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Frédéric Chopin est-il vraiment mort de la tuberculose ?
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Philippe Charlier et David Alliot publient "Autopsie des morts célèbres" aux éditions Tallandier. La récente apparition de la paléopathologie – cette médecine appliquée aux cadavres anciens – a permis de réelles avancées dans le domaine des connaissances et a même contribué à résoudre des "énigmes historiques". Extrait 2/2.

Philippe Charlier

Philippe Charlier

Philippe Charlier est maître de conférences des universités (UVSQ), chercheur au Laboratoire d’Éthique Médicale et de Médecine Légale (EA 4569, Paris-Descartes) et praticien hospitalier (AP-HP, CASH de Nanterre). Il est spécialisé en médecine légale et en anthropologie.

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David Alliot

David Alliot

Spécialiste de Louis-Ferdinand Céline, David Alliot est l'auteur du remarqué D'un Céline l'autre, publié dans la collection 'Bouquins' chez Robert Laffont.

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Officiellement, le compositeur Frédéric Chopin est mort des suites d’une tuberculose le 17 octobre 1849, à Paris, à l’âge de 39 ans. Toutefois – bien que Chopin ait été tuberculeux –, on suspecte qu’il est décédé d’une maladie génétique rare, la DAAT (déficit en alpha-1 antitrypsine), qui se manifeste principalement par un emphysème pulmonaire dont découle une insuffisance respiratoire chronique. D’un point de vue médical, la DAAT et la tuberculose ne sont pas incompatibles, la première favorisant souvent le développement de la seconde. Mais seule une analyse génétique permettrait de connaître avec certitude les causes de sa mort. 

Conformément aux dernières volontés du défunt, le compositeur est enterré à Paris, au cimetière du Père-Lachaise, mais son cœur a été ramené à Varsovie et placé dans un cardiotrophe en cristal, encastré dans un pilier de l’église de la Sainte-Croix, où il se trouve toujours. Considéré comme un « trésor national » en Pologne, la précieuse « relique » a survécu à toutes les péripéties de l’histoire – même les nazis n’ont pas osé y toucher pendant l’occupation du pays. 

Conservé dans du cognac, le cœur est cérémonieusement extrait de son pilier tous les vingt-cinq ans afin d’en vérifier l’état et de s’assurer du niveau du liquide (le reliquaire est toujours scellé et n’a jamais été ouvert, si bien que le liquide ne s’évente pas). En 2017, une étude conjointe menée par des scientifiques américains et polonais a consisté en un examen externe du cœur (sans ouvrir le reliquaire) pour prouver qu’il était mort de la tuberculose. 

Concrètement, la tuberculose entraîne une insuffisance respiratoire qui finit par avoir des répercussions sur le cœur et entraîne à son tour une insuffisance cardiaque qui peut déclencher des calcifications, hypertrophies, déformations, dilatations, etc., sur cet organe. Sans avoir procédé à aucune mesure, en se basant sur la simple dilatation du cœur et la présence de calcifications dans le reliquaire, les conclusions de l’équipe américano-polonaise vont dans le sens d’une tuberculose, cause du décès du compositeur selon eux.

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Peu convaincus par la rigueur scientifique de l’étude, nous nous sommes rendus dans les collections anatomiques conservées à Paris, au Muséum national d’histoire naturelle dans les réserves duquel reposent des milliers de bocaux, avec de nombreux cœurs, dont certains remontent au début du XIXe siècle, à l’époque de Georges Cuvier et de Frédéric Chopin. L’intérêt de cette collection réside justement dans son ancienneté. En effet, jusqu’au milieu du XIXe siècle, on conservait les organes dans de l’alcool, le formol n’ayant été synthétisé qu’en 1859. À cette époque, il s’agissait d’« esprit-de-vin » (eau-de-vie) à haut titrage (au minimum 40-45 degrés) qui permettait une conservation sur le long terme. Or, en examinant des cœurs conservés dans de l’alcool, on constate également des calcifications, même sur des patients qui n’étaient pas tuberculeux. Cela peut s’expliquer par la présence d’oligo-éléments naturels dans le sang (calcium, magnésium et phosphore) qui précipitent au contact prolongé du liquide de fixation et éventuellement par une exposition aux ultraviolets (aujourd’hui le cœur de Chopin en est protégé dans son pilier, mais rien n’indique que cela ait toujours été le cas). Le diagnostic concernant l’origine des calcifications était donc faux. 

Le diagnostic de l’étude américano-polonaise se base sur une dilatation des ventricules, mais n’en donne aucune mesure concrète. Un scanner ou une IRM (sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir le bocal) aurait pu donner des informations importantes en ce sens sans qu’il soit nécessaire de déplacer le reliquaire, puisqu’il existe maintenant des modèles portatifs, parfaitement adaptés à ce type d’examen in situ. Un scanner aurait permis d’étudier l’état de ses ventricules, les calcifications de ses coronaires et de diagnostiquer avec une certitude raisonnable les causes de sa mort. Il est étrange qu’une équipe de scientifiques de ce niveau n’ait pas pensé à procéder à un tel examen. 

À ce jour, en l’état des recherches et au vu de l’article publié, macroscopiquement et extérieurement, le cœur de Chopin ne présente pas de pathologies particulières. Dans l’état actuel des recherches, on ne peut donc pas affirmer que Frédéric Chopin soit mort d’une tuberculose. Pour en savoir plus, il faudrait procéder à des examens complémentaires.

Extrait du livre de Philippe Charlier et David Alliot, "Autopsie des morts célèbres", publié aux éditions Tallandier.

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