L’Europe malade de l’incapacité de l’Allemagne à assumer un comportement à la hauteur de sa nouvelle puissance<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel est le leader de l'Union européenne.
Angela Merkel est le leader de l'Union européenne.
©Reuters

Coup de mou

Angela Merkel était reçue hier soir sur le plateau du journal télévisé de France 2. Alors que la France n'occupe plus le devant de la scène européenne, la chancelière allemande est à la tête du pays leader sur le plan économique comme sur le plan politique. Mais son bilan ne va pas sans couacs qui, de la Grèce à l'Ukraine, affaiblissent la position européenne.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Première puissance économique de l’Union européenne, l’Allemagne détient, assez naturellement, le leadership économique au sein de l’UE. Aujourd’hui, avec l’effacement français au sein du tandem franco-allemand, le pays doit également assurer une forme de leadership politique. Comment l’Allemagne a-t-elle vu émerger ce rôle de leader à la fois politique et économique européen ?

Nicolas Goetzmann : Progressivement, depuis 30 ans, l’Allemagne s’est « retrouvée ». Suite à la réunification, le pays s’est d’abord développé à un rythme modéré, jusqu’à en arriver à devenir l’homme malade de l’Europe lors du passage aux années 2000, concomitant à la naissance de l’Euro. A cette période, la Banque centrale européenne agissait comme un soutien fort à l’économie de la zone euro, les taux de croissance de la zone, lorsque l’on tient compte de l’inflation, étaient régulièrement supérieurs à 4%. Sous ce régime favorable, l’Allemagne a mis en place ses fameuses réformes Schröder qui ont permis au pays d’absorber la crise de 2008 avec moins de difficultés que d’autres. Le pays est tout naturellement sorti de la crise en tête des économies européennes, et c’est à ce moment précis, qui peut se dater entre 2010 et 2011, que l’Allemagne s’est installée « naturellement » à la tête du continent. Le sommet de Deauville mal négocié par Nicolas Sarkozy, puis l’absence de François Hollande de la scène européenne, ont fait qu’Angela Merkel s’est positionnée en tant que leader politique et économique de l’ensemble. Jusqu’à présent, la construction européenne s’était réalisée dans une opposition saine entre la France et l’Allemagne, désormais, l’Allemagne se retrouve seule aux commandes. On ne fait même plus semblant, les décisions sont prises à Berlin. Mais dans une telle position de domination, l’Allemagne semble aujourd’hui incapable de se dégager de son seul intérêt national, pour s’emparer de l’intérêt général européen. C’est cette contradiction entre le pouvoir du pays sur l’Union et la recherche d’un intérêt particulier, qui est à la source du malaise actuel.

Florent Parmentier :Si l’Allemagne jouit aujourd’hui d’une réputation inégalable de succès économique, il faut toutefois se rappeler qu’au cours des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000, elle faisait plutôt figure « d’homme malade de l’Europe ». Le coût de la réunification avait  absorbé l’essentiel des forces d’un pays, qui a su cependant, sous le chancelier Schroeder, renouveler son modèle.

Précisément, c’est cette sous-performance économique pendant cette période qui masque un fait essentiel : le couple franco-allemand, qui était égalitaire du temps de la RFA, se déséquilibre au bénéfice de Berlin suite à la réunification. Au sein des institutions européennes, l’Allemagne prend plus de poids, et compte pour plus de votes. La parlementarisation du système politique européen a en outre favorisé le rôle des parlementaires allemands au Parlement, mieux organisés et plus nombreux que leurs homologues français.

In fine, puissance économique et puissance politique sont allées de pair, quand bien même l’Allemagne n’est toujours pas une puissance militaire. Elle ne s’est avancée que très tardivement à aller au-delà de ses frontières, avec la guerre du Kosovo. Et surtout, l’Allemagne ne peut avancer seules ses options, de peur de passer pour arrogante et du fait de son histoire... 

La cure d’austérité sévère imposée aux pays du sud, comme la Grèce, sous l’impulsion de l’Allemagne, est de plus en plus critiquée par certaines études économiques et par le FMI. Pourtant l’Allemagne persiste dans cette voie. Pourquoi ?

Nicolas Goetzmann : De nombreux économistes allemands, des dirigeants, le patronat, et une bonne partie des électeurs sont encore persuadés que leur succès économique est la conséquence de leurs efforts. Mais ces « efforts » n’ont été possibles que parce que la BCE soutenait très largement l’économie européenne entre 2000 et 2005, ou encore parce que les pays du sud absorbaient les excédents allemands. C’est ce qui s’appelle faire le passager clandestin. D’une idée fausse qui serait la clé du succès,  on a cherché à bâtir une règle générale pour l’ensemble d’une zone économique. Il y a également une dimension morale à cet exercice; que la reprise ne peut naitre que d’une période de souffrance. Cela n’a évidemment aucun sens. Le FMI a condamné la dureté des politiques d’austérité, l’OCDE, les Etats Unis, et d’autres pays lors des réunions du G20, mais rien n’y fait. L’Europe continue de défendre le modèle allemand comme l’alpha et l’oméga de toute politique économique: austérité, rigueur budgétaire, exportations etc.

Mais puisque l’Euro est une monnaie à l’échelle d’un continent, il suffit de comparer le succès de cette politique avec celle des Etats Unis, qui est radicalement opposée, puisque basée sur une relance monétaire forte. Le chômage américain a atteint 5.4% le mois dernier contre 11.1% pour la zone euro, alors que le taux de chômage, pour les deux zones, était de 10% à la fin 2009. La stratégie macroéconomique européenne restera comme une faillite majeure de l’histoire. Nous nous moquons des décisions économiques des dirigeants des années 30, en France et en Allemagne, il est navrant de se rendre compte que nous n’avons pas fait mieux.

Il est aussi nécessaire de se rendre compte que si l’Allemagne acceptait une plus forte croissance économique dans la zone euro, notamment par le biais de la BCE, le pays serait en proie à une pression inflationniste qu’il veut éviter à tout prix. Le pays a atteint le plein emploi, dès lors, toute pression supplémentaire est susceptible de pousser les salaires vers le haut, ce qui veut dire deux choses : un peu plus d’inflation et une perte de compétitivité. Le choix du statu quo, au détriment des autres Etats, est donc un choix correspondant à l’intérêt national. Mais pas à l’intérêt général européen. 

Suite à cette cure d’austérité prolongée, des mouvements contestataires sont apparus dans les pays du sud : Syriza en Grèce, Podemos en Espagne … En quoi l’erreur allemande sur le diagnostic économique s’est-elle transformée en problème d’ordre politique ?

Nicolas Goetzmann : En appliquant cinq années de suite des politiques d’une sourde violence, et ce, sans que celles-ci ne donnent le moindre résultat, il semble naturel de voir s’élever une opposition. C’est sans doute le point le plus douloureux pour l’Allemagne. Syriza n’est rien d’autre que l’enfant caché de la doctrine économique européenne, c’est-à-dire de l’ordolibéralisme allemand. Syriza est une sorte de miroir de la faillite économique allemande à l’échelle de la zone euro.

Les discussions actuelles, relatives à la sortie ou non de la Grèce de la zone euro, ne sont rien d’autre qu’un choix offert à l’Allemagne; reconnaitre ses erreurs et donner sa chance à ce pays, tout en incluant les responsabilités grecques qui sont réelles, ou bien le déni et l’autorité, en excluant le pays de l’euro. Cette décision est cruciale, parce qu’elle donnera le « la » du futur de la zone euro; un ensemble dominé par l’Allemagne et guidé par la somme des seuls intérêts nationaux en fonction de leur poids, et dont les faibles sont exclus, ou un ensemble irrévocable et solidaire, comme le sont les Etats Unis. Le premier choix me semble peu digne d’intérêt, il ne ressemble plus à l’Europe. Il serait peut-être temps que François Hollande tape du poing sur la table, parce que son silence devient irresponsable. La nature même de la zone euro, de l’Union européenne, va se jouer sur cette décision, cela vaut peut-être la peine de proposer quelque chose, de se poser en arbitre d’une confrontation directe entre la Grèce et l’Allemagne.

Concernant le cas ukrainien, il semble également que l’Allemagne n’ait pas forcément pesé de tout son poids pour résoudre diplomatiquement la crise. Pourtant le pays est le premier partenaire économique européen de la Russie, Angela Merkel parle la langue allemande, les liens sont nombreux … Pour quelles raisons le leadership allemand sur ce dossier n’a pas vraiment fonctionné ? L’Allemagne a-t-elle souhaité montrer sa puissance en refusant de discuter avec Poutine ?

Florent Parmentier : Sur cette question, il faut observer le manque de lisibilité de la partition allemande, qui hésite entre deux sons différents : schématiquement, les acteurs économiques restent orientés vers le marché russe, tout en restant très présents dans les pays voisins, tandis que les diplomates savent qu’il faut ménager ce grand voisin mais également tenir compte des craintes de certains partenaires européens.

En outre, le fait que Vladimir Poutine parle allemand et qu’Angela Merkel parle russe devait simplifier les relations entre les deux dirigeants. Ce n’est toutefois pas parce que l’on parle la même langue que l’on se comprend ; dans les négociations sur l’Ukraine, la chancelière Merkel avait décrit il y a quelques mois un Président russe qui vivait dans une réalité parallèle. Pas plus que les autres dirigeants européens, Angela Merkel n’a pas vu venir la crise à propos de l’Ukraine. Les signaux anticipateurs de la crise, comme la pression russe exercée sur l’Arménie en septembre 2013 pour que cette dernière ne signe pas l’Accord d’Association avec l’Union européenne aurait pu servir d’alerte. Dans cette crise, l’Allemagne a montré ses capacités économiques et diplomatiques, mais sa faiblesse militaire est aussi apparue au grand jour…

On se souvient de la visite du ministre allemand des affaires étrangères, M. Steinmeier, aux côtés de son homologue polonais, à Kiev. Le tandem n’était pas passé aussi par Moscou, suscitant la colère de Vladimir Poutine. Quelles ont été les erreurs diplomatiques de Berlin, et par là des Européens, face à la Russie ?

Florent Parmentier : L’Allemagne a longtemps cherché à construire avec la Russie des relations de partenariat plutôt que de défiance. L’interdépendance économique devait amener la Russie à s’ancrer sur la voie de la modernisation et sur le chemin de l’Etat de droit. Malheureusement, l’incompréhension à l’égard de la Russie s’est muée en défiance profonde. L’absence de relations bilatérales suivies et constructives sont le résultat de cette défiance, il manque des objectifs communs et un système de dialogue organisé pour la dissiper. De fait, les deux Ministres ont parfaitement le droit de venir à Kiev sans venir à Moscou ; mais à l’heure des crises, le symbole pèse extrêmement lourd, et celui-ci semblait signifier à Moscou qu’on le point de vue russe de la situation n’est pas pris en compte.

De fait, la dynamique du conflit n’est en outre guère confortable pour l’Allemagne : cette dernière essaie de l’éloigner des questions militaires pour le rapprocher des questions économiques et diplomatiques. Le problème est que la situation sur le terrain ne semble pas conforme à la dynamique souhaitée par Berlin…

Ainsi, compte-tenu de ces éléments Angela Merkel a pu prendre à bras le corps la crise ukrainienne, avec plus ou moins de succès. Alors qu’elle n’avait jusque-là pas montré une forte volonté de leadership son arrivée au pouvoir en 2005, elle a tendu à s’affirmer à cette occasion ; ce changement peut être expliqué par la crise de l’euro, pendant laquelle l’Allemagne est au centre du jeu. 

On peut penser que la stagnation du dossier ukrainien, le gel de certains éhangers économiques russo-européens ainsi que les sanctions à l’égard de la Russie, a également desservi l’UE. Aujourd’hui quelle est la facture pour l’Europe de ce manque de leadership politique ?

Florent Parmentier : Le coût des sanctions est évidemment économique, mais également très largement politique. Plusieurs estimations portent le coût des sanctions pour les Européens à plus de vingt milliards d’euros ; il faut toutefois rester prudent avec ces chiffres. Ce coût est évidemment très variable selon les pays concernés, cela dépend de la nature des relations économiques avec la Russie ainsi que les éventuelles mesures de rétorsion. Quant au coût politique, il peut se mesurer à la division des Européens, ainsi qu’à l’essor des mouvements contestataires et contre l’intégration européenne à travers l’Europe. En outre, l’énergie dépensée par l’Europe dans ce conflit n’est pas consacré à relever d’autres défis. 

Au-delà de l’Ukraine mais toujours dans le registre diplomatique, l’Allemagne a été vivement critiquée pour avoir espionné plusieurs de ses partenaires, dont la France, au profit des Etats-Unis. De la même façon, ces derniers, au G7, font de plus en plus pression pour que la crise grecque soit réglée au plus vite. Les liens germano-américains sont forts, à tel point que certains perçoivent celle-ci comme le cheval de Troie des USA dans l’UE. Cette pression  peut-elle nuire à l’Europe en termes de leadership politique ?

Florent Parmentier : Il est vrai l’affaire d’espionnage a fait grand bruit outre-Rhin ; les autorités françaises n’ont d’ailleurs pas cherché à accabler l’Allemagne avec cette affaire. Et l’attitude allemande sur la Grèce est pour le moins peu conciliante.

Il faut toutefois se méfier de cette expression de « cheval de Troie », souvent employée, par exemple à l’égard du Royaume-Uni, de la Turquie ou des pays centre-européens. L’Allemagne a ses propres intérêts et les défend, de même que les autres pays. Le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les pays centre-européens voient dans leurs relations avec les Etats-Unis la pierre angulaire de cette politique. La politique d’indépendance gaullienne éloigne, il est vrai, la France de cette perspective. Naturellement, les Etats-Unis partagent avec la Russie le fait de tellement aimer l’Europe qu’elles en voudraient plusieurs. Aux Européens de trouver des modalités de travail conjoint, afin d’éviter que les acteurs extérieurs ne viennent attiser leurs divisions, mais pas sous la seule direction de l’Allemagne.

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