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L’Europe du déménagement : petite géographie de ces Européens qui s’installent ailleurs dans l’Union
©REUTERS/Wolfgang Rattay

Migrants intra-européens

Un graphique basé sur les données migratoires d'Eurostat illustre les échanges migratoires intra-européens par pays.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Que nous dit ce graphique sur les grands mouvements migratoires au sein de l'Union Européenne ?

Laurent Chalard : Ce graphique réalisé par une conceptrice médiatique exerçant son activité aux Pays-Bas, Madame Roxana Torre, permet de visualiser de manière très claire l’ampleur des mouvements migratoires de travailleurs au sein de l’Union Européenne depuis plusieurs décennies. Il montre pour l’année 2017, à partir des données fournies par Eurostat, le nombre de citoyens européens en âge de travailler (c’est-à-dire ayant entre 20 et 64 ans) résidant dans un autre pays que celui dont ils sont originaires. A défaut d’être un état fédéral, l’Union Européenne fait déjà figure d’un marché de l’emploi à l’échelle du continent, du fait de considérables flux de travailleurs depuis les années 1990, puisqu’ils ne concernent pas moins de 13 millions de personnes.

Tous les pays sont concernés par le phénomène, avec quelques grands flux particulièrement notables, comme les polonais travaillant au Royaume-Uni, les roumains en Italie, les italiens en Allemagne et les portugais en France. On voit donc que s’il existe des pays principalement émetteurs et d’autres majoritairement récepteurs de travailleurs, il n’en demeure pas moins que certains pays sont à la fois émetteurs et récepteurs, comme l’Italie. Nous avons donc affaire à des flux qui se sont complexifiés au fur-et-à-mesure du temps, d’autant que suivant le contexte économique, certains Etats voient leurs flux migratoires s’inverser.

Les principaux pays "d'arrivée" sont l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse, mais aussi, paradoxalement, l'Espagne et l'Italie. Quelles sont les principales explications à l'attraction démographique de ces pays ? Le taux de chômage est-il le déterminant principal ?

Ces données portant sur les stocks, c’est-à-dire les flux cumulés de travailleurs sur plusieurs décennies, il ne faut donc pas les interpréter uniquement à l’aune des performances économiques de ces dernières années des pays récepteurs, mais sur le moyen-terme, ce qui peut expliquer l’attractivité de certains Etats qui ont pu afficher une meilleure santé économique dans les décennies précédentes qu’aujourd’hui.

En effet, l’attractivité migratoire des pays concernés repose sur trois principaux facteurs. Le premier est le niveau de richesse. Les travailleurs des pays les plus pauvres d’Europe se dirigent d’abord vers les Etats les plus riches, qui leur proposent des niveaux de revenus sans commune mesure avec leur pays d’origine, y compris dans des métiers relativement peu qualifiés. Par exemple, un balayeur suisse gagne probablement plus qu’un universitaire roumain ! Le second facteur est le dynamisme économique, à travers la forte création d’emploi. En effet, plus un Etat crée de l’emploi, plus il est attractif pour des travailleurs étrangers qui peuvent espérer y trouver un emploi facilement, réduisant le risque d’un chômage de longue durée. Enfin, un dernier facteur, qu’il ne faut pas négliger, est d’ordre démographique, le besoin de main d’œuvre dans certains Etats de l’ouest de l’Europe connaissant une dénatalité soutenue les conduit à chercher à se procurer de la main d’œuvre étrangère peu qualifiée et/ou exerçant des métiers perçus comme difficiles sur le plan physique. C’est le cas en Allemagne, mais aussi en Italie du Nord.

A l’arrivée, le taux de chômage du pays récepteur n’apparaît nullement comme le déterminant principal de la migration des travailleurs au sein de l’Union Européenne, car l’Espagne, qui a toujours affiché un taux de chômage élevé, a été très attractive jusqu’à la crise de 2008, le dynamisme économique et la croissance de l’emploi soutenus dans les années 2000 la rendant attirante pour des européens de l’est. Il en va de même pour la France, qui, malgré son chômage structurel, est attractive pour les travailleurs portugais exerçant dans le BTP car les français ne veulent pas occuper ces emplois. Par exemple, à l’occasion des Jeux Olympiques de 1992 à Albertville, l’Etat français avait dû faire appel en catastrophe à la main d’œuvre portugaise pour que les chantiers soient terminés à temps !

Certains pays ont des soldes migratoires intra-européens très déficitaires, comme la Roumanie, la Pologne, la Bulgarie ou le Portugal. Quelles pourraient être les conséquences à long terme de ces déficits ?

Les pays aux soldes migratoires de travailleurs négatifs sont essentiellement des pays d’Europe de l’est, au niveau de vie sensiblement moins élevé que l’ouest après la chute du communisme à la fin des années 1980, auquel s’ajoute les deux pays les plus pauvres d’Europe méridionale, le Portugal et la Grèce.

A long terme, ces déficits migratoires de travailleurs, s’ils venaient à se pérenniser, risquent de mettre à mal leur développement économique du fait d’un manque de main d’œuvre, aussi bien peu que très qualifiée, puisque les flux migratoires vers les pays les plus riches de l’Europe occidentale, concernent autant les personnes sans diplômes qui y exercent des métiers que ne souhaitent plus faire les locaux, que des personnes très diplômées, qui viennent compenser les manques de spécialistes dans certains métiers à l’ouest, comme les médecins roumains en France par exemple. Cette situation rendrait indispensable pour ces pays, aussi paradoxalement que cela puisse paraître l’être, le recours à l’immigration extra-Union Européenne, pour compenser le déficit de main d’œuvre consécutif de ces départs, dans un contexte d’effondrement de la natalité en Europe de l’Est depuis la chute du communisme. Par exemple, la Pologne accueille de nombreux travailleurs ukrainiens et il commence à y avoir quelques travailleurs chinois en Roumanie.

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