Jeux de dupes : la Commission européenne accorde des concessions aux agriculteurs tout en fixant des objectifs climatiques plus stricts<!-- --> | Atlantico.fr
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La Commission européenne s'apprête à dévoiler ses nouvelles recommandations en matière de politique climatique.
La Commission européenne s'apprête à dévoiler ses nouvelles recommandations en matière de politique climatique.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Préconisations

La Commission a renoncé à la réduction de 30 % des émissions de CO2 dans le secteur agricole pour apaiser les protestataires, mais la nouvelle réduction globale de 90 % d'ici à 2040 obligera de toute façon les agriculteurs à s'y conformer.

Tamás Orbán

Tamás Orbán

Tamás Orbán est journaliste politique pour The European Conservative, basé à Bruxelles. Né en Transylvanie, il a étudié l'histoire et les relations internationales à Kolozsvár et a travaillé pour plusieurs instituts de recherche politique à Budapest. Ses intérêts incluent l'actualité, les mouvements sociaux, la géopolitique et la sécurité de l'Europe centrale.

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La Commission européenne s'apprête à dévoiler ses nouvelles recommandations en matière de politique climatique. Elle préconise des objectifs de réduction des émissions de CO2 encore plus stricts, mais fait également plusieurs concessions - bien que symboliques pour la plupart - au secteur agricole en réponse aux manifestations d'agriculteurs qui ont eu lieu pendant des mois sur tout le continent.

Si certaines de ces concessions peuvent sembler intéressantes sur le papier, d'autres continuent à promouvoir des politiques "vertes" qui nuiront aux Européens en général et aux agriculteurs en particulier. Dans la pratique, la course de la Commission vers le "Net Zero" n'a pas ralenti et continuera à entraîner une hausse des prix des denrées alimentaires, car les exploitations agricoles européennes sont forcées de fermer et leurs produits sont remplacés par des importations en provenance de pays qui ne sont pas soumis aux réglementations de l'UE. 

Selon le projet final des recommandations vu par Politico, la Commission préconise une réduction globale de 90 % des émissions de CO2 (par rapport aux niveaux de 1990) d'ici à 2040. Auparavant, seul un objectif de 55 % avait été fixé pour 2030, ainsi qu'une neutralité climatique totale d'ici 2050. Selon la Commission, la réduction des émissions de 90 % d'ici la fin de la prochaine décennie est essentielle pour que l'Europe puisse atteindre une neutralité de 100 % d'ici le milieu du siècle.

Dans le même temps, les protestations des agriculteurs - en particulier les événements de la semaine dernière dans la capitale européenne - ont apparemment forcé la Commission à ajouter quelques révisions de dernière minute à son projet concernant le secteur agricole. 

Plus important encore, le projet final n'inclut plus les demandes antérieures de réduction de 30 % des émissions de CO2 dans le secteur agricole d'ici 2040 (par rapport aux niveaux de 2015), tout en abandonnant les recommandations de changement de mode de vie - telles que la transition vers un régime alimentaire beaucoup plus végétal - et l'élimination progressive des subventions aux combustibles fossiles, qui est l'un des principaux points de friction des agriculteurs qui dépendent du diesel subventionné pour faire fonctionner les machines agricoles lourdes dans le contexte de la hausse des prix des carburants.

Selon des fonctionnaires anonymes, les révisions ont été poussées en particulier par la commissaire aux transports Adina Vălean (Roumanie), le commissaire à l'élargissement et au voisinage Olivér Várhelyi (Hongrie) et le commissaire au marché intérieur Thierry Breton (France).

Mais même si ces objectifs concernant le secteur agricole ont été retirés du document officiel, cela ne signifie pas que l'UE n'attendra pas des agriculteurs qu'ils se conforment dans une certaine mesure et qu'elle imposera probablement des réductions d'émissions d'une manière ou d'une autre, affirment des diplomates.

"Malgré toute la sémantique de la Commission, il existe une analyse d'impact sans équivoque qui présente des arguments (commerciaux) très convaincants en faveur d'un objectif global ambitieux et de tous les sous-objectifs sectoriels", a déclaré un fonctionnaire, en référence à l'analyse de mise en œuvre de la Commission qui accompagnera les objectifs révisés.

Selon cette évaluation technique qui sera également publiée plus tard dans la journée de mardi, l'objectif global de 90 % de réduction des émissions de CO2 ne peut être atteint sans des réductions substantielles dans l'agriculture également. En pratique, cela signifie que la Commission n'a pas vraiment tiré les agriculteurs d'affaire, mais qu'elle a simplement renvoyé la balle aux États membres qui, à leur tour, devront décider de mesures climatiques qui pourraient leur nuire, simplement pour se conformer à l'objectif global de réduction.

Fixer un objectif climatique aussi ambitieux pour 2040 semble un peu précipité, si l'on considère que les récentes évaluations de l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) et de la Commission elle-même montrent que la grande majorité des objectifs de 2030 ne seront probablement pas atteints à temps non plus. 

Selon le dernier rapport de l'AEE publié en décembre, l'UE est en passe de manquer 20 des 28 objectifs clés à l'échéance de 2030, tandis que les calculs de la Commission n'indiquent qu'une réduction de 51 % des émissions de CO2 au lieu de 55 % à la même date, ce qui pousse de nombreuses personnes à penser que les objectifs n'étaient pas réalistes au départ.

Néanmoins, avec la publication de la nouvelle ligne directrice, la balle sera dans le camp du Parlement européen, qui devra décider s'il souhaite en faire une législation contraignante. Tous les regards sont tournés vers le groupe le plus important, le PPE, qui a fait des allers-retours sur les objectifs climatiques au cours des derniers mois, balançant entre ses alliés de gauche et sa base d'électeurs de centre-droit.

Selon le principal porte-parole du PPE en matière d'environnement, l'eurodéputé Peter Liese, le parti "envisagera" d'approuver l'objectif de réduction de 90 % en échange de certaines concessions, telles que l'interdiction des PFAS, des "produits chimiques à vie" que l'on peut trouver dans presque tous les produits en plastique. L'initiative du parti visant à se débarrasser de ces substances nocives a été considérablement édulcorée par la Commission l'année dernière, après avoir rencontré une opposition majeure de la part de certaines industries.

Dans le même temps, Mme Liese a également pris le parti des agriculteurs tout en se moquant de l'ancien tsar vert de l'UE, Frans Timmermans, en déclarant qu'il avait doté la division climatique de la Commission de "beaucoup, beaucoup de gens [qui] travaillent sur des instruments [pour] torturer les Européens, les agriculteurs européens, l'industrie européenne, et ainsi de suite".

Il semble hypocrite de soutenir un objectif climatique qui va nuire aux agriculteurs d'une manière ou d'une autre tout en prenant leur parti avec autant de force, mais le PPE n'est pas le seul. Tous les groupes parlementaires, y compris les gauchistes, sont soudain devenus militairement pro-agriculteurs alors qu'ils ont voté en faveur de tout ce qu'ils ont dénoncé ces dernières années. 

Le Parlement tiendra un débat en plénière sur les manifestations d'agriculteurs mercredi.

Cet article a été initialement publié sur The European Conservative.

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