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Drapeau d'Israël.
Drapeau d'Israël.
©AHMAD GHARABLI / AFP

Crise israélienne

La presse internationale présente la crise israélienne comme une « révolte populaire » contre les tentatives du gouvernement Netanyahu de saper l'indépendance de la Cour suprême et l'État de droit.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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« Jetez-moi devant un peloton d'exécution si cela nous évite la tyrannie ! », a déclaré l'ancien président de la Cour suprême d'Israël Aharon Barak, dans le style « modéré » et modeste dont il est coutumier. Trois griefs sont exprimés : l'appropriation par le gouvernement de la nomination des juges à la Cour suprême, l'annulation des décisions de la Cour par le Parlement (Knesset), enfin l'abrogation de la doctrine de « raisonnabilité ». 

Comme nous allons le voir, ces griefs ne sont pas fondés et s'il existe une menace pour la démocratie et l'État de droit en Israël, ce n'est pas le gouvernement. C'est la Cour suprême la plus hybristique de l'histoire constitutionnelle occidentale.

Grief #1 : Nomination des juges 

En Israël, les juges de la Cour suprême sont nommés par un comité de sélection de neuf membres, le Comité de sélection judiciaire (JSC). Le président de la Cour suprême est membre du JSC, entouré des deux juges les plus anciens de la Cour suprême. Deux membres représentent le gouvernement et deux membres représentent le parlement (un de la majorité, un de l'opposition). Les deux derniers sièges du comité sont occupés par des avocats nommés par l'Association du barreau israélien. Les juges de la Cour suprême sont proposés par la JSC au président de l'État d'Israël, qui les nomme officiellement. Les juges suprêmes israéliens sont nommés à vie, à moins qu'ils n'atteignent l'âge obligatoire de la retraite (70 ans) ou qu'ils ne démissionnent. 

La réforme proposée par M. Netanyahou remplacerait les deux représentants du barreau par des représentants de la majorité parlementaire et du gouvernement. Le rôle actuel de de l'ordre des avocats est problématique, car non seulement l’ordre n'a aucune légitimité démocratique mais il est composé de professionnels appelés à plaider devant les magistrats qu'ils contribuent à nommer.

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Il est conforme aux principes démocratiques, ainsi qu'à la pratique de nombreux pays occidentaux - Israël se définit comme faisant partie de l'orbe institutionnel et civilisationnel occidental - que la majorité parlementaire, par la voix de son gouvernement, devienne prépondérante dans le processus de nomination. Rien ne justifie, d’un strict point de vue démocratique, la conception élitiste d'A. Barak — « Il faut exclure autant que possible les hommes politiques de la nomination des juges de la Cour suprême » (sic) — et de la gauche israélienne.

Grief #2 : Réforme des arrêts de la Cour suprême 

Le deuxième grief contre Netanyahu est la possibilité qui serait donnée à la Knesset de réformer les décisions de la Cour suprême par un vote à la majorité simple. Cette réforme ne se comprend qu'à la lumière de l'ampleur de l'intervention de la Cour suprême israélienne. 

Dans les années 1980 et 1990, la Cour suprême israélienne, sous la houlette de Meir Shamgar puis de son successeur Aharon Barak, introduisait trois innovations qui ont révolutionné le paysage juridique - et politique - israélien. Premièrement, la Cour éliminait la restriction de la qualité pour agir (’standing’), permettant à quiconque de demander à la Cour d'annuler n’importe quelle décision gouvernementale, simplement parce qu'il ou elle n'est pas d'accord avec son contenu, même si la décision ne l'affecte pas personnellement. Fait unique en Occident. Deuxièmement, la Cour a écarté la restriction de la justiciabilité, soumettant toutes actions gouvernementales et administratives (y compris les affaires étrangères, le budget) à son contrôle. Ce qui est tout aussi exorbitant. Troisièmement, la Cour s'est arrogé le droit d'évaluer le « caractère raisonnable » des décisions gouvernementales, s'octroyant un droit de veto politique sur la politique gouvernementale. L’étonnant n’est pas que ces empiètements manifestes sur les exigences de la démocratie soient contestés, mais qu’ils ne l’aient pas été plus tôt.

Enhardie par son impunité, la Cour complétait bientôt cette révolution par deux innovations complémentaires. Premièrement, elle décidait que les « avis » (sic) du procureur général de l'État s’imposeraient au gouvernement et ses agences. Deuxièmement, la Cour extirpait du néant un nouveau pouvoir, celui d'annuler les lois jugées inconstitutionnelles (c'est-à-dire en conflit avec deux lois que la Cour juge quasi constitutionnelles, dans ce pays qui n'a pas de constitution au sens strict).

Ces innovations n'ont pas simplement amplifié le pouvoir de la Cour suprême israélienne aux dimensions d'une super-cour de cassation + Conseil d'État sous stéroïdes + cour constitutionnelle — pour faire référence aux catégories française et belge. Elles établissent la Cour suprême en arbitre ultime de toute question politique. Tout citoyen israélien — n’importe quelle ONG, même financée depuis l’étranger — a le droit de demander à la Cour suprême d'annuler n’importe quelle décision démocratique. La Cour suprême accordera cette annulation si elle juge la décision « déraisonnable » ou la loi en conflit avec la « loi fondamentale ». 

La réforme de M. Netanyahu prévoit expressément que le contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour s'exercera à l’avenir selon des majorités renforcées ; et que les décisions rendues à cet égard ne seront pas réformables par la Knesset à la majorité simple. « Nous devons restreindre le pouvoir du parlement », a souligné Netanyahu le 27 mars dans son entretien avec le journaliste britannique Piers Morgan, « afin qu'il soit équilibré avec celui de la cour. La Cour suprême mérite sa place sous le soleil. » On le constate : le contrôle de constitutionalité des lois n’est en rien « menacé ».

Dans les autres affaires, qui constituent la grande majorité des interventions de la juridiction suprême, la possibilité d’une censure ex-post par la Knesset paraît non seulement acceptable, mais démocratiquement judicieuse et institutionnellement intelligente. Car, dans une démocratie, les questions politiques sont décidées par des institutions jouissant d'une légitimité démocratique. Ce qui n'est pas le cas, faut-il le rappeler, de l’orgueilleuse Cour de la rue Sha'arei Mishpat, Jérusalem. 

#Grief 3 : Abrogation du standard de la « raisonnabilité »

Troisième grief : l'abrogation proposée par la majorité Netanyahou de la norme jurisprudentielle de « raisonnabilité ». 

En adoptant la doctrine du « caractère raisonnable », la Cour suprême israélienne a façonné un outil puissant, voire imparable, pour renverser les décisions et les politiques gouvernementales avec lesquelles elle n'est tout simplement pas d'accord. L'adoption de cette doctrine malheureuse, à l'initiative de l'arrogant juge A. Barak, est le péché originel qui a conduit à la crise actuelle.

Le critère du « caractère raisonnable » se distingue par son caractère ouvertement politique. Car ce qui est raisonnable ne peut être jugé que sur la base de valeurs particulières. La raisonnabilité se distingue également par le mélange assumé des registres juridiques et politiques. Car le critère politique du raisonnable absorbe le critère juridique objectif (ou du moins objectivable) de la rationalité. Le critère du « caractère raisonnable » est à la fois politique et impénétrable.

Dans son extrême ampleur et son caractère politique manifeste, il est tentant de comparer le test du « caractère raisonnable » au test de « légitimité » privilégié par la Cour suprême des États-Unis à l'époque de l'arrêt Lochner (1905).Cependant, même dans sa phase la plus militante, les pouvoirs de la Cour suprême des États-Unis étaient modestes par rapport à l'omnicompétence - aucun intérêt requis, aucune exigence de justiciabilité - que la Cour suprême israélienne s'est progressivement bâtie. (Il convient également de noter qu'aux États-Unis alors, comme en Israël aujourd'hui, il appartint aux branches démocratiques du gouvernement d'arrêter la dérive politique de la Cour suprême vers le gouvernement de juges substituant leurs prédilections subjectives à la majorité démocratique.) 

En conclusion

En conclusion, l'activisme de la Cour suprême israélienne est sans précédent dans l'histoire juridique et judiciaire occidentale. Ce qui s'en rapproche le mieux est probablement la dérive actuelle de la Cour suprême brésilienne — avec son « auto-programmation » qui évoque directement la tyrannie judiciaire du juge Barak — ou la cour tenue par le Lord Chancellor anglais au Moyen Âge. 

Jusqu’au XVIIe siècle, les cours d'équité, présidées par le Lord Chancellor, exerçaient une compétence discrétionnaire pour remédier aux excès de la common law. Les décisions étaient rendues sur la foi de ce que le chancelier considérait comme juste - en l'absence d’aucune règle. De sorte que ses jugements étaient décrits avec dérision comme dépendant de la « longueur du pied du Lord Chancellor ». Même chaussé de principes modernes, le pied d'un juge est toujours un pied. 

Dans sa composition, sa compétence, et sa jurisprudence de fond, la Cour suprême israélienne offre un cas archétypal de gouvernement des juges, légiférant depuis le banc de la justice. Il n'est pas soutenable qu'Israël n'a pas de constitution : façonnée par l’hybris du juge A. Barak, la Cour suprême israélienne est une constitution vivante (lex animata). Ce qui est la définition de l’arbitraire.

La réforme prudente de la Cour suprême israélienne est une exigence démocratique ; sa réintégration proportionnée dans l'orbe du droit, la définition même de l'État de droit. 

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