L'austérité, même Bruxelles n'y croit plus... mais quel est le plan B ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Commission européenne a admis que les politiques d’austérité menaient dans le mur.
La Commission européenne a admis que les politiques d’austérité menaient dans le mur.
©Flickr / Images_of_Money

Flop

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a reconnu que les politiques d'austérité atteignaient leurs limites en Europe, faute de soutien politique et social.

Atlantico : Sous la pression de plusieurs grands pays et des opinions publiques, la Commission européenne a fini par admettre que l'austérité à tout prix menait dans le mur, sans pour autant remettre en cause sa politique de lutte contre les déficits. Faut-il voir dans cette déclaration un futur changement de cap européen, après les appels à plus de souplesse de la part du FMI et des Etats-Unis ?

Nicolas Goeztmann : Je le pense. Le fondement théorique a été balayé auprès du public la semaine dernière avec la révélation des erreurs contenues dans les travaux de Rogoff et Reinhart. Le G20 est également significatif, les européens ont été interpelés sur la faiblesse de leur doctrine et leur manque de résultats. La zone euro fait peser le plus grand risque sur l’économie mondiale tout en manifestant une certaine arrogance dans sa doctrine. Cette position devient intenable aussi bien vis-à-vis de l’extérieur que de ses propres populations. Les Etats-Unis, le Japon, et le Royaume-Uni font ont accepté leurs erreurs et vont de l’avant en activant l’outil monétaire. Pour le moment, l’Europe reste sourde, notamment au travers des déclarations d’Angela Merkel et de Wolfgang Schauble.

Il appartient à la France de provoquer le débat. L’Allemagne ne va pas le provoquer, mais leur position est affaiblie. Le G20 peut être une opportunité pour la France de se réveiller, le FMI et les autres pays lui offrent cette possibilité. C’est un soutien à priori au premier qui proposera autre chose, et notamment le déclenchement du soutien monétaire qui est dans toutes les têtes.

Gilles Saint-Paul : Idéalement les politiques d'austérité auraient dû être mises en place en période de "boom" pour éviter une dette publique trop élevée et une crise souveraine en période de récession. Les Etats européens ont mis en oeuvre des politiques d'austérité contraints et forcés par les marchés pendant la crise. Ce sont les marchés, pas les décideurs, qui ont remis en question les politiques de relance keynésienne à tout va qui étaient la norme en 2008-2010. Comme il y a actuellement une détente sur les taux suite aux interventions de la BCE, les Etats et la Commission sont tentés d'abandonner les politiques d'austérité, c'est-à-dire de revenir au dogme selon lequel on peut gérer la crise en remplaçant les actifs insolvables par de la dette publique,  remettant ainsi la stabilisation fiscale et les réformes structurelles à des jours meilleurs. En d'autres termes, certains espèrent pouvoir revenir à la période 2008-2010 où les Etats pensaient impunément faire 8-10 % de PIB de déficit public en attendant la sortie de crise.

Pour qu'une telle stratégie fonctionne, il faut a/ que l'Allemagne consente aux redistributions de richesse inhérentes aux politiques de sauvetage des états les plus endettés, notamment à travers les achats d'actifs de la BCE, b/ que ces injections monétaires ne conduisent pas à un regain d'inflation et à une attaque contre l'euro et c/ que les spreads ne se remettent pas à remonter rapidement parce que les marchés auraient conclu que les Européens ne sont décidément pas sérieux lorsqu'il s'agit de stabiliser la dette publique. Or historiquement on constate qu'en période d'expansion la logique politique consistant à ne rien faire prévaut, d'autant plus que les comptes publics ont tendance à s'améliorer mécaniquement du fait de la conjoncture. Pour ces raisons, aucun pays lourdement endetté (Belgique, Italie, Portugal, Grèce, et maintenant France) n'a jamais mis en place un programme crédible de stabilisation budgétaire, malgré les injonctions de la Commission européenne. C'est uniquement sous la pression des marchés, donc en période de crise, que l'ajustement a lieu, et on voit mal pourquoi les marchés feraient à nouveau confiance aux Etats si ceux-ci abandonnaient leur politique d'austérité. Un changement de cap serait un pari sur le fait qu'un hypothétique retour de la croissance anesthésierait les marchés et leur ferait oublier l'insolvabilité structurelle de beaucoup d'Etat-providence européens.

Quelles sont les options de changement qui s'offrent aujourd'hui à l'Europe ? Que peut-elle se permettre ? Quelles sont les alternatives crédibles aux politiques d’austérité européennes ?

Nicolas Goeztmann : Le compromis le plus efficace serait le suivant : garder les politiques d’austérité budgétaire et mise en place d’un large soutien monétaire. Pour que ce dernier soit viable, il faut une révision des statuts de la BCE et l’insertion de la notion de croissance dans le mandat, afin de permettre un objectif de PIB nominal de l’ordre de 4%. En compensation, la France devra agir elle aussi sur sa politique, respect des déficits, baisse des charges sur les salaires, contrat de travail unique pour en finir avec le chômage des jeunes, et baisse du taux marginal d’imposition. Avec un tel cocktail, nous oublierons rapidement tout le discours ambiant sur le déclin de la France et de l’Europe.

Avec sa démographie, sa productivité, et sa situation, la France possède d’énormes atouts. Il ne manque qu’une vision.

Gilles Saint-Paul : En principe, les pays européens devraient s'engager sur un programme de réformes structurelles qui permettrait d'augmenter l'emploi et le taux de croissance potentiel de l'économie, ce qui sauvegarderait l'Etat-Providence sur le long terme (ceci passe sans doute par une réduction du poids de cet Etat-Providence). La mise en oeuvre de ces réformes devrait se faire indépendamment du cycle économique, et celui-ci devrait être géré avec des politiques de stabilisation adéquates, ce qui signifie effectivement que l'on ne ferait pas d'austérité en période de crise. Voilà ce qui constitue en gros la trajectoire optimale pour la politique économique. Cependant, en pratique le manque d'engagement crédible de la part des gouvernements, qui conduit au laisser aller en période de boom, implique que la question de la soutenabilité budgétaire de l'Etat-Providence et celle de l'efficacité microéconomique des économies européennes ne se pose qu'en période de crise. Sortir de l'austérité aujourd'hui, cela signifie, par exemple dans le cas de la France, une dette publique qui dépassera rapidement les 100 % du PIB, ce qui laisserait le pays très vulnérable à une remontée des taux. Cela signifie aussi de fortes pressions politiques envers la BCE pour qu'elle laisse déraper l'inflation afin de dégonfler la valeur réelle de la dette, ce qui sonnerait le glas de l'euro comme monnaie forte et raviverait les antagonismes de l'Allemagne à son égard. Il n'est donc pas clair que sortir de l'austérité soit une bonne solution, en tous cas cela comporte des risques importants. Si la situation actuelle est inextricable, c'est parce que les politiques qui ont été menées avant la crise dans beaucoup de pays ont été irresponsables et que l'on a sous-évalué les coûts et les contraintes associés à l'euro, que l'on a érigé en tabou idéologique au lieu de regarder en face les déséquilibres auxquels il conduisait.

Comment dès lors traiter les cas des pays déjà engagés dans des politiques d'austérité ? Faut-il les en faire sortir ? Comment ?

Nicolas Goeztmann : Il ne faut pas revenir en arrière mais profiter des efforts réalisés. Si la relance monétaire a lieu sans la contrepartie de réformes budgétaires, tout ceci n’aura servi à rien. Concernant la France, nous aurons plus de croissance mais nous garderons les vices liés à l’économie. L’Espagne et l’Italie ont déjà fait ces ajustements, nous devons en faire de même avec le soutien monétaire. Sinon nous en souffriront.

C’est une superbe opportunité pour les politiques de faire de la politique, d’agir sur la réalité. Mais s’il advenait que l’Allemagne cède sur le monétaire, il me semble irréaliste qu’elle cède sur le budgétaire. Ils ne lâcheront pas sur les deux.

Les sacrifices concédés par les pays du sud doivent leur profiter, et ils ne le seront qu’avec un soutien de la BCE. Mais la France doit en faire de même, elle peut avoir la chance d’opérer ces réformes avec un soutien monétaire en place ce qui lui évitera l’expérience des pays du sud.

Gilles Saint Paul : En ce qui concerne nombre de pays engagés dans l'austérité, il faut distinguer le cas de la Grèce et du Portugal de celui de l'Espagne. Les deux premiers ont dérapé pendant les années 2000 et n'ont pas tellement d'alternative à l'austérité. Ils doivent s'engager dans une cure de réduction des dépenses publiques avec des effets durables. En ce qui concerne l'Espagne, elle était vertueuse sur le plan budgétaire mais son économie reposait sur la bulle immobilière. Elle pourrait sortir de l'austérité à condition de s'engager dans des réformes structurelles, notamment en ce qui concerne la formation des salaires et les rigidités de l'emploi; de telles réformes lui permettraient de redémarrer assez rapidement en ré-allouant ses ressources vers des secteurs plus exportateurs et plus viables que la construction. Mais elle n'est pas aidée par son appartenance à la zone Euro car elle ne peut accélérer ce processus en dévaluant.

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