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Hillary Clinton : une victoire annoncée mais déjà amère
©CBS News

Trans-Amérique Express

La victoire à venir d’Hillary Clinton – s’il faut en croire les sondages – provoque un malaise au sein de l’électorat américain. Derrière l’accomplissement d’une carrière et la réussite personnelle d’une femme d’exception, certains voient un système politique qui se ferme et tend à servir ses acteurs, pas les citoyens américains, ou même la nation américaine.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Souvenons-nous du cri du cœur de Barbara Bush, au printemps 2015 : "Les Américains méritent mieux qu’une alternative Clinton-Bush". L’ex première dame des Etats-Unis se lamentait d’une certaine confiscation du pouvoir, à l’aube d’une campagne des primaires dont les deux favoris étaient issus des deux clans ayant dominé la politique au cours des trente dernières années. Accaparé par une dynastie établie, côté républicain, et par une autre naissante, côté démocrate, le champ politique américain semblait se clore.  Et avec lui l’idéal  démocratique d’une nation auto-proclamée pionnière et exemplaire... Sa complainte a été à demi entendue.  L’Amérique s’est épargné un nouveau Bush. Elle ne s’épargnera sans doute pas une nouvelle Clinton, tant Hillary semble bien partie pour l’emporter le 8 novembre.

D’où l’intérêt de revenir sur la complainte de Barbara Bush. Le pouvoir politique aux Etats-Unis n’est-il pas en train de se refermer sur lui-même ? Alors même que le rêve américain semble de moins en moins accessible ? Les deux phénomènes sont-ils liés l’un à l’autre ? L’acharnement des médias et des élites à dénoncer Donald Trump comme "indigne" de la présidence n’est-il pas, aussi ou d’abord, la manifestation de cette volonté de cloisonner le pouvoir et d’empêcher tout  "outsider", c’est-à-dire tout "intrus", d’y accéder ?

Si, comme les sondages le prédisent, Hillary Clinton est élue présidente des Etats-Unis,  elle deviendra la première femme à occuper la Maison Blanche. Une femme se retrouvera  à la tête du pays le plus puissant du monde… Cas sans précédent. De quoi faire de sa victoire un évènement historique. De portée quasi universelle ! Une date dans l’histoire de l’émancipation des femmes et de la lutte pour l’égalité des sexes, etc. Sans aucun doute, c’est ce que les médias retiendront et ce sur quoi ils insisteront. Mais son élection aura d’autres significations.

Ainsi, Hillary serait la première "première dame" à accéder à la fonction suprême aux Etats-Unis. Cela s’est déjà produit ailleurs. Mais jamais au pays de Washington et Jefferson. De nombreux pays ont en effet connu ce cas de figure : l’Argentine avec Juan et Isabella Peron d’abord, puis Nestor et Kristina Kirchner, l’Inde avec Rajiv et Sonia Gandhi (même si cette dernière renonça au pouvoir), les Philippines avec Benigno et Corazon Aquino, et d’autres… Si ces pays se réclament d’institutions démocratiques, ils ont aussi connu des régimes autoritaires, et ont souvent penché pour une transmission héréditaire du pouvoir. En clair, derrière une façade démocratique, le  pouvoir y est réservé à une élite, voire une caste. Il faut en faire partie pour prétendre aux plus hautes fonctions, qui se transmettent par une forme de cooptation maquillée en processus démocratique…

Cette comparaison n’est pas sans inquiéter aux Etats-Unis. D’aucuns se rendent compte que l’élection d’Hillary Clinton, malgré les superlatifs qu’elle suscitera inévitablement, sera peut-être moins une victoire de la démocratie qu’un exemple  d’asservissement du pouvoir aux intérêts particuliers d’une personne ou d’un clan.  Depuis son discours de fin d’étude à l’université de Wellesley en 1969, Hillary Clinton rêve de la présidence et elle a travaillé toute sa vie à l’obtenir. Elle n’a pas mis ses aptitudes au service des Etats-Unis, elle a mis la politique américaine au service de ses ambitions. Chaque Américain sait qu’Hillary roule pour Hillary, comme elle l’a toujours fait.  C’est bien d’ailleurs ce qui met mal à l’aise une partie de l’électorat et explique qu’en dépit de la faiblesse de l’opposition – Donald Trump mène une campagne décousue et chaotique - Hillary Clinton peine à convaincre les électeurs.

Hillary Clinton rassemble sur sa personne les griefs que nombre d’électeurs américains ont vis-à-vis du système. Celui-ci a été mis sens dessus-dessous. Il semble ne plus servir qu’une petite élite issue des meilleures universités, avec la complicité des médias, qui partagent le point de vue de ces élites, étant largement issus des mêmes universités. Cela alors même que le rêve américain est remis en cause par la mondialisation et semble s’éloigner pour de nombreux ménages. La conjonction de ces deux réalités explique d’ailleurs l’exaspération de certains électeurs,  perdants de la mutation économique en cours, rejetés par le système, et ignorés,  voire méprisés, par les médias au service de la caste au pouvoir…

Ainsi, à la place de l’homme politique au service de ses concitoyens - comme le Jefferson Smith campé par Jimmy Stewart dans le film de Frank Capra, Mr Smith Goes to Washington, en 1939 - on découvre un système politique au service de ses membres, sous couvert de venir en aide aux citoyens. Bill et Hillary sont tous deux des politiciens de carrière (une espèce jadis rare outre-Atlantique, mais en voie de développement dont Barack Obama est l’autre spécimen de renom). Ni lui ni elle n’ont eu d’accomplissement professionnel majeur en dehors de la sphère politique. Mais au cours des presque cinq décennies de cette carrière, Bill et Hillary ont ainsi réussi la gageure de batailler au nom du progrès économique et social, d’échouer largement dans cette entreprise, mais de devenir néanmoins immensément riches. De quoi s’interroger sur la finalité ultime de leur engagement…

Hillary Clinton et son époux Bill constituent le premier couple de l’histoire des Etats-Unis entré pauvre en politique pour en ressortir riche. Lui connut une enfance déshéritée dans l’Arkansas, elle est issue de la petite bourgeoisie blanche de Chicago. Comme gouverneur de l’Arkansas, Bill Clinton perçut un salaire de 82 000 dollars par an entre 1978 et 1992. Un revenu honnête, sans plus. Comme président, sa rémunération fut de 200 000 dollars par an, plus 150 000 dollars de frais divers. En tant que sénatrice de New York, Hillary gagnait 175 000 dollars par an. Toutefois, le couple Clinton est aujourd’hui à la tête d’une fortune de plusieurs dizaines de millions de dollars, obtenus grâce aux droits d’auteurs perçus sur leurs livres, grâce aux honoraires de leurs interventions publiques ("speaking fees" en anglais, dont une somme record de 600 000 dollars pour vingt minutes obtenue par Bill Clinton) et surtout grâce à la Fondation qui porte leur nom. Lancée en 1997, alors que Bill était encore président, la Fondation Clinton a levé plusieurs milliards de dollars de fonds. Officiellement, ces fonds sont destinés à des œuvres philanthropiques, mais ils assurent à la famille Clinton un train de vie de milliardaires et une influence globale sans précédent.

Face à Hillary, Donald Trump, qui dans la plus pure tradition américaine, a fait fortune d’abord pour se tourner vers la politique, ensuite, se voit rejeté par les élites et malmené dans les médias, sous prétexte qu’il n’aurait pas les qualités requises pour le job… La raison de ce double rejet tient surtout au fait que Trump n’appartient pas à l’élite en place et menace son hégémonie. Il menace un système mis en place au cours des quatre à cinq dernières décennies et qui a fonctionné pour ses membres, sans bénéfice notable pour le peuple américain.

Certes, les époux Clinton ne sont pas les seuls fautifs. D’autres ont suivi un chemin identique avec plus ou moins de succès. Mais pour nombre d’Américains, le résultat est le même - ils perdent pieds - et la perception est aussi la même - un manque de confiance croissant dans leurs institutions qui se reflète dans un engouement pour des candidats moins conventionnels  aux propositions plus radicales.

Si les sondages ont raison, Hillary remportera une grande victoire en novembre. La cause des femmes en remportera une aussi. L’Amérique peut-être pas.  La démocratie non plus. Et  le résultat laissera un goût amer dans la bouche de beaucoup d’Américains…

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