La guerre de Taïwan a déjà lieu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
En août dernier, la visite de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, avait grandement irrité la Chine.
En août dernier, la visite de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, avait grandement irrité la Chine.
©Sam Yeh / AFP

Conflit

Bien que l’invasion de l’Ukraine par la Russie ait mis en lumière la question d’une potentielle attaque de la Chine sur Taïwan, les Occidentaux passent largement à côté des hostilités déjà enclenchées par Pékin pour soumettre sa voisine démocratique.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

Voir la bio »

Atlantico : L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en lumière la question d’une potentielle attaque de la Chine sur Taïwan, mais les Occidentaux semblent passer à côté des hostilités déjà enclenchées par Pékin. A quel point la Chine mène-t-elle déjà une forme de guerre (d’influence, de désinformation et de propagande) contre Taïwan ?

Emmanuel Lincot : La perception de la Chine comme une menace n'est pas la même à Bruxelles et à Washington. Pour les Européens de l'est, la guerre entre Moscou et Kiev est essentielle. En dépendent leurs intérêts vitaux. Pour les Américains, le conflit en Ukraine est un épiphénomène. L'objectif prioritaire de toute leur stratégie est la Chine et le problème de Taïwan. Cette différence de perception est importante car elle met l'accent sur un point que nous savons depuis longtemps: les Américains donnent une priorité à l'Asie et pas à l'Europe. Donc les Occidentaux ne forment pas un bloc et n'ont pas la même vision stratégique. Même si l'on trouve par ailleurs des similitudes entre l'Ukraine et Taïwan: ce sont les deux pays les plus directement exposés à la menace d'un hégemon autoritaire. Guerre de haute intensité pour les Ukrainiens, guerre d'usure (cyberattaques, provocations par violation de ses espaces aériens et maritimes...) pour les Taïwanais; lesquels sont liés à des accords stratégiques de défense avec les Etats-Unis - le Taïwan Relations Act, en vigueur depuis 1979 - qui donnerait à un conflit déclenché par la Chine  contre l'île une dimension planétaire. Avec raison donc les Américains considèrent qu'une guerre entre la Chine et Taïwan auraient des conséquences beaucoup plus sérieuses que la guerre en Ukraine. Côté Taïwanais, on se  prépare militairement au pire en suivant très attentivement le théâtre des affrontements en Ukraine. Une partie de l'opinion, au vu des dernières élections municipales, n'est pas insensible au discours conventionnel du Guomindang qui reste favorable quant à lui à un rapprochement entre les deux rives. Pékin à son tour ne peut y être insensible. Côté européen, c'est l'indifférence qui prévaut. Or, faut-il rappeler que les trois quart des microprocesseurs sont fabriqués par Taïwan ? Une guerre contre Taïwan aurait des conséquences catastrophiques pour nos propres économies.

Quelles en sont les manifestations les plus récentes ?

Les plus spectaculaires sont les exercices de l'Armée Populaire de Libération au large de l'île dans le courant du mois d'août et quodiennement, ce sont des millions de cyberattaques que lance Pékin contre l'île pour tenter de la paralyser. Jusqu'à présent, Taïwan a réussi à déjouer ces attaques mais le risque est une attaque militaire de grande envergure qui pourrait mettre les Américains devant le fait accompli. L'objectif stratégique de la Chine étant de se ménager ainsi une profondeur stratégique qui serait évidemment dommageable dans toute la région aux Occidentaux et à leurs partenaires. La guerre économique entre les deux rives a déjà commencé avec les déboires de Foxcon (sous-traitant d'Apple sur le continent) qui se voit obligé de délocaliser dans d'autres régions du monde. C'est le cas aussi du géant des semi-conducteurs TSMC qui, par crainte d'une guerre chaude avec la Chine, quitte l'île pour s'installer en Arizona. C'est en fait une guerre d'usure qui nécessite un redéploiement du dispositif industriel taïwanais sur une très vaste échelle. 

Est-il possible que nous sous estimions l’importance de ces déstabilisations parce qu’elles se passent à l’abri des regards ?

Une nouvelle fois, la perception de la menace n'est pas la même en Europe et aux Etats-Unis. Et surtout, les Européens ont une attitude beaucoup moins radicale que celle des Américains à l'encontre de la Chine. Que ce soient les déclarations du chancelier Scholz ou celles du président Macron, toutes vont dans le sens non plus d'un découplage comme le prônent les Américains mais d'une coopération mesurée avec la Chine. L'approche européenne de la Chine est, nous le savons, beaucoup moins confrontationnelle que celle des Américains. Au reste, machiavéliquement parlant, la Russie en tant que menace est une priorité stratégique immédiate pour les intérêts vitaux des Européens. Pas la Chine. 

Au regard de ce qu’est Taiwan, Pékin peut-il espérer déstabiliser Taiwan suffisamment pour la soumettre sans avoir à entrer dans un conflit ouvert ?

Toutes les possibilités restent ouvertes : une irrationalité chinoise optant pour la guerre directe ou l'épreuve du temps long et une axyphsie lente de Taïwan à terme. Difficile à dire, même si pour le gouvernement chinois, l'avenir de Taïwan n'est absolument pas négociable. A l'inverse, les Taïwanais peuvent sortir vainqueurs de cette confrontation lente. Dans les faits, elle dure depuis 1949 et jusqu'à présent, le statu quo a été respecté. Le risque est un dérapage ou le fait que le PCC puisse se lancer dans une aventure militaire afin de recréer en Chine même de la cohésion nationale. A suivre: l'année 2023 est d'après la cosmologie traditionnelle marquée par la célébration du signe du lapin ! Un signe qui se caractérise par la prudence, la vigilance, la ruse....

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !