“Khorasan”ou pas : L’Etat islamique, objet terroriste non identifié<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agents des forces de l'ordre sont déployés devant la salle de concert Crocus City Hall en flammes après la fusillade à Krasnogorsk, dans la banlieue de Moscou, le 22 mars 2024.
Des agents des forces de l'ordre sont déployés devant la salle de concert Crocus City Hall en flammes après la fusillade à Krasnogorsk, dans la banlieue de Moscou, le 22 mars 2024.
©STRINGER / AFP

Etat Islamique

Les terroristes ayant attaqué Moscou le 22 mars dernier, arrivaient d'Istanbul. Ils venaient de l'organisation terroriste du Khorasan, qui s'étend de l'Est de l'Iran et une partie de l'Asie Centrale. Mais qui est réellement l'Etat islamique du Khorasan ?

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Que sait-on à ce jour des terroristes ayant frappé Moscou (désormais, quelque 150 morts) ? Tous quatre sont arrivés d'Istanbul peu avant l'attentat. La "spécialité" de l'État islamique - ci-après ISIS-K - au Khorasan (Aire historique entre Iran oriental et Asie centrale) étant l'attaque de mosquées en mode "stratégie de la tension", la trouvaille (outre des photos du complexe culturel moscovite) de celles de mosquées d'Istanbul dans le smartphone d'un des terroristes a précipité la coopération entre le renseignement russe (FSB) et son homologue turc, le MIT.

Peu après, le MIT découvrait près d'Istanbul deux bases secrètes d'ISIS-K et y arrêtait 32 Tadjiks et 9 Kirghizes. Après interrogatoire des plutôt rugueux services turcs, les aveux ont afflué. Se­lon nos sources, ils ont permis d'identifier en Russie cinq réseaux dormants, entre Moscou et Toula ; et des métastases de l'appareil d'ISIS-K, jusqu'en Afghanistan et en Syrie.

Des prises de sang ont révélé qu'avant l'assaut, ces quatre terroristes Tadjiks de 19 à 32 ans se sont dopés au Captagon, la "Drogue du courage" des milices du Moyen-Orient, amphétamine violemment sti­mulante, permettant de veiller des nuits entières. Ici, première incohérence : la guerre "sainte", Djihad, diffère de la "mission de sacrifice" (Shahadat) dont on ne revient pas et où des "martyrs" sacrifient leur vie pour l'Oumma (communauté des croyants). On a pu autopsier de ces "mar­tyrs" après de telles missions : nul d'entre eux, jamais, n'avait absorbé d'alcool ou d'excitants. Ceux de Mos­cou, oui. Étrange.

Mais l'enquête des services russes, turcs et tadjiks ne saura se borner aux constatations hu­maines ou matérielles : une tâche autrement plus ardue les attend : découvrir ce que camoufle la (tout sauf claire) appellation d'"État islamique au Khorasan". De fait, poser un diagnostic juste suppose l'usage de termes appropriés - mais d'abord, de savoir de quoi on parle. Or après le terrible at­tentat de Moscou, les médias dépeignent l'"État islamique", Daesh de son acronyme arabe, comme une entité terroriste banale et bien connue, parmi d'autres comme al-Qaïda, pour res­ter dans le registre islamiste.

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Alors que Daesh est tout sauf ça - et traîne même dès son émergence, voici près de vingt ans, une persistante réputation d'agent provocateur.

Son fondateur - Abu Musab al Zarkawi (kuniya, nom de guerre, de Ahmed Fadel Nazar al-Kha­laylah), voyou toxicomane issu de la ville de Zarka, proche d'Amman en Jordanie, islamisé en prison. Lourdement condamné puis bizarrement libéré, Oussama ben Laden le soupçonne vite d'avoir été recruté par les services spéciaux jordaniens et le tient donc à distance. Ensuite, Zarkawi multiplie les attentats-provoc contre des mosquées chi'ites irakiennes, déclenchant une guerre sectaire bien utile à l'armée américaine, en mode "diviser pour régner". Et quand Zarkawi quitte Al-Qaïda-en-Irak, première étape de la fondation de "l'État islamique", on ne voit pas al-Qaïda s'en désoler beaucoup.

Son architecte - Plus bizarre encore : toute l'architecture de l'appareil politico-militaire de Daesh - son "code-source" dit un expert irakien de l'islamisme - revient à Samir abd Mu­ham­mad al-Khlifawi dit "Hajj Bakr". Un fanatique moudjahid ? Non : un colonel du renseigne­ment de l'armée de l'air de Saddam Hussein. Retrouvé aux archives de l'état-major irakien, son dos­sier contient des photos d'un bon vivant trinquant, verre de whisky en main, près de son épouse en robe légère et cheveux au vent. Pas très salafiste, tout ça...

Son encadrement - Fin 2017, des "Sources informées israéliennes" - difficile d'être plus clair... - produisent une remarquable étude sur l'encadrement de l'État islamique, partant des dossiers de 129 de ses dirigeants, dûment identifiés : à 73% irakiens et TOUS issus de l'armée, des ser­vices spéciaux ou de la police de Saddam... Pas vraiment la sociologie d'un groupe islamiste... À Bagdad, un digni­taire chi'ite ironise : "l'État islamique, c'est l'appareil régalien de Saddam, plus les barbes et les si­wak" (Bâtonnets en bois odorant servant de brosse à dents ; populaires chez les islamistes, car le Prophète en usait souvent).

Dans la galaxie État islamique, ISIS-K n'est qu'une lointaine filiale, issue en 2014 d'une scission des Taliban du Pakistan - différents de ceux de Kaboul. Depuis, ISIS-K survit à l'est du pays, commettant parfois un attentat meurtrier : 13 soldats américains tués lors de l'évacuation de Kaboul à l'été 2021, un attentat-suicide à l'ambassade russe locale, en septembre 2022.

Autre mystère : au pouvoir à Kaboul, les Taliban afghans surveillent les bases d'ISIS-K à l'est du pays et affirment aux services russes qu'aucun téléphone des terroristes ayant frappé Moscou ne les a contactées. Mais qui donc finance ISIS-K ? Qui déclenche ses attentats ? On l'ignorera jusqu'à ce que l'enquête Russo-turco-tadjike ait abouti - si ses résultats sont un jour dévoilés.

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