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Génération immaturité : ces névroses personnelles qui plombent nos débats politiques
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Psychologie problématique

L’écrivaine Pauline Harmange affirme dans son livre sorti jeudi dernier qu’elle déteste les hommes et tout ce qu’ils représentent, que ce sont presque des figurants.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico.fr : L’écrivaine Pauline Harmange affirme dans son livre sorti jeudi dernier qu’elle déteste les hommes et tout ce qu’ils représentent, que ce sont presque des figurants. En lançant de tels propos, l'écrivaine s'inscrit-elle dans une mode de l'affichage de la haine sur le débat public ?

Frédéric Mas : Je pense qu’il faut distinguer deux choses : la manière d’intervenir dans le débat public, à savoir par le pamphlet, ce qui est plutôt classique, et la thèse défendue par madame Harmange, dont la misandrie, c’est-à-dire la haine des hommes, s’intègre assez bien au commerce des passions qui fait marcher une partie de l’industrie médiatique contemporaine.

Le principe du pamphlet est de grossir le trait et d’assassiner par les mots plus que de poser le débat et d’argumenter. Le pamphlétaire, en exagérant, ne cherche pas nécessairement à rendre justice, mais plus à provoquer. Les réactions des personnes visées par les propos outranciers de l’écrivaine, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, montrent que sur ce plan, strictement, madame Harmange a atteint son but.

Le fait qu’un chargé de mission du ministère de l’égalité hommes-femmes suggère même d’interdire le livre arrive comme une bénédiction pour l’auteur comme pour l’éditeur. Le livre, quel que soit sa qualité, devient un objet sulfureux dont le discours « dérange », ce qui pour un pamphlétaire est à la fois une consécration et une manière de devenir « bankable ». D’ailleurs, les livres se sont vendus comme des petits pains et plusieurs pays étrangers prévoient sa traduction. Je ne sais pas si telle était l’ambition de l’auteure, mais c’est en tout cas ce qui se passe.

Sur le fond, Madame Harmange est une féministe de son temps, qui semble avoir compris que les prises de position les plus radicales sont aussi les plus susceptibles d’attirer la lumière des projecteurs à l’ère de l’extrême polarisation et des réseaux sociaux. Contrairement aux féministes des générations précédentes qui pensaient leur combat en termes d’émancipation et d’égalité avec les hommes, la nouvelle génération est identitaire et excluante.

Elle cherche d’abord à se construire comme minorité séparée du reste d’une société qu’elles imaginent entièrement produite et pénétré d’oppression patriarcale. C’est là l’héritage de toute la contre-culture des années 1960 qui s’est étendue au reste de la société avec l’idéal du multiculturalisme. Francis Fukuyama observe dans son livre Identity. Contemporary Identity Politics and the Struggle for Recognition (2018) que cette évolution n’aurait pas pu voir le jour sans l’idée d’« expérience vécue » popularisée par le gauchisme culturel des années 1970. 

Chaque groupe possède une identité dont les ressorts sont largement émotionnels et subjectifs, et qui la rend inaccessible aux individus qui lui sont extérieurs. Remarquons qu’en abaissant les standards de l’engagement politique au plan émotionnel, il devient normal de réduire le débat politique à une pure confrontation de passions plus ou moins violentes, positives ou négatives, pour orienter ses choix publics.

Bertrand Vergely : La sortie de Madame Pauline Harmange n’a en soi aucun intérêt. Des femmes qui, à la suite d’échecs amoureux ou conjugaux, crient haut et fort qu’elles ne peuvent plus voir les hommes, on a déjà entendu de tels  discours. On les entend tous les jours et il est fort à parier qu’on les entendra encore pendant sans doute longtemps. En revanche, le contexte dans lequel s’inscrit ce type de discours n’est nullement anodin.  

Lorsque naît le mariage pour tous à quoi assiste-t-on ? Pour asseoir l’idée que tous les couples sont équivalents, on voit apparaître la théorie du genre expliquant que la différence sexuée entre hommes et femmes est une construction culturelle. Dans ce contexte, des militants pro-théorie-du-genre réclament que l’on arrête de « genrer » les jeux des enfants en associant les petites filles à des poupées et les petits garçons à des petites voitures. Dans la foulée, aux Pays-Bas, des militants pro-théorie-du-genre réclament et obtiennent que, sur les cartes d’identité, on supprime les mots Madame et Monsieur. En France, confronté à une bronca à laquelle il ne s’attendait pas, le gouvernement recule devant le projet de remplacer les termes père et mère par parent 1 et parent 2.  

Si les féministes radicales sont d’accord pour supprimer le terme Monsieur, celles-ci sont soutenues par la LGBT désireuse d’en finir avec l’appellation Monsieur ou bien encore homme ou bien encore sexe masculin afin de soutenir les transgenres et les non-binaires qui ne veulent plus entendre parler en général d’une identité sexuée quelle qu’elle soit et en particulier d’une identité masculine.  

Dans ce contexte où les hommes sont priés d’aller ranger au vestiaire les notions de Monsieur et de sexe masculin, la PMA, Procréation Médicalement Assistée pour les femmes seules ou les couples de femmes, fait son entrée sur la scène sociale. Il faut comprendre la souffrance des femmes seules ou homosexuelles qui ne peuvent pas avoir d’enfants, nous dit-on. La PMA va mettre fin à cette souffrance. Soit.  En même temps, le message de la PMA est une déclaration de guerre et de haine adressée aux hommes et aux Pères. Pour les hommes, elle revient à leur dire : pour faire un enfant, on n’a pas besoin de vous, un peu de votre sperme suffisant. Pour les pères, elle revient à leur dire : pour élever un enfant, on n’a pas besoin de vous non plus. L’enfant s’adaptera et on se débrouillera.  Pour gifler la gent masculine, on peut difficilement faire mieux.  

Enfin, pour clôturer le tout, l’ultra-féminisme anti-hommes a dernièrement décidé de frapper un coup encore plus fort en décidant d’en finir avec la notion de virilité. Certes, qu’un culte imbécile de la masculinité soit à l’origine de violences contre les femmes est indéniable. Supprimons toutefois la virilité sous prétexte de supprimer la bêtise masculine. En supprimant la virilité sans supprimer la bêtise, on ne libérera pas les femmes. On renforcera ce qui les violente. Tant il est vrai que si celles-ci souffrent, c’est la bêtise et non les hommes qui en est la cause.  

L’ouvrage de Madame Harmange est donc sans intérêt. En  revanche, sa situation historique n’est pas inintéressante. Jusqu’à présent,  la haine de l’homme, du masculin et du Père prenait des gants.  Elle argumentait en parlant culture, mentalités, liberté de la femme ou de l’identité. Avec le livre de Madame Harmange,  reniant son exigence intellectuelle qui faisant son originalité et sa force, elle ne prend plus de gants. Elle se lâche en n’hésitant à dire que : « les mecs, elle ne peut plus les voir ». Autre fait marquant, le fait que cela passe. Madame Pauline Haremange aurait expliqué qu’elle ne peut plus voir l’Islam et les musulmans. Il est fort probable qu’elle n’aurait trouvé personne pour la publier, aucun éditeur ne voulant se retrouver poursuivi par la justice, les réseaux sociaux et la presse toute entière en ayant un procès sur le dos qu’il serait sûr de perdre et qui lui coûterait très cher. En revanche, elle lance des appels à la haine contre les hommes ? Non seulement elle est publiée, mais il est des voix et même des voix nombreuses pour la défendre, trouver qu’elle a raison, que les hommes n’ont que ce qu’ils méritent, que le droit à la haine quand on a souffert est légitime etc. La haine qui ne passe pas avec l’Islam et les musulmans (tant mieux !) passe curieusement fort bien quand il s’agit des hommes. 

Atlantico.fr :  La démocratie est-elle en train par la transformation des névroses personnelles en faux débat d'en pâtir ?

Frédéric Mas : Je ne parlerai pas de « névroses personnelles » pour désigner les positions politiques des féministes radicales ou même des gauchistes staliniens qui pullulent sur les plateaux télé aussi absurdes soient-elles. La tendance consistant à pathologiser les opinions pour éviter d’avoir à les admettre et à évaluer leurs justifications me semble être un travers qu’on peut reprocher aux ennemis de la démocratie libérale. Cela n’empêche pas par ailleurs de s’en scandaliser ou même de s’en moquer.

Ce qui me semble dommageable à la démocratie représentative, c’est l’effacement de la raison au seul profit de la confrontation des passions et des intérêts.

Au cœur du fonctionnement du régime représentatif, il y a l’idée qu’il est possible pour les représentants du peuple souverain de produire des décisions par la délibération rationnelle sur des objets communs et à l’adresse de citoyens raisonnables. C’est à peu de choses près l’idée de « raison publique » défendue par John Rawls dans son livre « Libéralisme politique » (1993) : la raison publique exige que ce qui doit être pris en compte par le commun politique, ce ne sont que les décisions que les citoyens peuvent justifier rationnellement et être acceptées par des citoyens raisonnables.

Dans ce cadre-là, les prises de position passionnelles ne passent pas le test, et devraient, si nous respections l’idéal rawlsien de raison publique, être tout simplement ignorées, d’où qu’elles viennent, de l’extrême droite identitaire à l’extrême gauche indigéniste, en passant par les féministes ultra ou les religieux fanatiques.

Seulement, pour le meilleur et pour le pire, les hommes ne sont pas des automates raisonnables, ils répondent aussi à la grammaire des passions et des intérêts. La démocratie représentative est aussi soumise aux pressions des groupes d’intérêts spéciaux, aux factions et aux minorités actives qui cherchent à en détourner le fonctionnement pour ses propres fins.

En effet, les diverses organismes et associations identitaires qui parlent le langage du féminisme radical, du racialisme décomplexé ou de l’islamisme ripoliné en défense des minorités sont autant d’« entrepreneurs politiques » qui vivent en parasites de la démocratie libérale, se nourrissant d’argent public et de réseautage pour faire vivre leur business séparatiste et nuisible. Le clanisme promu par l’identité politique est aussi le règne de ces groupes de pression.

La solution libérale pour sortir de ce commerce permanent est de régler la démocratie par un constitutionnalisme bien compris visant à protéger la plus petite minorité vivant sous l’empire du droit commun, à savoir l’individu.

Bertrand Vergely : L’attitude de Madame Pauline Harmange, remet-elle en cause la démocratie ? Pas forcément. Et c’est bien là le problème.  

Quand on a une haute idée de la démocratie, la haine développée par Madame Harmange  est évidemment choquante. La démocratie au sens noble du terme repose sur la qualité du débat démocratique. En démocratie, le peuple est consulté à propos du choix de ses gouvernants. Ce choix se fait à l’occasion de débats publics au cours desquels les postulants au pouvoir s’efforcent de remporter l’adhésion des électeurs à la suite d’un débat public au cours duquel seule la qualité de l’argumentation développée pour défendre une idée ou un programme détermine  le choix du futur  gouvernant. Quand on a une haute idée de la démocratie, il n’est pas pensable d’élire une femme et de lui confier le pouvoir sous le simple prétexte qu’elle ne peut plus voir les hommes. Non seulement ce type de discours  est contraire à la dignité du débat intellectuel qui sert de fondement à la démocratie de qualité, mais il s’oppose au respect de l’autre, à la bienveillance, au refus de la haine, de l’exclusion, de la discrimination, que la démocratie s’efforce de développer depuis ces dernières décennies.   Dans le cadre d’une haute idée de la démocratie donc, les propos tenus par Madame Pauline Harmange sont totalement contraire à la démocratie et n’aboutissent qu’à détruire celle-ci en la faisant plonger dans le caniveau de la culture politique. Dans le cadre d’une vision basse et grossière de la démocratie il en va autrement.  

Madame Harmange est parfaitement en accord avec celle-ci. Appelons démocratie le droit de pouvoir dire ce que l’on veut sans prendre de gants, ses propos sont au goût du jour. Ils s’accordent parfaitement avec la violence qui  sévit sur les réseaux sociaux. Ils s’accordent également parfaitement avec la nouvelle idéologie qui sous-tend aujourd’hui la liberté d’expression.  

Le blasphème, c’est-à-dire l’insulte, étant un droit, on ne voit pas pourquoi l’insulte serait réservée uniquement au champ religieux. Puisque c’est un droit, on doit pouvoir insulter les hommes comme on insulte la religion, insulter étant le signe de la liberté d’expression et de la démocratie. 

Jusqu’à présent, la haute idée de la démocratie parvenir à contenir sa version grossière. Actuellement, les rapports sont en train de s’inverser. La grossièreté est en train de l’emporter et le livre de Madame Harmange est le signe d’un tel changement. 

Atlantico.fr :  Est-ce la première fois que de tels saillies anti-démocratiques sont récupérées par le débat politique ? Devrions-nous condamner cela judiciairement ? 

Frédéric Mas : Comme je l’évoquais plus haut, le pamphlet est une tradition politique ancienne en France. Seulement, son registre outrancier et volontairement agressif appartenait plutôt à une tradition de droite ou d’extrême droite jusqu’à une date récente. On pense à « La lettre à l’agité du bocal » de Céline à propos de Sartre, ou à « Mauriac sous de Gaulle » de Jacques Laurent. C’est intéressant de voir un certain réalignement de la nouvelle extrême gauche identitaire sur les pratiques et le registre politique de leurs adversaires d’hier.

Ce genre de propos est un test grandeur nature pour la liberté d’expression, qui, en démocratie représentative, doit être la plus totale possible afin de laisser aux citoyens la possibilité de choisir librement ce qu’il lui semble meilleur pour lui. Si les livres de madame Harmange ne nous plaisent pas, nous ne sommes pas obligés de les acheter. Pareil pour les livres d’Eric Zemmour, de Geoffroy de Lagasnerie ou les disques de Freeze Corleone.

Bertrand Vergely : Le champ politique est constamment traversé par des coups de gueule et des mouvements de colère. Comme la démocratie de qualité  est intelligente, elle n’est pas dupe. Elle sait que ceux qui se laissent aller à ces coups de gueule et à ces mouvements de colère n’ont nullement l’intention de remettre en cause son existence. De leur côté, ceux qui se laissent aller à des coups de gueule et à des mouvements de colère sont suffisamment intelligents pour les exprimer dans le cadre des codes de la démocratie en respectant ces codes. De sorte, qu’il y a une entente tacite entre la démocratie de qualité et ses acteurs impétueux. La démocratie respecte les impétueux parce que ceux-ci la respectent en retour. Dans le cas de Madame Harmange, il en va autrement. 

Il y a derrière les militants pro-théorie-du-genre, la croisade anti-mec et anti-virilité, un projet totalitaire qui ne plaisante pas. Ces militants ont vraiment l’intention de prendre le pouvoir et d’installer leur dictature à travers la planète. Hier, ils prenaient des gants. Aujourd’hui, ils n’en prennent plus et tout donne à penser qu’ils en prendront de moins en moins en étant de plus agressifs, provocateurs et violents.  

Il faut parler de totalitarisme en ce qui les concerne, ces militants ayant vraiment comme projet de faire penser comme il faut en utilisant pour cela la force. En Union Soviétique sous le stalinisme, il était impossible d’être contre le régime. Très bientôt, il sera impossible d’émettre la moindre critique à l’égard de la théorie du genre, ses contradicteurs devenant l’objet de poursuites juridiques et d’amendes. 

Si l’on poursuit Madame Harmange en justice, on fera exactement ce que celle-ci attend. Se faisant passer pour une victime, elle ralliera à elle l’opinion qui la soutiendra  non pas à  cause de ce qu’elle dit mais parce qu’étant une féministe que l’on attaque, il faut défendre les féministes.   

Judiciariser le monde ? C’est ce que ne cessent de faire les militants pro-théorie-du-genre ainsi que la croisade anti-mecs et anti-virilité.  Aussi faut-il faire autre chose. En l’occurrence : dire la vérité.  

Dans le cas de Madame Harmange, la vérité est simple. Alors qu’elle cherche à lutter contre la haine, comment peut-elle lancer des messages de haine ? Qu’elle s’explique donc à ce sujet si elle en a le courage ! Que ses supporters s’expliquent eux aussi ! Qu’ils essaient  de nous dire que leurs messages de haine ne sont pas de la haine. Qu’ils essaient de nous dire qu’il existe une bonne haine.  

Par ailleurs, il importe de se poser cette question : la femme prenant tous sens dans son rapport à l’homme comme l’homme prend tout son sens par son rapport à la femme, quand on déteste les hommes, n’est-ce pas les femmes que l’on déteste ?  En ce sens,  Madame Harmange aime-telle les femmes ? Plus que les hommes,  n’est-ce pas  les femmes quelle hait ? Et cette haine n’est-elle pas le fond du féminisme radical qui, ne l’oublions pas, entend s’attaquer non seulement à la virilité mais également à la féminité ?  

Enfin, la PMA est un message de haine adressé aux hommes et aux pères. Loin d’apaiser la relation entre les hommes et les femmes, non seulement elle crée un fossé mais elle allume la guerre entre eux. Quand les députés qui s’apprêtent à la légaliser se rendront-ils compte qu’au lieu d’évacuer la haine qui meurtrit la société, ils vont contribuer activement à sa propagation ?  

On veut pouvoir lutter contre la version violente et haineuse de la démocratie. Redonnons au débat intellectuel et politique sa dignité et sa qualité. On aura là le vrai moyen de redonner à la démocratie la vitalité qu’elle mérite.

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