Kristen Stewart, Miley Cyrus, Ruby Rose… la bisexualité féminine prend d’assaut Hollywood : sommes-nous entrés dans une ère de “genre fluide” ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Miley Cyrus
Miley Cyrus
©Reuters

Révolution sexuelle

De Angelina Jolie à Amber Heard, bon nombre de personnalités féminines affichent sans complexe leur bisexualité. Un enchaînement qui relance la théorie du "genre fluide".

Dominique Lefèvre

Dominique Lefèvre

Dominique Lefèvre est psychologue sexologue clinicienne, experte en analyse de pratiques professionnelles en groupe et sur les questions intimes individuelles ou conjugales. Elle exerce ses activités de sexothérapeute depuis 5 ans au CHU Henri Mondor de Créteil et donne des consultations privées sur Paris et en région Est Île de France (bureau basé à Nogent sur Marne) ainsi qu'en national et international par Skype. Dominique Lefèvre est aussi docteure en droit.
 
 
 
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Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans

Jean-Roger Dintrans est psychiatre, chargé de cours à Paris V et à Paris VII.

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Sophie  Bramly

Sophie Bramly

Sophie Bramly a été photographe et est maintenant productrice de télévision. Elle est aussi créatrice du site secondsexe.com, un portail dédié au plaisir au féminin. Elle a publié avec le Professeur François Olivennes Tout ce que les femmes ont toujours voulu savoir sur le sexe et enfin osé le demander.

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Atlantico : Comment se traduit cette bisexualité particulièrement revendiquée aujourd'hui dans la culture populaire ?

Sophie Bramly : L'audace ne semble pas venir de France mais essentiellement du cinéma américain qui contrairement aux idées reçus est enclin à mettre en scène des situations apparaissant comme des transgressions. La culture française est conservatrice, on est sur des valeurs archaïques des rapports sexuels. Il y a un cinéma qui est très contrôlé par une production masculine, et ce, même quand ce cinéma est féminin. Des artistes touchent au sujet, mais ils font souvent partie du cinéma indépendant. C'est donc moins visible. Sur le déploiement à grand échelle de cette mise en scène de la bisexualité, Gleeden en est l'exemple type. En effet, sur leur site il y a des demandes de femmes cherchant des femmes ou des couples cherchant des femmes. Cela apparait comme un fantasme dans les journaux féminin, une expérience à essayer. Dans sa diffusion populaire, la bisexualité vient surtout du cinéma américain et de la littérature américaine plutôt que des nôtres. Que les femmes s'expriment sur la sexualité, cela perturbe les modèles établis et les schémas traditionnels. Heureusement il y a toujours des exceptions, les lignes bougent, mais cela n'est pas aussi franc du collier que dans les pays anglo-saxons.

Assume-t-on, de nos jours, davantage la bisexualité ou est-ce plus courant ? Comment l'expliquer ?

Jean-Roger Dintrans : La bisexualité n'a pas une définition unique acceptée de tous. Des individus vont avoir davantage d'expériences avec des hommes ou avec des femmes, cela varie. Des critères quantitatifs entrent en compte pour certains spécialistes afin de définir ce type de sexualité. Les spécialistes ne s'accordent pas : avoir eu une seule expérience bisexuelle et fréquenter toute sa vie homme et femme ne sont pas une meme chose et sont à prendre en compte de manière différente si on cherche à penser la bi-sexualité. 
L'une des acceptions courantes serait celle d'un partage à peu près équivalent entre des relations avec des hommes et des femmes durant sa vie. Mais en fait, une échelle des orientations sexuelles incluant la bisexualité a été créée dans les années 50 par l’américain Alfred Kinsey: elle évaluait la bisexualité sur une échelle de 1 à 7.
 Aujourd'hui, on observe une bisexualité affichée surtout par les jeunes qui la revendiquent, souvent chez les adolescents et post adolescent.
L'affichage de cette bisexualité aujourd'hui s'explique sans doute par un effet de mode et aussi un désir d'expériences (devenues  moins dangereuse socialement car désormais moins stigmatisée dans les métropoles occidentales du moins). 
Si la bisexualité a toujours existé, chez les 15-25 ans, il s'agit majoritairement d'une forme d'exploration, après laquelle, statistiquement, on observe une stabilisation de la sexualité plus hétérosexuelle qu'homosexuelle. 
Pour certaines femmes, la vie affective peut être homosexuelle alors que la vie sexuelle incluera à la fois une orientation homosexuelle et une orientation  hétérosexuelle. On observe aussi des individus qui ont une relation stable hétérosexuelle pendant très longtemps puis homosexuelle sur une longue période également, sur 10 ou 15 ans par exemple. Ces situations ne peuvent pas être comparées à celle des jeunes filles de 18 ans qui revendiquent des relations sexuelles avec leurs amies.

Dominique Lefèvre : Assumer au grand jour une bisexualité c'est affiché en un sens une forme de liberté. Certaines personnes sont dans une transition sans faire de réel choix, naviguant de l'hétérosexualité à l'homosexualité. Il s'agit parfois de deux moments différents et non simultanés dans des étapes de vie. De plus en plus de personnes jeunes n'ont jamais connu d'expérience hétérosexuelle car elles se sentent actuellement moins contraintes à l'hétéro-normalité comme on dit, alors que des personnes plus âgées vont déclarer le choix d'une seule orientation homosexuelle après avoir été dans une relation hétérosexuelle car elles se sentaient jusque-là contraintes.
La bisexualité psychique est particulièrement importante avec les fantasmes aussi bien masculins que féminins. Ce n'est pas seulement la question de pratique, dans la bisexualité il y a aussi la notion d'amour. L'aspect psychique est essentiel, et les pratiques sexuelles ne sont pas toujours en conformité avec cette bisexualité interne.

En quoi ce type de sexualité instaure un rapport différent à l'autre ? Est-ce une manière d'en finir avec la traditionnelle relation dominé/dominant, homme/femme ?

Jean-Roger Dintrans : Les êtres qui font l'expérience de la bisexualité répondent à des attirances/envies; une infinité de paramètres entrent en jeu (Ricoeur ne disait-il pas: “quand deux êtres humains s’étreignent, ils ne savent pas ce qu’ils veulent, ils ne savent pas ce qu’ils font, ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, ils ne savent pas ce qu’ils trouvent”.). Ils n'agissent bien sûr donc pas forcément pour renverser le patriarcat, mais : "parce que c'était elle et et parce que c’était moi". Ceux qui le théorisent, journalistes, sociologues, psychologues,etc…, ont, eux en revanche, souvent des motivations précises, à savoir la modification ou la conservation de paradigmes sociétaux, la poursuite de mises en perspective politique. Il faut différencier les motivations des  êtres dans leur experience personnelles, et les motivations de ceux qui écrivent sur le sujet.

Dominique Lefèvre : Sans rentrer dans les discours de conditionnement sociaux ou éducatifs, il y a quand même dans la sexualité masculine, dans ce que je vois à travers les difficultés sexuelles masculines, une notion de performance. Il n'y a pas cette nécessité d'érection et d'éjaculation. Les femmes sont d'abord dans un rapport de corps éroti que, avec parfois des insatisfactions, moins centrées sur la finalisation du rapport sexuel. Cela ne veut pas dire que la pénétration est impossible, notamment avec les "sextoys" par exemple. La communication érotique apparait souvent plus facile entre deux femmes. La sexualité est la femme dans sa capacité à être performant. L'exploration érotique, de son corps, est plus importante dans les relations homosexuelles alors que souvent dans les rapports hétérosexuelles, la sexualité des hommes étant fragiles, la femme se trouve un peu mis en demeure de rassurer l'homme dans sa capacité de donner du plaisir et d'être performant.

Accepte-on davantage la bisexualité entre femmes que celle impliquant des hommes ? Pourquoi ?

Jean-Roger Dintrans : Docteur Jean-Roger Dintrans: En règle générale, l'homosexualité féminine a été mieux tolérée dans les sociétés, de tout temps. En effet les sociétés acceptaient de procéder à un déni de son existence (meme si, quand elle apparaissait au grand jour, elle pouvait alors être sévèrement réprimée) . Mais si l'homosexualité féminine a pu bénéficier ainsi d'une certaine mansuétude, l'homosexualité masculine n'a pas été protégée par le même déni sociétal, et et fût en general durement sanctionnée jusqu’à une époque encore récente même dans les sociétiés occidentales.

Les rapports sexuels sont associés à l'activité pour l'homme, et la passivité chez la femme. Pour beaucoup, l'homme s'éloignerait de leur image de virilité avec des rapports homosexuels, quittant le schéma où le mâle doit être actif. Dans l'imaginaire populaire, les femmes sont passives et le restent avec l'homosexualité.

Dominique Lefèvre : Cela sujet a été longuement étudié… En effet, deux hommes ensemble apparaissent souvent contre nature. Pour certains il s'agirait de personnes indéterminées, la bisexualité ne serait pas normale ni claire, et pour d'autres cela serait bien car ça créerait du trouble dans les normes imposées.
Dans l'Antiquité on se définissait pas tant par une orientation que par des pratiques. Ainsi, la femme était là pour reproduire. C'est à partir du 13 siècle qu'on a commencé à définir une orientation homme-femme. Certains Grecs ou Romains s'aimaient entre homme mais il fallait avoir une femme pour la progéniture. Dans notre société, on fonctionne encore sur des binômes passifs actifs, homosexuels ou hétérosexuels et dès qu'il y a de la différence ou de la transition entre deux types de sexualité, cela crée du trouble.
Chez les femmes, généralement on n'associe pas de binôme pénétrant pénétré contrairement aux rapports entre hommes. Ce choix de la bisexualité enfermerait davantage l'homme, un homme acceptant de se faire pénétrer ne serait pas viril. La sodomie reste une pratique taboue. C'est aussi un grand fantasme masculin que de voir 2 femmes ensemble. Pour certains, la bisexualité serait une homosexualité non assumée. Pratiques de la sodomie est tabou.

Est-ce un effet de mode ou une véritable évolution de la reconnaissance de cette sexualité dans notre société ?

Jean-Roger Dintrans : Soyons lucides:  la tolérance vis à vis de l’affichage des orientations sexuelles différentes, incluant la bisexualité,  concernent essentiellement les mégapoles  occidentales et pas le reste du monde. Quant à votre question  de savoir si celà constitue une véritable évolution des moeurs, appellee à demeurer stable… reparlons en dans 5 siècles et je vous donnerai alors la réponse!, La réponse à cette question varie en effet souvent selon la position partisane : ceux qui veulent ou pas un changement de paradigme apporteront une réponse différente, espérant un effet de prédiction auto-réalisatrice.

Dominique Lefèvre : Il y a les deux... Certains vont assumer leur choix car cela s'inscrit dans un choix pensé, alors que d'autres, surtout des jeunes, le font par mimétisme face à la médiatisation de cette sexualité notamment suite à l'affichage d'une bisexualité par des personnalités de la chanson ou du cinéma. L'effet d'imitation n'est pas à négliger, dans l'éducation le mimétisme a une place importante. Il y a une forme de rébellion contre les normes. Il y a également des jeunes adolescentes vont s'orienter de manière indéterminée, explorer puis se déterminer par la suite  avec un choix amoureux.
Même si l'effet de mode existe, il y a une évolution du fait des minorités agissantes. Certains le déplorent, expliquant qu'ils étaient plus tranquilles avant… D'autres en profitent pour s'assumer librement au grand jour. Mais cela reste bien plus évident dans les grandes villes.

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