le pensent souhaitent plus de tolérance envers l'expression des identités religieuses, mais en fait, 42% sont pour plus de fermeté.

Tolérance, mondialisation « heureuse » et confrontation des modèles

63 % des jeunes interrogés offrent un rapport dit « plus positif » à la mondialisation. « Les données de notre sondage montrent en effet que plus les jeunes sont mondialisés, plus ils sont ouverts à la tolérance envers l’autre dans l’expression de ses convictions religieuses », car plus en contacts avec la « diversité ». Ainsi, « La manière française de réguler les signes religieux dans l’espace public étant une exception à l’échelle des démocraties occidentales », en voyageant « des « politiques multiculturelles fondées sur la reconnaissance des identités » pourraient « leur apparaître plus pertinentes en termes de vivre-ensemble. ».  Par exemple, tolérer le voile intégral, comme une autre façon de gérer les signes religieux dans l’espace public au nom de la diversité, cela peut-il être considéré comme une plus grande liberté que de protéger celles auxquelles les intégristes religieux risquent de l’imposer ? 

On pose innocemment dans cette analyse, la question de savoir si ces jeunes ne se rapprocheraient pas de « la laïcité à l’anglo-saxonne » (on appréciera cet oxymore) avec une forte visibilité des minorités ? » N’en irait-il donc que d’une tolérance plus grande aux différences comme forme de liberté, si on suit la tonalité générale de cet exposé ? Le modèle anglo-saxon fondé sur la « non-discrimination », reconnait publiquement et politiquement les communautés, leur délègue une bonne partie de la gestion des relations de leurs membres, en étant loin d’assurer la même égalité, c’est peu dire, que la laïcité. Derrière le mur de la communauté, l’individu voit s’envoler l’autonomie de ses droits concédée à l’intérêt supérieur du groupe, au chef religieux ou au gardien de la tradition. Le port d’un signe ostensible de reconnaissance devient obligatoire, car manifestant une pression communautaire sur la société par chacun de ses membres dont on entend tirer avantage, telle que le droit de faire prévaloir ses rites religieux et culturels. De quelle liberté supérieure parle-t-on ?

« Pendant longtemps a prédominé, en France » affirme-t-on, une laïcité d’assimilation [les minorités sont invitées à se fondre avec le modèle dominant]. Aujourd’hui, les jeunes semblent davantage soutenir une laïcité « d’interculturalité » – et non « multiculturaliste » – avec une acceptation des différences si elles respectent le cadre des principes constitutionnels démocratiques. » Quelle différence entre ces termes ? L’un n’entrainerait-il pas l’autre ? Si on accepte les différences, au sens de ne pas en restreindre l’expression, n’est-ce pas favoriser partout une logique de reconnaissance communautaire et donc, le multiculturalisme, et même sa dérive, le communautarisme, mot absent de ce tableau ? Une fermeture peu favorable au respect des principes communs. Il n’y a pas d’alternative entre le modèle républicain laïque égalitaire, et le modèle anglo-saxon du multiculturalisme, il faut choisir. Ce que l’on veut éviter à tout prix ici, semble-t-il, c’est de nommer ce conflit de modèles.

Une tendance à la séparation des jeunes musulmans au regard des autres

Du côté des jeunes « qui appartiennent à des minorités – principalement les musulmans, mais aussi les pentecôtistes », on souhaite une évolution vers une forte coopération entre les pouvoirs publics et les cultes, et une plus grande tolérance vis-à-vis de l’expression des identités religieuses. » Pour justifier cette tendance, on interroge de savoir si cela ne serait pas une réaction de défense face à une laïcité qui, en France, constituerait une « hégémonie culturelle ». Mais la montée de ce genre de revendications identitaires chez une part croissante de nos concitoyens musulmans, est un fait général dans les sociétés occidentales. Ce qui annule l’argument. Si protestants, musulmans et catholiques sont dits comme défendant tendanciellement une laïcité de « reconnaissance », le religieux est plus important aux yeux des musulmans, qui sont de loin les plus revendicatifs, 85 %, contre 53 % des catholiques, et plus encore en regard de la moyenne des jeunes, 30 %. Le concept de liberté serait « au cœur de leur définition de la laïcité ». Mais de quoi parle-t-on au vu de leurs revendications ? L’exemple de la multiplication des abayas dans l’école publique a plutôt donné le sentiment d’une contestation de la laïcité. On a heureusement été ferme sur les principes, en posant des limites à cette influence néfaste, par une neutralité religieuse protectrice des élèves.

Ils sont « 87 % à considérer que la laïcité est instrumentalisée par des personnalités politiques et des journalistes » pour dénigrer leur religion, contre 60 % pour l’ensemble de l’échantillon. Chiffre mis en relation « avec leur niveau d’identification comme citoyens français, inférieur à la moyenne des 18-30 ans (57 % contre 68 %) », comme pour le justifier. En revanche, ils « se sentent davantage citoyens du monde (52 % contre 44 %), se déclarent plus à l’aise dans la mondialisation (84 % contre 63 %) et sont plus nombreux à vouloir améliorer les conditions de vie de personnes qui vivent à l’autre bout du monde (65 % contre 42 %) ». Cela ne serait-il pas en réalité le reflet, plutôt que d’un « cosmopolitisme » invoqué, du fait que leur religion passe au-dessus de tout, et cette vision « internationaliste », à chercher dans l’idée de se penser comme communauté religieuse au-dessus des nations, « l’oumma » tout simplement. Aucune réflexion de ce côté. « Le modèle interculturel articulant différence et unité », structurerait ainsi « l’univers des jeunes de confession musulmane ». La formule est jolie mais au vu de ce que révèlent l’enquête, on ne peut que s’inquiéter pour notre cohésion sociale.   

D’une jeunesse diplômée « tolérante » au vécu différent de celle des milieux populaires

Pour « un nombre significatif » de ces « jeunes tolérants », réussir sa vie, « c’est plutôt s’engager pour un collectif. Une forme de dépassement du néolibéralisme semble émerger (…) l’impression d’une jeunesse qui (…) se situe à un carrefour. » On évoque leur désintérêt pour la politique dans son versant institutionnel, « un désalignement électoral ». Ceci manifestant l’écart entre les préoccupations portées dans le champ politique et celles des jeunes. « La jeunesse mondialisée diplômée s’inscrit dans ce schéma d’une citoyenneté active (grandes causes collectives) » dit-on. On omet de les nommer, mais on les connait, qui caractérisent « le progressisme » qui va avec la déculturation d’une citoyenneté inscrite dans la nation : défense des minorités, fin des frontières, ouverture à l’immigration, écologie radicale…  Agrémenté du mythe d’être « citoyen du monde ».  « Tandis que » constate-t-on, la jeunesse moins diplômée prend ses distances vis-à-vis des grands enjeux du temps… ». Il est vrai que cette dernière a d’autres préoccupations, des couches plus populaires pour lesquelles le seul recours est d’exister en se faisant entendre à travers la nation, même si c‘est par les urnes en votant (on peut toujours le regretter) extrême. Les jeunes diplômés mondialisés ne seraient « pas motivée par une inquiétude identitaire », selon « le concept de nation culturelle ou « ethnique », puisque « l’identité de la France » pour eux « se réinvente sans cesse (…) en contexte d’ouverture…». Mais le bât blesse dès que l’on s’intéresse à l’autre jeunesse, celle moins diplômée, 25 % des interrogés, des catégories populaires, où « on retrouve davantage l’idée que les immigrés posent problème, et que les traditions qui fondent la France sont menacées ». Ce n’est sans doute pas un hasard, car elle constate dans la réalité la volonté de certains d’imposer leurs normes religieuses aux autres, qui exprime leur rejet du vivre ensemble. La loi contre le séparatisme n’a pas eu ici les effets escomptés.  

Pour nos deux historiens, le « religieux implicite » se porterait plutôt bien chez les jeunes « à travers leurs croyances métaphysiques et leur attachement à des collectifs ou à des formes de rituels ». Ainsi, si l’on connait depuis les années 1950 un mouvement de « décatholicisation », « des réaffirmations s’opèrent tantôt sur le mode d’une sensibilité intégraliste [qui entend fusionner le politique et le religieux] plaçant la règle religieuse au fondement de l’existence individuelle », façon curieuse de présenter l’intégrisme religieux comme une forme d’expression positive d’un retour du croire, «  tantôt, plus fréquemment, sur le mode d’une inclination spiritualiste, donnant une place centrale aux interprétations subjectives des contenus de foi. », formule bien obscure, mais qui autorise cette conclusion attendue : « notre sondage remet assez largement en cause l’idée selon laquelle les dieux se seraient effacés de nos horizons de sens ». Une déclaration en forme de victoire qui va avec une contestation de la laïcité qui constitue le fil rouge de cette enquête.

Une conclusion qui valide l’hypothèse initiale de l’enquête, pour enterrer la laïcité

Finalement, la lecture proposée de l’enquête autant que l’enquête elle-même, valident une intention de départ : la tolérance aux signes religieux et aux communautés, au nom d’une mondialisation libérale ouvrant sur la diversité, passe par enterrer la laïcité. On a bien compris le message…

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