Guerre clandestine : ces boucles Telegram ou Signal sur lesquelles s’organisent les mouvements de déstabilisation de nos démocraties<!-- --> | Atlantico.fr
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Un certain nombre de groupes politisés et d’activistes utilisent Telegram et Signal.
Un certain nombre de groupes politisés et d’activistes utilisent Telegram et Signal.
©AFP / Damien MEYER

Méthodes de propagande

Les experts en cybersécurité spécialisé dans la cyberdéfense redoutent naturellement depuis les prémices que ces applications ne soient utilisées comme des armes de désinformation et de déstabilisation massive sans frontières.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Anthony Poncier

Anthony Poncier

Anthony Poncier est Docteur en Histoire, membre du collectif Réenchanter Internet et expert en transformation digitale et en stratégies collaboratives. En cette qualité, il accompagne les entreprises dans la conception de leurs stratégies médias sociaux, ainsi que dans la création de leurs réseaux internes.

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Atlantico : Comment des individus toujours plus nombreux parviennent à peser de plus en plus sur les démocraties au regard du conflit entre Israël et le Hamas ? Comment les boucles Telegram et Signal sont détournées et se retrouvent au cœur de ce conflit suite à l’utilisation de ces messageries de manière discrète par certains groupes ou individus pour mener des actions qui fragilisent notre cohésion ?

Franck Decloquement : « Bienvenue sur Telegram et signal », la cinquième messagerie la plus téléchargée du monde pour première citée d’entre ces deux plateformes, allais-je vous dire ! Ces méthodes de propagande ne sont pas nouvelles. Mais elles sont beaucoup plus sophistiquées qu’auparavant, et d’une ampleur sans précédent à une telle échelle de déploiement.

Appréciée des milieux politiques comme des cercles activistes ou dissidents de tous poils, la messagerie Telegram par exemple, pour ne parler que d’elle, avait initialement été inventée par Pavel Durov, un informaticien russe de 37 ans, avec son frère mathématicien Nikolaï en 2013, afin de rivaliser avec les plateformes américaines concurrentes, WhatsApp ou Signal. Plus de 500 millions d'utilisateurs s'y connectent mensuellement pour échanger sur des boucles de discussions privées. Véritables « bulles sémantiques » accointées à certains types d’échanges parfois odieux ou même répréhensibles par la loi. Mais aussi pour s'informer, partager des fichiers, ou encore acheter de faux documents pour comploter discrètement à sa guise. Le revers inévitable de la médaille concernant l’existence de telles plateformes si j’ose dire !

La guerre qui se joue actuellement « en mondovision » entre le Hamas et Israël ravive naturellement les inquiétudes légitimes autour de l’usage détourné de ses moyens d’échanges privés, qui sortent du spectre radar des autorités, à des fins d’action ou de guerre psychologique – de nature subversive – à destinations de certaines populations d’adolescents aux cerveaux fragiles ou en devenir, mais aussi de profils militants et d’audiences beaucoup plus politisés. Des parties prenantes au demeurant très engagées dans cette guerre de l’ombre.  La  neutralité apparente ou proférée de ces plateformes est très fortement remise en cause, ne serait-ce que pour le manque évident de modération efficace dans ces espaces virtuels de partage, aux effets eux bien réels sur les esprits et les cœurs de certains de nos concitoyens en rupture de ban… A l’image également de médias sociaux comme X (ex-Twitter) ou Facebook.

Les experts en cybersécurité spécialisé dans la cyberdéfense redoutent naturellement depuis les prémices que ces applications ne soient utilisées comme des armes de désinformation et de déstabilisation massive sans frontières, dans le contexte de ces conflits extérieurs, qui finissent par être la plupart du temps importés à terme sur notre sol.

Pour exemple : « depuis le début de l'invasion russe, le nombre de groupes en lien avec la guerre a été multiplié par dix », constatait déjà il y a quelques mois dans la presse le chercheur israélien Oded Vanunu, de l'institut Check Point Research, basé à Tel-Aviv dans la guerre fratricide qui oppose Ukrainiens et Russes. Car Telegram et ses consœurs ne sont plus uniquement de simples messageries. Elles sont aussi devenues des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des places de commerce. Leur manque de modération criant laisse peu ou prou se propager de la désinformation, du complotisme, de l’antisémitisme, du racisme, de la discrimination, et impact grandement leur « neutralité supposé » en permettant sans ambages à des individus ou des tiers organisés de déployer à travers elles, des actions de déstabilisation, d’influences subversives, de propagande noire au service de la guerre psychologique que se livre des Etats ou des belligérants en conflits. Ces plateformes de messagerie sont  plus que jamais au cœur de nos préoccupations collectives en matière de sécurité globale…

Anthony Poncier : A l’image de certains conflits comme avec l’Ukraine ou au regard des tensions par le passé au Moyen-Orient, des activistes et des militants agissent  via les boucles Telegram. L’accès à l’information et les actions à mener sont partagés. Les internautes et les utilisateurs de l’application peuvent s’abonner à certaines boucles et peuvent ainsi accéder à de l’information en masse.

Même si certaines personnes soutiennent de bonne foi la cause palestinienne, y a-t-il des djihadistes ou des membres du Hamas qui utilisent ces logiciels ? Ces outils sont-ils aussi utilisés en France pour préparer discrètement des campagnes de désinformation, propager des discours antisémites et nuire à l’équilibre démocratique dans le cadre du conflit entre le Hamas et Israël ?

Franck Decloquement : Naturellement. Cela est un peu même devenu une règle. Et dans cette nouvelle « petite manufacture du sens » qu’est indubitablement devenu le web 2.0 et ses plateformes de messageries et de partages, les pouvoirs publics occidentaux se saisissent à bras le corps du problème depuis quelques années, et se mobilisent résolument face à ces nouvelles « menaces à la vérité » et tentatives de déstabilisation globales au sein de nos populations. N’oublions pas que la France incorpore en son sein, la plus grande population musulmane d’Europe mais aussi la communauté  juive la plus importante après celle des Etats-Unis. Ces derniers jours, alors que la situation est extrêmement violente au moment où les frappes à Gaza se durcissent et pleuvent, la jeune génération palestinienne suit l’actualité en direct. Non pas à travers les médias traditionnels, mais via les réseaux sociaux. X (ex-Twitter), les boucles Telegram et Signal, mais surtout Instagram et TikTok, qui donnent la place à une parole libre d’entraves, et une fenêtre aux discussions souvent très violentes sur ce qui se passe en temps réel sur place. Cela s’était déjà vu d’ailleurs lors du Printemps Arabe, en 2011. Les plateformes sociales avaient alors pu faire la différence entre belligérants, mais les Palestiniens ne l’avaient jusqu’ici jamais expérimenté de manière aussi intense et suivie sur le terrain.

Ces narratifs trouvent également un puissant écho parce qu'ils sont systématiquement relayés par les trolls iraniens et russes, et amplifiés par les médias d'Etat ne nous le cachons pas. A quoi vient s'ajoute, l'attitude ambigüe de la Chine avec la plateforme comme TikTok qui laisse passer une foultitude de contenus extrêmement choquants. Quant à X (ex-Twitter), son nouveau patron Elon Musk, a réduit à peau de chagrin les équipes de modération au sein de sa société, et des vidéos insoutenables qui auraient été auparavant supprimées immédiatement restent désormais en ligne durant des heures durant. Pourrons-nous encore croire demain tout ce que nous percevrons à travers le cyberespace compte tenu de ces opérations de manipulation déployées à des échelles aussi importantes désormais ? Rien n’est moins sûr. Les plus matures et les plus avertis  d’entre nous le savent bien, les plus jeunes eux sont semble-t-il beaucoup plus perméables et poreux aux manipulations et aux actions de propagandes déployées dans ces espaces informatiques partagés, par des acteurs et des parties prenantes étrangères en lutte fratricide pour l’imposition de leurs vérités.

Dans nos démocraties occidentales en proie au doute systématique, au séparatisme communautaire et aux tentations illibérales de tout acabit, la libre expression qui circule sur ces plateformes, nommés aussi par euphémisme  « réseaux sociaux », est à la fois un formidable mécanisme de contre-pouvoir et une chance de rééquilibrage démocratique, mais aussi et paradoxalement – dans ce contexte de guerre – une promesse de déstabilisation massive à échéance brève pour nos démocraties occidentales. Avec son florilège de vérités alternatives et contrefaites, à des fins de guerre psychologique pour l’emporter sur les cœurs et les esprits de nos nationaux. Le cyber et les espaces digitaux s’y prêtent très bien, ce n’est plus une découverte pour personne en 2023.  Le Hamas et les médias palestiniens partisans qui lui sont peu ou prou associés, fournissent eux-mêmes « des preuves » de crimes de guerre supposés, alors même que le mouvement est classé comme organisation terroriste par les Etats-Unis et l'Union européenne depuis ses campagnes d'attentats-suicides, dans les années 1990 et 2000. Dans ce concours immonde au ressentiment victimaire, le Hamas et ses alliés historiques ne craignent visiblement pas d’être accusés en retour de commettre eux-mêmes des crimes de guerre et des massacres sur des civiles, car ils considèrent et soutiennent que les institutions mondiales sont inutiles puisque soutenues par l'Occident qu’ils révèrent. Les mises en scènes de la violence dans de très nombreuses photos et vidéos de propagande noire diffusées massivement sur la toile mondiale depuis les prémisses du conflit par le Hamas ou ses relais est parfaitement intentionnel et dirigé. Car les jeunes Palestiniens réinventent aussi l’activisme en temps réel, grâce aux réseaux sociaux. Leur audience ne cesse de grandir, notamment grâce au hashtag dédiés et à la défiance grandissante envers les médias traditionnels accusés de désinformation. L’effet final recherché étant naturellement de déclencher un sentiment d’impuissance, de paralysie mais aussi d’humiliation chez les israéliens, et leurs soutiens. La France en tête. Mettre le feu à la poudrière que sont les haines communautaires recuites : voilà l’objectif. Exporter le conflit.

Anthony Poncier : Effectivement, comme tout le monde ils peuvent utiliser ces applications comme les boucles Telegram. Mais il a été démontré que certains groupes djihadistes, avant de mener une opération de grande ampleur, évitaient d’utiliser les technologies les plus avancées ou certains moyens de communication pour éviter d’être surveillés par les services de renseignement comme la NSA. Les terroristes peuvent avoir tendance à être « low tech », à se détourner des technologies lors de certaines phases cruciales de leurs plans afin de passer en-dessous des radars pour éviter d’être repérés. La coordination n’est donc pas faite forcément via Telegram. En revanche, Telegram est très utilisé comme outil de communication pour propager la propagande ou l’idéologie des de groupes politiques ou religieux.

Un certain nombre de groupes politisés et d’activistes utilisent Telegram. L’application est utilisée comme un canal de diffusion d’informations. Le côté viral de Telegram marche plutôt sur la partie publique pour le partage d’informations et pour endoctriner. Les actions et les campagnes sont donc plutôt organisées et orchestrées via les conversations privées ou via Signal. Telegram offre la possibilité d’avoir des chats et des échanges privés. Certains militants jonglent aussi avec plusieurs logiciels et cloisonnent leurs communications.  

Des individus qui fragilisent la démocratie via leur positionnement sur le conflit entre Israël et le Hamas ou via leur radicalité utilisent Telegram ou l’application Signal pour des mobilisations, des campagnes d’actions coup de poing ou pour véhiculer de la propagande. Se sentent-ils plus protégés sur ces applications à cause de plus faibles restrictions et d’une moindre censure ?

Franck Decloquement : Sur le plan international et intérieur, nos démocraties occidentales sont impliquées depuis plus d’une trentaine d’années dans des guerres d’empoignes, où les communautés religieuses s’affrontent sur nos territoires au nom de leurs valeurs propres, et revendiquent une légitimité politique ou idéologique qui justifierait leur combat « légitime » pour l’imposition de leur magistère intellectuel ou religieux au reste de la population. Ainsi la concurrence victimaire tourne à plein.

Et dans ce véritable malström pour la guerre du sens et de la suprématie religieuse qui s’opère par médias interposés, rien de véritablement neuf sous le soleil en matière d’accaparement de la réalité. Si ce n’est la puissance accrue de ces opérations de falsification, augmentée cette fois par l’apport déterminant des nouvelles technologies digitales opérant le Web 2.0. Et dans ces nouveaux espaces de conflictualités délétères et de guérilla sémantique, les fausses nouvelles à des fins de propagande idéologique ou les deepfakes à visée parodique s’y épanouissent tout naturellement, à un rythme exponentiel. Des discours trafiqués aux images truquées, les fausses nouvelles se propagent à un rythme accéléré à travers nos infrastructures digitales. Tromperie, assujettissement des consciences et brouillage des faits en constituent indubitablement le carburant. Cela représente évidemment un risque accru de désinformation et de manipulation pour nos concitoyens. A commencer par ceux appartenant à des communautés religieuses rivales. Les fameuses « deepfakes », pour ne citer qu’elles, se basent pour l’essentiel sur les avancées de l’intelligence artificielle (IA pour « Informatique Avancée ») et consistent très schématiquement à fusionner des vidéos les unes aux autres, dans le but de substituer ou de fusionner notamment des visages et des sons par d’autres, afin de réaliser des trucages perceptifs pour orienter le sens de la compréhension, et la décision, parfois pour une noble cause. Mais, dans la majeure partie des cas, il s’agira bien au contraire de diffuser des informations erronées ou contrefaites, afin de discréditer la partie adverse pour manipuler l’opinion publique à des fins de propagande idéologique et d’adhésion aux valeurs religieuses proférée dans le cas qui nous occupe ici.

Cette tendance lourde au conflit exporté dans le cyberspace ne devrait pas ralentir dans les prochaines années au regard des différents conflits armés qui se déclenchent actuellement, car ces espaces d’affrontement virtuels sont plus que jamais devenus le reflet de nos turpitudes collectives et communautaires. D’autant plus à l’approche des prochaines échéances politiques parfaitement déterminantes pour l’avenir de notre pays, et des communautés d’individus parfois radicalisés et déterminés à s’imposer qui le peuple. Guerre de civilisation oblige. Beaucoup demeurent encore naïfs sur ces réalités violentes qui s’actualisent sans cesse et à flux continus, au prétexte des derniers conflits en date. Le nerf de la guerre en somme.

Anthony Poncier : Le recours à ces nouvelles technologies par ces individus s’inscrit dans le cadre d’une guerre asymétrique. Le digital et les technologies sont au cœur de la stratégie à l’œuvre et qui est déployée. Les modes d’organisation s’apparentent à une guerre numérique et à une forme de guérilla moderne. Signal et Telegram sont un outil de plus à disposition de ces groupes. Ces applications permettent de toucher un très grand nombre de personnes. Par rapport à la guerre en Ukraine, Medvedev utilise souvent Telegram. Telegram est un moyen viral actuel de diffusion de l’information de la part de groupes, d’individus ou d’Etats. Il s’agit d’un lieu de transmission de l’information. Chacun est réceptif. Il y a aussi le choix de démarrer des discussions en privé.

Signal est réputée comme étant beaucoup plus sûre comme application par rapport à WhatsApp. Edward Snowden l’a dit lui-même. Il a indiqué que s’il avait pu s’enfuir et survivre c’était grâce à l’utilisation d’une messagerie cryptée. Signal apparaît comme un espace beaucoup plus protégé et peut donc attirer plus de personnes souhaitant protéger leurs échanges.

L’Union européenne a demandé à ses fonctionnaires lorsqu’ils devaient communiquer de manière protégée d’utiliser Signal. Les membres de la Quadrature du Net, qui se mobilisent pour la liberté sur Internet, plébiscitent ce type de logiciel.

Tout type d'internautes a aussi recours à ces outils pour préserver sa vie privée sur Internet.

Telegram est plutôt de l’ordre de la propagande et de la communication pour toucher un public le plus large possible. Tout le monde publie son point de vue sur Telegram sur la guerre entre Israël et le Hamas, sur les manifestations pro-palestiniennes comme ce fut le cas pour la guerre en Ukraine. Telegram permet de diffuser de l’information sans contrôle.

Les applications Telegram et Signal ne jouent-elles pas le rôle de caisse de résonance pour les mouvements radicaux assez extrêmes et visibles ? Aux Etats-Unis, en Europe et en France, lors de manifestations de soutiens aux otages détenus par le Hamas, des manifestants et des activistes ont arraché et déchiré les portraits des victimes détenues. Ces actions encouragées et relayées sur Telegram ne démontrent-elles pas les effets néfastes induits dans ces technologies, lorsqu’elles tombent entre de mauvaises mains, ou utilisées pour de mauvaises raisons ?

Franck Decloquement : Ces plateformes géantes en tant qu’opérateur agissant sur nos perceptions, remettent profondément en cause les mécanismes fragiles de nos démocraties représentatives. Fondations qu’elles érodent indubitablement par l’importation à flux continus de conflits extérieurs sur notre propre sol. Mais également en Grande Bretagne, au Canada et aux Etats Unis. Le fameux « choc de la civilisation » tel qu’il s’actualise quotidiennement sur nos différents territoires est une réalité palpable. Nos concitoyens en sont parfaitement conscients à la différence notable de certains personnels politiques définitivement idéologisés. Et ceci, sans véritablement mesurer leur impact délétère sur l’organisation globale de nos modèles de sociétés, qui repose indubitablement sur des élections libres et non faussées, et la garantie du pluralisme des opinions exprimées à travers les débats contradictoires d’une presse que l’on aimerait imaginer toujours intègre… Mais il n’en est rien.

Dans la période précédente, très peu de spécialistes ont en réalité anticipé à quel point la désinformation en ligne généré par des activistes, déconcentrés et idéologisées, aux mains de nos adversaires ou de nos ennemis stratégiques, les attaques virales à la réputation, les opérations de falsifications des faits, de déstabilisations et de propagande noire perturberaient le processus démocratique de notre république dans son ensemble. Pouvant même aller jusqu’à ronger et déchirer le fragile tissu social d’une nation, dans certaines circonstances d’extrêmes tensions civilisationnelles comme nous le vivons tous aujourd’hui dans le contexte de la guerre entre le Hamas et Israël. À l’approche des prochaines échéances électorales dans les pays occidentaux, et particulièrement en France, une vigilance grandissante et accrue des pouvoirs publics se fait jour face aux nouvelles « menaces à la vérité ». Le tout, dans un écosystème d’informations déjà extrêmement fragilisé par les affres des ressentiments communautaires, les haines recuites, les activismes théologiques rivaux en luttes fratricides, les mouvements de contestation sociale augmentée par les effets délétères d’une économie en berne et de l’inflation galopante.

Dans le cadre du conflit qui oppose Israël et le Hamas, les ennemis de nos démocraties occidentales, dont certains souhaiteraient passer à l’acte, se sentent-ils plus à l’aise et moins censurées sur Telegram et Signal ?

Franck Decloquement :Sans aucun doute. La nouvelle puissance des réseaux sociaux assument indéniablement une sorte de cinquième pouvoir, à côté de celui des médias audiovisuels et de la presse écrite traditionnelle. Mais elle oblige aussi la responsabilité accrue et « la vigilance 2.0 » de tous nos élus, de toutes nos administrations sécuritaires, de tout notre personnel politique, et finalement de tous nos concitoyens. Car ceci nous concerne tous au premier chef. Sans filtrage éditorial apparent, les faits et les opinions se bousculent dans les groupes, les threads de X, les vidéos YouTube ou TikTok, etc.

Et cette révolution silencieuse qui imprègne désormais toutes nos perceptions, et toutes les strates de notre société, oblige lourdement nos élites politiques souvent démissionnaires ou impuissantes dans les faits (bien au-delà des paroles vindicatives prononcées pour la plèbe), à de très nombreux et inexorables examens de conscience. Pour l’heure malheureusement, leurs nombreuses formes de détermination et de recommandations ont fait totalement chou blanc auprès des décideurs politiques successifs, plus adeptes d’immobilisme et d’imposer un filtrage et une centralisation accrue du Web, mais malheureusement opérés par… ces plateformes américaines géantes elles-mêmes, avides de profits exponentiels. Car la conflictualité en lice sur les réseaux sociaux en période de guerre paye et multiplient les petits pains des recettes, et cela proportionnellement à l’augmentation de leur fréquentation... Une alliance impossible par nature, tel le mariage de la carpe et du lapin. Le tout confinant véritablement chez nos décideurs à un syndrome de Stockholm vis-à-vis des GAFAM, de l’avis général des plus fins experts de la toile. Services induits de « Big Data électoral » à venir oblige pour certains ? Et en la matière, n’en doutons aucunement. Les GAFAM demeurent définitivement les meilleurs alliés des politiques, pour qui souhaite profiter à plein de leur puissance d’analyse et de calcul pour circonscrire et capter la neurologie des électeurs au profit de certains candidats. Alors, autant de pas les fâcher ? Si tel est le calcul, il est fort à parier que les activistes de tous poils ne seront jamais véritablement contrecarrés à la source par nos chères plateformes « sociales » américaines… Avides de conflictualité et des profits corrélatifs générés par leurs effets de cumuls. Les horreurs et les violences qui se déversent dans le cloaque des discussions sauvages entre belligérants entrant naturellement dans cette équation capitalistique. Au détriment de la stabilité de nos démocraties. Nous le payons d’ores et déjà au prix fort.

Anthony Poncier : Signal étant un chat, cette application conserve une grande part de confidentialité. Signal est crypté de bout en bout.

Telegram est de plus en plus utilisé par des mouvements militants, notamment pour communiquer et pour tenter d’avoir une influence sur un large public. Telegram est un outil extrêmement prisé par les gens qui font de la politique. Telegram est l’outil numéro un des gens qui ont une action militante, comme des groupes qui pourront être violents. 

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