L’Affiche rouge : le destin tragique de Golda Bancic, membre des FTP-MOI <!-- --> | Atlantico.fr
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Benoît Rayski publie « L’Affiche rouge » aux éditions Archipoche.
Benoît Rayski publie « L’Affiche rouge » aux éditions Archipoche.
©Capture d'écran Twitter / X / DR

Bonnes feuilles

Benoît Rayski publie « L’Affiche rouge » aux éditions Archipoche. Le 21 février 1944, les 23 membres de l'Affiche rouge, résistants immigrés et communistes, étaient fusillés au Mont Valérien. Tous étaient membres des FTP-MOI, l'organisation militaire du Parti communiste pour les étrangers. Extrait 2/2.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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C’est de Roumanie, de cette Roumanie-là, que venait Golda Bancic, qu’on appelait le plus souvent Olga. Elle y était née le 10 mai 1912 dans la ville moldave de Kichinev. Ouvrière, militante syndi‑ cale, elle connut très tôt les prisons de son pays pour avoir manifesté ou animé une grève. Parfois, quand elle était frappée par la police, on la traitait de communiste parce qu’elle était juive… D’autres fois, dans les mêmes circonstances, on la traitait de Juive parce qu’elle était communiste… C’était ainsi en Roumanie. Olga Bancic n’avait que seize ans quand elle épousa un étudiant, juif et communiste comme elle, du nom d’Alexandre Jar. Elle passa quelque temps en URSS, étape nécessaire pour les militants clandestins des pays de l’Est, en URSS où tout n’était pas rose mais où tout paraissait quand même mieux que dans une Roumanie lentement aspirée dans un sanglant tourbillon qui, de pogrom en pogrom, allait trouver son point d’orgue macabre dans les abattoirs de Bucarest. En 1938, en route pour l’Espagne républicaine qu’il fallait défendre contre les franquistes, elle débarqua à Paris avec Alexandre Jar. Et c’est là, cette même année, que naquit leur petite fille, Dolorès, comme Dolorès Ibarruri, la Pasionaria du PC espagnol dont les dis‑ cours enflammés galvanisaient les volontaires qui défendaient Madrid contre les fascistes.

L’itinéraire d’Olga Bancic est en tout point identique aux chemins empruntés par la plupart de ceux qui figurèrent sur l’Affiche rouge. Elle était d’origine roumaine comme Boria Lerner, exécuté en octobre 1943, comme le petit André Kirschen, du procès de la Maison de la chimie. Elle était juive comme la majorité des combattants FTP-MOI. Elle était femme comme Simone Schloss, décapitée à Cologne le 2 juillet 1942. Elle était communiste, bien sûr, comme tous l’étaient. Elle fut jugée avec Manouchian, Boczor, Rayman et les autres le 19 février 1944 et condamnée à mort comme tous le furent, car elle avait non seulement porté des armes mais s’en était servie pour tuer. Olga Bancic, arrêtée le 16 novembre 1943 lors d’un rendez-vous avec Marcel Rayman, fait donc partie des vingt-trois. Or ils ne furent que vingt-deux à être fusillés au Mont-Valérien. Elle, la vingt-troisième, connaîtra un autre sort. Une tragédie à l’intérieur de cette tragédie que constitue la mort de Manouchian et de ses camarades.

Car si Olga Bancic avait tout en commun avec les martyrs de l’Affiche rouge, elle était une femme. Et les Allemands n’exécutaient pas de femmes en France. À leur égard, le manuel de droit criminel de la Wehrmacht prévoyait d’autres modalités de mise à mort. Le paragraphe 3 de ce manuel qui concerne les « activités de franc-tireur » est d’une précision toute militaire, définissant le franc-tireur comme quelqu’un qui porte des armes mais n’a pas de signes distinctifs (uniforme, etc.) attestant qu’il fait partie d’une armée régulière. Le para‑ graphe 103 est aussi précis s’agissant de l’exécution d’un verdict pour ce type d’activités : « Les malades mentaux et les femmes enceintes ne peuvent être condamnés à mort ; le jour même du verdict, le juge fixe l’heure de l’exécution qu’il communique aux personnes concernées mais pas au condamné ; l’exécution des hommes se fait par fusillade mais les femmes doivent être décapitées. »

Voilà ce qui attendait Olga Bancic, condamnée en même temps que ses vingt-deux camarades mais à qui fut refusée « la grâce de mourir ensemble » au Mont-Valérien. À cette époque les femmes, certaines d’entre elles en tout cas, se battaient comme les hommes. S’engager dans les FTP-MOI signifiait pour elles, comme pour leurs camarades masculins, se donner le droit de mourir à sa guise. Olga Bancic avait fait ce choix. Et il ne lui serait jamais venu à l’idée de revendiquer une quelconque particularité féminine : le communisme auquel elle croyait devait dans son grand élan rédempteur effacer et résoudre tous les problèmes singuliers, ceux des Juifs et ceux des femmes, avec ceux des pauvres et ceux de l’humanité tout entière. Mais aux yeux des nazis elle n’était qu’une femme et donc pas l’égale de ses compagnons de combat. Pour eux, le peloton d’exécution, ce qui, au regard des règlements de la Wehrmacht, constituait une façon « noble » de mourir. Pour elle, la décapitation, cruelle et sup‑ posée infamante, le châtiment déshonorant réservé aux traîtres et aux adversaires allemands du régime hitlérien.

Mais pourquoi s’intéresser tant au destin de cette jeune Juive roumaine plutôt qu’à celui de Rayman ou de Wajsbrot ? Parce que c’était une femme et que l’exécution d’une femme révolte plus que celle d’un homme ? Parce que le cou d’une femme nous paraît plus doux et plus fragile que celui d’un homme ? Parce que comme Boria Lerner qui avait laissé derrière lui un enfant, le petit Daniel, Olga Bancic était la mère d’une petite Dolorès ? Parce que le verbe « décapiter » avec la lame qui détache la tête du reste du corps, tout comme le faisaient les bouchers que l’on vit à l’œuvre dans les abattoirs de Bucarest, contient dans son énoncé une dose particulière d’horreur que n’a pas le peloton d’exécution ? Un peu de tout cela sans doute, mais surtout parce qu’Olga Bancic meurt seule. Personne à qui dire sa détresse, son désespoir pour Dolorès, sa peur aussi. Personne pour évoquer les combats passés, les ennemis tués, les camarades déjà tombés. Personne pour chan‑ ter L’Internationale ou La Marseillaise. Personne pour échanger un regard qui donnerait non pas du courage – ce mot n’a guère de sens dans la cellule d’un condamné à mort –, mais un peu de bon‑ heur, celui d’être encore ensemble, de savoir que l’autre va mourir aussi, ce qui empêche peut-être de trop penser à sa propre mort. Personne, pas même le soldat du peloton d’exécution, à qui crier : « Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! » ou : « Vive le Parti communiste allemand ! » D’ailleurs peut-on crier quoi que ce soit quand on est couché sur l’échafaud, la tête enfermée dans une lunette en bois alors que le couperet va s’abattre…

Condamnée le 19 février 1944, Olga Bancic souffrira pendant trois mois puisque c’est le 10  mai de la même année, le jour de son anniversaire, qu’elle fut décapitée  : ses vingt-deux camarades exécutés le 21  février n’avaient eu à attendre la mort que quarante-huit heures… Ces jours, ces nuits, ces semaines, ces mois restent plongés dans les ténèbres. Nul ne sait comment agonisa et mou‑ rut Olga Bancic. Certes, on peut toujours essayer d’imaginer. C’est ce que fit Philippe Ganier-Raymond dans son Affiche rouge 1 , un livre que j’ai parcouru à la recherche de quelques miettes de vie de cette jeune Juive de Kichinev. Il la décrivait dans sa cellule de la prison de Stuttgart où, selon lui, elle était arrivée le 20 mars, une cellule où la lumière ne s’éteignait jamais, où, toutes les heures, un gardien venait regarder par le judas et lui apportait alcool et cigarettes à volonté. Elle en fit la remarque au gardien, qui lui répondit : « Mais vous êtes condamnée à mort ! » Olga Bancic rappela, toujours selon le même auteur, qu’on lui avait pro‑ mis la grâce. « Vous savez, il n’y a jamais de grâce pour les Juifs et les communistes. » Puis, vers la fin du mois d’avril, un « gros homme myope » entra dans sa cellule et lui dit : « Je suis votre avocat et je suis chargé de vous annoncer que votre exécution aura lieu le 10 mai. Je suis désolé. »

Mon but ici n’est pas d’accabler ce pauvre Philippe Ganier-Raymond. Les historiens qui se retranchent derrière les faits, les textes et les témoignages seraient peut-être fondés à le faire. Cependant il peut arriver parfois qu’un écrivain, emporté par le souffle de sa passion, atteigne la vérité sublime qui est hors de portée des meilleurs historiens. Mais il faut que ce soit un grand écrivain. Et c’est chez Victor Hugo dans Le Dernier Jour d’un condamné que se trouvent les mots qu’il faut pour parler de la souffrance d’Olga Bancic.

« Ils disent que ce n’est rien, qu’on ne souffre pas, que c’est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée. Eh ! qu’est-ce donc que cette agonie de six semaines et ce râle de tout un jour ? Qu’est-ce que les angoisses de cette journée irréparable, qui s’écoule si lentement et si vite ? […] Et puis, on ne souffre pas, en sont-ils sûrs ?

 Qui le leur a dit ? Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : cela ne fait pas de mal ! »

J’ai quand même gratté ce qui restait des murs de la prison de Stuttgart pour tenter de me rapprocher d’Olga Bancic. Le dernier souffle de vie qui nous soit parvenu d’elle, à l’exception de la lettre qu’on lui permit d’écrire à Dolorès la veille de son exécution, remonte au 17 novembre 1943, quand le jeune Simon Rayman fut, après son arrestation, amené par les inspecteurs de la brigade spéciale à la Préfecture de police. Là, en passant devant un bureau, il vit son frère Marcel assis la tête penchée en avant, les mains et les pieds enchaînés. Il croisa aussi Celestino Alfonso, un autre des vingt-trois. Et dans la salle où il attendait d’être interrogé les policiers ramenèrent une jeune femme qui pouvait à peine marcher (les hommes de la brigade spéciale torturaient aussi bien que la Gestapo). Des heures durant il l’entendit sangloter. C’était Olga Bancic. Après, c’est la nuit, le brouillard. Restait à fouiller les entrailles de la prison de Stuttgart, 18 Urbanstrasse, détruite en septembre 1944 par un bombardement allié. Sur Olga Bancic elles livrent quelques bribes consignées dans les registres de la prison ou dans les dossiers d’état civil de la ville.

C’est le 9 mai, la veille de son exécution, que la condamnée à mort fut transférée de la prison de Karlsruhe à celle de Stuttgart. Là, elle écrivit à sa fille : « Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Sois fière de ta mère, mon petit amour. » Les registres où sont notés les décès indiquent qu’elle a été exécutée (hingerichtet) à 5 heures du matin le 10 mai 1944. Et cela en appli‑ cation du jugement du Kommandant von Gross-Paris, Abteilung B (la chambre pour les affaires terroristes) rendu le 19 février : tous les noms des vingt-trois figurent sur ce document ; Olga Bancic est vingt et unième sur la liste qui commence par Manouchian. C’est tout ce qui existe concernant directement la jeune combattante des FTP-MOI. Mais sur sa dernière demeure, la prison de Stuttgart, et sur ceux qui l’occupèrent avant elle, en même temps qu’elle et après elle, les détails ne manquent pas. Sa dernière demeure, parce que, n’ayant pas été exécutée en France, Olga Bancic n’a pas eu droit à une sépulture qui lui aurait per‑ mis de voisiner avec la plupart de ses camarades à la 39e division, avenue de l’Est au cimetière pari‑ sien d’Ivry : juste une petite plaque commémorative sur un mur.

Retrouvez l'entretien de Benoît Rayski : Panthéonisation de Manouchian : les membres de l'Affiche rouge préféraient mourir en se battant contre les nazis qu'à Auschwitz

Extrait du livre de Benoît Rayski, "L'Affiche rouge", publié aux éditions Archipoche

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