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La fascinante histoire du Père Pierre Bockel, résistant de la première heure, Juste parmi les nations et grand ami de Malraux
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Bonnes feuilles

À travers vingt-sept portraits choisis, d'hommes et de femmes catholiques, protestants et orthodoxes, Dominique Lormier retrace l'histoire de la résistance chrétienne face à Hitler. Il démontre l'incompatibilité du christianisme avec le nazisme, s'opposant en cela à la thèse défendue par Michel Onfray dans son ouvrage Décadence. Extrait de "Ces chrétiens qui ont résisté à Hitler" de Dominique Lormier, aux éditions Artège (1/2).

Dominique Lormier

Dominique Lormier

Dominique Lormier, historien et écrivain, est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire. Membre de l'Institut Jean-Moulin et membre d'honneur des Combattants volontaires de la Résistance, il collabore à de nombreuses revues historiques. Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages.

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Louis Bockel, notaire à Thann et conseiller général, et de Valérie Rothenburger. Il débute ses études primaires au collège de la ville, puis est envoyé au collège marianiste de la Villa-Saint-Jean à Fribourg en Suisse. En 1929, lors de vacances à Thann, Pierre Bockel rencontre l’abbé Jean Flory, un prêtre de la région qui va être à l’origine de sa vocation religieuse :

Je soutenais mal son regard perçant d’intelligence et de malicieuse bonté qui s’obstinait sur moi, écrit-il. Ma timidité de garçon de quinze ans, mal dans sa peau, tourmenté, complexé, me rendait insupportable ce face à face silencieux. Enfin, il se mit à parler : « N’est-ce pas que la vie est belle?» me demanda-t-il. « Oh! Que non!» lui répondis-je d’instinct et d’un ton d’adolescent malheureux à qui l’internat ne laissait le choix qu’entre le rêve mystique et la tristesse romantique. La riposte fut aussi rapide qu’inattendue : une gifle… mais avec un tel sourire! J’avais trouvé en l’abbé Flory mon maître et mon grand ami.

Après une scolarité monotone, il entame des études de lettres, noue ses premières amitiés intellectuelles avec le peintre Charles Sahuguet et le poète Max Jacob. Suite à un séjour de plusieurs mois en Autriche en 1937, il décide de consacrer sa vie à Dieu. Il commence sa formation ecclésiastique au séminaire des Carmes à Paris, se passionne pour les Pères de l’Église et la théologie apophatique des Pères du désert, cette voie spirituelle au-delà des concepts du mental, menant à l’union mystique avec Dieu. Il découvre en profondeur la pratique de l’oraison, qui se rattache à la prière contemplative. Le mot oraison vient du latin orare, qui veut dire prier. L’oraison est une contemplation de la présence du Seigneur, au-delà des concepts du mental, c’est un cœur-à-cœur où on s’abandonne sous son divin regard, en sa douce compagnie. Dans cet instant de communion intime, il ne reste plus rien, si ce n’est une plénitude sans mot, sans agitation, comme un lac paisible en montagne, où Dieu se reflète à l’infini. Plus on est proche de cette éternité de Dieu, plus le temps semble se raccourcir, se figer et même s’arrêter. L’oraison nous fait découvrir un niveau de l’esprit où tout est totalement apaisé, où tout s’apaise dans la sérénité d’un amour partagé, qui se donne sans rien demander en échange. Sainte Thérèse d’Avila développe, dans Le Château de l’âme, la vie spirituelle depuis ses commencements jusqu’au sommet, dans l’union transformante. Elle présente l’âme comme un château, riche de plusieurs appartements qu’elle nomme des « demeures », car l’on y habite un certain temps. La première repose sur les bases de la vie spirituelle : la connaissance de soi et l’humilité. Dans la seconde demeure, l’âme entre dans la prière vocale, puis la méditation et le recueillement qui forment la troisième demeure. Dans la quatrième, c’est le premier stade de la vie mystique, l’oraison de quiétude, au cours de laquelle Dieu lui-même remplit l’âme de sa paix profonde, sans qu’elle ait à puiser l’eau comme au stade précédent.

La cinquième demeure, rapporte dom Guy-Marie Oury, est la prière d’union; elle suppose une mort entière au monde, un assoupissement des facultés et des sens. Au-delà, dans la sixième, ce sont les fiançailles mystiques où la prière est extatique : toute activité humaine cesse, mais l’âme doit traverser de grandes souffrances qui attisent un désir de Dieu et ouvrent en elle une blessure d’amour.

Dieu la prépare ainsi au stade final, le mariage mystique qui se célèbre en la septième demeure, où les trois Personnes divines (Père, Fils et Saint-Esprit) se communiquent à l’âme. L’état est stable, définitif; l’âme ne quitte plus Dieu présent en elle; les mouvements intérieurs ont fait place à une paix profonde où l’âme habite en son centre. Cet état prépare directement à la vision béatifique.

Mais la dure réalité du monde lui fait quitter pour un temps sa vocation religieuse : la guerre menace. Pierre Bockel doit accomplir son service militaire. Il est finalement capturé par l’armée hitlé- rienne le 22 juin 1940 à Gerardmer, le jour même de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne. Du fait de ses origines alsaciennes, il est rapidement libéré. Dès le mois d’août 1940, il décide d’organiser un vaste réseau de résistance contre l’annexion de l’Alsace au IIIe Reich. Il est finalement expulsé avec toute sa famille le 10 décembre 1940. Son père se réfugie en Algérie où il trouve une étude de notaire, tandis que Pierre Bockel rejoint le séminaire universitaire à Lyon, rue des Farges, où il poursuit ses études de théologie. Il est ordonné prêtre en la cathédrale de Fourvière de Lyon le 24 juin 1943. La devise qu’il fait graver sur la patène de sa première messe est : « Ut omnes unum sint! Que tous soient un!»

Parallèlement à ses études de séminariste, il poursuit des activités clandestines dans la Résistance. En lien avec le réseau Martial de Paul Dungler (germanophobe et ancien membre de l’Action française), Pierre Bockel devient l’un des responsables, avec Bernard Metz, de la zone Sud de cette organisation, spécialisée notamment dans l’évasion. C’est le réseau Martial qui organise l’évasion du général Giraud en 1942.

Pierre Bockel collabore également au journal de la Résistance les Cahiers du Témoignage chrétien, publication clandestine fondée notamment par le père jésuite Pierre Chaillet, dont la devise est : « Vérité et justice quoi qu’il en coûte. » L’influence de ce journal dépasse de beaucoup les milieux chrétiens, touche tous les hommes de bonne volonté. En septembre 1943, à Toulouse, secondé par une petite équipe, Pierre Bockel rédige en une semaine un numéro consacré à l’Alsace et à la Lorraine, terres françaises :

Le père Chaillet m’accordait une semaine pour rédiger un témoignage sur la situation de l’Alsace et de la Lorraine annexées par l’Allemagne national-socialiste, en vue d’informer les Français que la presse et la radio d’alors tenaient à l’écart de la vérité […]. L’édition clandestine fut tirée à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. La France en fut inondée.

Pierre Bockel prend également une part active au sauvetage des juifs. Il procure de faux papiers à de nombreux juifs, comme à Charles Schwed et sa famille. Il protège une autre famille juive à Toulouse, qu’il guide dans la Drôme, pour la confier à des tantes qui acceptent de la cacher. Il sauve également de la déportation David Weill et sa famille. Titulaire de la Médaille de la Résistance, il est élevé en 1988 à la dignité de Juste parmi les nations.

Pierre Bockel rejoint un maquis en juin 1944, opérant aux confins du Gers et de la Haute-Garonne. Il participe ainsi à des sabotages ferroviaires, à des embuscades contre des convois allemands. Ce maquis, regroupant des nombreux Alsaciens et Lorrains réfugiés dans le Sud-Ouest, donne naissance à la brigade FFI Alsace-Lorraine. Le commandant Noettinger en accepte le premier commandement. Puis il s’efface devant la présence providentielle d’André Malraux (colonel Berger), qui en prend la direction en septembre 1944, avec le lieutenant-colonel Pierre-Élise Jacquot. Les 2000 volontaires de cette unité d’élite intègrent la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny. Pierre Bockel devient l’aumônier de la brigade AlsaceLorraine. Durant cinq mois, de septembre 1944 à février 1945, elle participe aux terribles combats en Alsace, se distingue lors de la prise de Dannemarie, durant la défense de Strasbourg et la libération de Colmar. Les combats se déroulent dans les pires conditions, sous la neige et un froid terrible, avec un équipement souvent insuffisant, des armes disparates, contre des troupes allemandes fanatisées.

L’amitié profonde liant Pierre Bockel à André Malraux remonte à l’été 1944 :

Que représentait cet aristocrate de la pensée et de l’action pour les hommes de sa brigade? Dans le baptême du feu et de la liberté, Malraux fut pour nous le prêtre de cette initiation. Il fut aussi l’inspirateur, à la fois présent et mystérieux, de notre fraternité, dont la force était à la mesure de son projet de fraternité universelle. Nous recevions de Malraux sa foi en la transcendance de l’homme […]. Il m’a obligé à plus d’exigence au plan sacerdotal […]. Malraux m’a révélé la dimension, je dirais la démesure des valeurs essentielles de l’Évangile : celles de la liberté, de la soumission à la transcendance, de la fraternité, de l’engagement et du dépassement.

De son côté, Malraux écrit :

Chacun sait que l’abbé Bockel est un prêtre selon l’Évangile. Toute sa vie exemplaire nous interroge sur ce qui l’anime […]. Il est essentiel que nous mettions l’accent sur notre défense de la part éternelle de l’homme, que nous la concevions comme liée à la Révélation. En se soumettant à cette part éternelle, à ce qui en lui le dépasse, l’homme est conduit à vivre avec la fraternité jusqu’à sa suprême limite, jusqu’à la mort.

Le 18 janvier 1945, Pierre Bockel prononce l’homélie de la messe de la libération de Strasbourg, en la cathédrale Notre-Dame. Après la guerre, il exerce les fonctions d’aumônier au collège moderne et technique de Colmar, puis au lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg en 1951. Aumônier de la jeunesse estudiantine chrétienne (JEC), puis aumônier diocésain de l’université de Strasbourg de 1952 à 1966, il fonde le cercle universitaire Georges Bernanos de Strasbourg.

En 1957, le chanoine René Lecomte, doyen de la faculté de théologie de Lille, et l’abbé Pierre Bockel lancent la revue Bible et Terre sainte. En 1977, cette revue devient Le Monde de la Bible.

De 1967 à 1986, il occupe le poste d’archiprêtre de la cathédrale de Strasbourg. En 1977, sur proposition de Mgr Léon-Arthur Elchinger, évêque de Strasbourg, le pape Paul VI l’honore du titre de prélat d’honneur de Sa Sainteté. Dès lors, le jeune « Pierrot » de la Résistance devient Mgr Bockel, bien qu’il ait toujours préféré qu’on l’appelle tout simplement père.

Président du colloque européen des paroisses de 1986 à 1993, Pierre Bockel prend sa retraite en 1993. Atteint d’un cancer, il décède le 13 août 1995 à l’hôpital civil de Strasbourg. Il est enterré à Thann.

Juste parmi les nations, commandeur de la Légion d’honneur, Croix de guerre 39/45, Médaille de la Résistance, Pierre Bockel est également l’auteur de nombreux ouvrages, dont en 1973 L’Enfant du rire, préfacé par André Malraux.

Extrait de "Ces chrétiens qui ont résisté à Hitler" de Dominique Lormier, aux éditions Artège

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