Inculpation de Trump en Géorgie : les ingrédients d’un cocktail électoral détonnant pour 2024<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Donald Trump
Donald Trump
©SAUL LOEB / AFP

Polarisation

Donald Trump a été "arrêté" quelques heures, dans un contexte politique tendu.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

Voir la bio »

Atlantico Trump a donc été « arrêté » jeudi soir en Géorgie. Quelles sont les circonstances de cette affaire ?

Jean-Eric Branaa :  La procédure en cours en Géorgie présente quelques particularités. La notification de la mise en examen a déjà été effectuée. Pour faire une comparaison avec la France, on peut dire que c'est l'équivalent d'une signification par huissier. Les personnes concernées doivent se rendre dans le comté de Fulton, où l'affaire sera jugée. Elles doivent se présenter à la prison pour être enregistrées, comme une sorte d'étape intermédiaire avant le lancement effectif du procès. Cette étape permet au juge de déterminer qui parmi les accusés est disposé à coopérer et qui, bien qu'ayant plaidé non coupable, se présentera tout de même au tribunal. C'est à ce moment-là que la décision sur la caution est normalement prise, ainsi que sur le plaidoyer.

Tous ces éléments ont été préparés à l'avance dans le cas de Donald Trump. La caution avait été fixée à l'avance. Donald Trump s’est rendu en personne à la prison du comté.

Dans ce contexte, on peut considérer que Donald Trump est en quelque sorte "arrêté" étant donné qu'il doit rester sur place pendant la durée de la procédure. Cela équivaut à une forme de garde à vue vue. Cependant, il est important de noter que la prison de ce comté, tout comme le système judiciaire local, est réputée pour son inefficacité, même au sein d'un État qui connaît des difficultés. Par conséquent, les procédures sont souvent longues, avec des délais pouvant atteindre 6 à 7 heures pour l'enregistrement des personnes se rendant volontairement. Cependant, il est peu probable que cela s'applique à Donald Trump, car grâce à ses avocats, sa procédure devrait être accélérée de manière significative.

Trump cherche à mettre en scène ce moment en organisant un rassemblement pour le soutenir. Peut-il capitaliser dessus ?

Jean-Eric Branaa : Certainement. Il est prévu qu'il y ait des manifestations, comme c'est souvent le cas. Des déclarations ne manqueront pas non plus, comme c'est habituel. Cependant, il est désormais clair que Donald Trump utilise les affaires judiciaires comme un moyen de mener sa campagne électorale en mettant en avant la corruption présumée du système. Son objectif est de plaider en faveur d'un changement radical. Nous assistons en quelque sorte à une version plus contemporaine de ce que l'on pourrait appeler "l'État Profond", une notion qui a alimenté sa campagne en 2015 et 2016. C'est une idée qui perdure, et tous ceux partageant sa vision reprendront cette thèse en argumentant que Joe Biden et ses partisans manipulent les institutions à leur avantage personnel : éliminer un concurrent qui a les moyens financiers et même une probabilité considérable de prendre la place de Joe Biden en 2024.

.Y-a-t-il du vrai dans ces accusations de procès politique ? A quel point cela fait-il mouche malgré tout ?

Jean-Eric Branaa : Non, cette affirmation n'est pas exacte, étant donné que le système judiciaire américain est construit avec de multiples mécanismes de contrôle. Il est important de noter que ce système est extrêmement indépendant. Dans le cas actuel, il s'agit d'une juridiction d'État, ce qui signifie que le gouvernement fédéral n'a absolument aucun pouvoir pour interférer dans le déroulement de la procédure. Certains pourraient arguer que Fani Willis est affiliée au parti démocrate, ce qui pourrait la lier au président Biden. Cependant, il est faut souligner que c'est un Grand Jury, composé de citoyens de Géorgie, voire de tout le pays, sélectionnés de manière aléatoire pour garantir l'impartialité de la justice, qui a déterminé l'existence de motifs raisonnables de suspicion à travers des éléments de preuve. Et c’est un second jury qui se prononcera lors du procès.

Vous demandiez à quel point la rhétorique employée était biaisée et comment elle résonnait auprès des républicains et des partisans de Trump. Cette rhétorique crée incontestablement une impression particulière, principalement chez les partisans de Trump et par extension, au sein des républicains. Ce phénomène s'explique en grande partie par le fait que Donald Trump a réussi au fil des années à devenir une sorte de média à lui seul. Cette source est perçue comme crédible par ses partisans, en contraste avec ce qu'ils considèrent comme des médias conventionnels, accusés de relayer un discours uniforme dans le but de dissimuler la "vraie vérité". Un grand nombre de personnes votent en faveur de Donald Trump parce qu'il apporte une voix alternative et une perspective différente, souvent déjà présente dans l'esprit des gens. Il est crucial de noter que dans chaque perspective, il existe une multitude de manières de raconter une histoire, chacune avec sa propre nuance. Donald Trump a réussi à mettre en avant cette particularité, ce qui explique son attrait. C'est en quelque sorte un talent qu'il possède, en représentant ces voix à travers sa façon distinctive de communiquer. Une large majorité des républicains croient en la véracité de ses paroles.

Cela n'a pas évolué depuis 2015, il maintient cette position. Il semble représenter, du moins c'est ce qu'il affirme, la voix de ceux qui sont souvent ignorés, ceux qui ne font pas partie des élites. Cela explique pourquoi 62% des républicains américains se sont déjà ralliés à sa candidature. C'est un soutien significatif, d'autant plus que nous sommes à 150 jours seulement du début des primaires, qui commencent le 15 janvier. Cela signifie que le processus débutera très bientôt en Iowa, où il est actuellement crédité de 42% des intentions de vote. Il est également en bonne position dans le New Hampshire, avec une estimation de 55% des voix dans cet État. Une fois qu'il remportera les deux premiers États, la marche vers le "Super Tuesday" début mars s'effectuera rapidement. À ce moment-là, près de la moitié des primaires auront lieu simultanément. Cela devrait consolider sa position. À ce stade, il semble peu probable qu'une autre candidature puisse émerger et rivaliser sérieusement.

Est-ce que les procédures judiciaires peuvent l'empêcher de se présenter ?

Jean-Eric Branaa : Les procédures judiciaires ne l'empêcheront pas de se présenter. Déjà car il est important de noter que d'ici à ce qu'il soit effectivement condamné et incarcéré, l'élection se sera déjà déroulée. De plus, même s'il était condamné, il est probable qu'il fasse appel de la décision. Il est peu probable aussi qu'un juge choisisse d'envoyer un ancien président des États-Unis en prison.

Le sénateur républicain Bill Cassidy dit que Trump devrait abandonner et se retirer. Est-ce que c'est un signe que malgré tout y a des doutes dans l'établissement de républicains ?

Jean-Eric Branaa : Non, ces déclarations ne sont pas significatives. Actuellement, nous sommes en plein cœur de la campagne électorale, et cela se fait ressentir particulièrement parmi les rivaux de Donald Trump, en particulier dans les rangs de ceux qui soutiennent Mike Pence. Une multitude de théories circulent dans toutes les directions.

Et ce qui pourrait sembler être une tentative de semer la discorde dans l'élection de Trump pourrait finalement renforcer sa position. Il est possible que Trump adopte une approche similaire à celle qu'il a eue en 2015 et 2016, lorsque le mouvement "Jamais Trump" tentait de le forcer à abandonner la course. Malgré ces pressions, il est devenu président des États-Unis.

A quel point, quel que soit le dénouement de la situation, cela va polariser plus  encore les Etats-Unis ?

Jean-Eric Branaa : Quoi qu'il en soit, quelle que soit l'issue future pour Trump, cela ne fera qu'accroître l'instabilité politique aux États-Unis, sous diverses configurations. En effet, la situation s'annonce complexe. Si Donald Trump était réélu, on peut s'attendre à une intensification de la polarisation américaine. Ce serait difficilement supporté par la gauche. En revanche, si Trump perdait, il accuserait certainement le système de fraude, ayant déjà exprimé que Biden et ses partisans font tout pour l'entraver par des procédures judiciaires. Il est inquiétant de noter que des sondages indiquent des niveaux inquiétants de méfiance envers le processus électoral. Dans l'Iowa, par exemple, une majorité de 51% des électeurs participant au caucus pensent actuellement que l'élection de 2020 a été truquée. Cette conviction, tel un fer chauffé à blanc, pourrait alimenter des tensions très intenses. Malheureusement, il est possible de craindre qu'au cours des 450 prochains jours, jusqu'à l'élection, les tensions s'aggravent davantage et que le résultat électoral soit une étincelle susceptible d'enflammer divers groupes d'opinions. Pour une démocratie de cette envergure, cela est loin d'être souhaitable. Je pense que les procédures judiciaires servent de de de carburant, et que le détonateur sera élection. Ça n’est pas tenable. Et tant que les acteurs sont les mêmes, ça ne pourra pas s’arranger. Et Trump n’a pas l’air de vouloir se retirer de la vie politique.

Une troisième voie est-elle possible ?

Jean-Eric Branaa : Non, il est crucial de comprendre que le système politique américain est conçu de manière bipartite, ce qui effectivement entrave l'émergence d'une troisième voie. Cette tentative a déjà été expérimentée dans le passé, avec le milliardaire Ross Perot en 1992. Il avait autofinancé sa campagne et réussi à perturber le système, ce qui avait eu pour conséquence de favoriser l'élection de Clinton au détriment de George Bush Sr., l'empêchant ainsi de remporter un second mandat. Une situation similaire pourrait potentiellement se reproduire aujourd'hui si une autre alternative centriste émergeait. Si cela devait se produire, ce mouvement aspirerait probablement des voix à Biden, ce qui pourrait indirectement profiter à Trump.

Il serait nécessaire d'obtenir un soutien plus généralisé à travers les États-Unis, ce qui n'est pas actuellement le cas. Bien qu'il y ait des tentatives émanant du centre politique qui se multiplient.

Actuellement, nous sommes dans une situation quelque peu paralysée, dans un véhicule qui avance à grande vitesse sans réel pilote. Les options qui se présentent ressemblent simplement à une revanche de 2020, mais le contexte a changé. Ce qui rendait Donald Trump répulsif en 2020 semble s'être estompé au bout de quatre ans, ce qui pourrait entraîner une participation électorale moins intense. L'issue est donc incertaine, que ce soit pour Biden ou Trump, l'un comme l'autre pourrait l'emporter, sans que l'on puisse prévoir qui aura le dessus.

Si l'élection avait lieu demain, Trump aurait-il ses chances de gagner autant que Biden ?

Jean-Eric Branaa : Il pourrait être élu. Ça se joue en réalité dans cinq états : la Géorgie, l’Arkansas, la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Nevada.

Le premier débat de la primaire républicaine, organisé sans Trump, a eu lieu. Qu’en retenir ?

Jean-Eric Branaa : Trump était très présent, malgré son absence. Il est assez incroyable de constater que lors d'un débat primaire, certains annoncent déjà qu'ils se rangeraient derrière lui s’il remportait la primaire.. Cela démontre clairement que, que l'on soit en faveur ou en opposition à Donald Trump, il est déjà considéré comme le gagnant, même dans l'esprit de ceux qui s'opposent à lui. Cette dynamique n'est pas courante en politique, où les candidats ont tendance à clamer qu'ils sont les meilleurs jusqu'au bout. Ce débat a été l’occasion pour Vivek Ramaswamy d’émerger.  Il incarne un personnage énergique, souriant et confiant. Outsider, il n'a jamais vraiment fait de politique, ce qui lui permet de railler gentiment les politiciens traditionnels. Beaucoup ont trouvé que Nikki Haley s’en est bien sortie, mais à mon sens elle est capable de mieux.

D'autre part, on a noté l’inexistence de Mike Pence, qui était en-dessous des attentes pour un vice-président. Ce débat montre clairement qu'il n'émergera pas et qu'il n'aura pas d'impact significatif. De même, Ron DeSantis semble manquer de charisme.

De son côté, Trump a réussi son coup car son interview avec Tucker Carlson, diffusée au même moment sur X, a été très visionnée. Même si le débat a lui aussi été très suivi (légèrement plus qu’en 2016). Trump savait qu’il n’avait aucun intérêt à participer car il aurait inutilement cible des attaques. Aujourd’hui, son avance dans les sondages est irrattrapable. Et sa stratégie le conforte.

Tucker Carlson a interrogé Trump sur le risque de conflit ouvert entre les Américains. Que penser de la position de Trump, qui se dit inquiet ?

Jean-Eric Branaa : Ce qui me frappe, c'est à quel point le discours de Trump retourne les choses. Le conflit ne naît pas de lui, mais plutôt de ceux qui se dressent contre lui. En France, notamment, on a tendance à pointer du doigt Trump comme source de tous les maux. Pourtant, on oublie trop souvent que pour la moitié des Américains, c'est exactement l'inverse qui est la réalité ressentie.

Oui, c'est vraiment crucial, car il est impossible de comprendre l'ensemble de cette situation électorale si l'on reste focalisé uniquement sur ce point. Il ne s'agit pas de prendre parti pour un camp ou l'autre, mais simplement d'exposer les faits. 71 millions de personnes ont voté pour Donald Trump. Actuellement, le parti républicain se rallie massivement à lui. Nous sommes déjà à 62 %, et dans deux mois, ce pourcentage pourrait frôler les 70 Ce phénomène souligne que la société est non seulement divisée, mais qu'elle possède deux récits parallèles qui ne se croisent pas, mais se déroulent côte à côte. Il y a ceux qui racontent une histoire et d'autres qui en racontent une autre. Cette division est bien réelle et il ne faut pas la sous-estimer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !