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Franz-Olivier Giesbert : « J’ai été un animal humain»
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

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Ecrivain couvert de lauriers et âme forte du Point, Franz-Olivier Giesbert publie :«Rien qu’une bête »( Albin-Michel), roman philosophique et fable animalière. Un must.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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« Sans les oiseaux, le ciel est mort, le monde sépulcral et la vie ennuyeuse » noteFranz-Olivier Giesbert , disciple de François d’Assise, dans son nouveau roman. Puis : « J’aime les forêts. Plaignons ceux qui n’ont pas compris qu’elles parlent, dorment, respirent, jouissent, notamment quand montent dans leurs troncs les sèves du printemps ou qu’après l’été les pluies d’automne les rafraichissent ». Qui pourrait croire, à lire ces deux phrases d’un beau classicisme tranquille, que « Rien qu’une bête » (Albin-Michel) est le roman le plus violent, le plus âpre de l’auteur ? Certains passages sont quasi insoutenables. « Une grande aventure commence pour moi et sera l’occasion de montrer, jouraprès jour, à travers mon cas, l’atroce condition des bêtes à viande », dit Giesbert en préambule. « Rien qu’une bête » est le récit fictionnel le plus audacieux- le plus gonflé, dirais-je-  que « FOG » ait jamais écrit. Un texte qui sera certainement suivi de nombreuses traductions, le sujet étant universel. Fou d’amour pour la belle éleveuse Laura, le narrateur de FOG fait don de sa personne afin d’alerter l’opinion sur lesupplice subi par les cochons- charcutiers. L’amoureux se met volontairement en cage et devient peu à peu sous nos yeux l’agneau de Dieu, la bête sacrificielle qui doit périr pour le contentement général des estomacs. Non sans souffrir atrocement au préalable, bien sûr, car tel est le sort de toutes les bêtes de France et de Navarre ou presque, note l’auteur(« tu as un ventre très prometteur et une belle « mouille (le gras de la poitrine du porc près des jambons) », précise d’emblée Patrick, le propriétaire de la porcherie(cf. Patrick est un faux ami, très content de lui).  « Etre ou ne pas être une usine à fabriquer de la viande».  La question du livre est celle de l’époque– d’une actualité brûlante. Défenseur de la cause animale depuis toujours (« L’animal est une personne » (Gallimard/Folio) « Manifeste pour les animaux » (Collectif, Autrement)), Franz-Olivier Giesbert utilise son imaginaire d’auteur, fin connaisseur des fables de La Fontaine, du Cheshire -cat de Lewis Carroll et de la « Ferme des animaux » de George Orwell. Se transformant en cochon d’élevage, l’auteur  balance son porc à sa façon. Sa métamorphose en rappelle d’autres. « Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en forme de voûte divisé par des nervures arquées». (« La Métamorphose » Franz Kafka (1883-1924/Gallimard/Folio). Outre l’art du romancier, Franz-Olivier Giesbert utilise sa belle expérience de journaliste : il enrichit sa fictionparla précision de l’enquête, révèlant au grand public l’insoutenable légèreté des bourreaux d’animaux. « Ce qui élève l'homme par rapport à l'animal, c'est la conscience qu'il a d'être un animal. Du fait qu'il sait qu'il est un animal, il cesse de l’être », note le philosophe allemand Friedrich Hegel (1770-1831). Au contraire de Buffon, et dans la tradition philosophique grecque- FOG perçoit des similitudes troublantes entre le genre humain et les espèces animales. Se révoltant de constater que la majorité des humains voient chez toute bête un ordre inférieur, FOG s’interroge : cette discrimination fondamentale autorise-t-elle l’humanité à laisser prospérer la   barbarie croissante des fermes industrielles ?  

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Pour apporter de l’eau à son moulin, au moment où sort en librairie « Rien qu’une bête » (sous -titre : - « N’ayez pas peur, ce n’est qu’un roman »), une vidéo de l'association L214 fait scandale. Un abattoir du groupe Les Mousquetaires -Intermarché se voit soudain fermé pour souffrances animales infligées aux truies par les employés : chocs électriques aux yeux et dans l'anus, coups, blessures etc. (96% des porcs et 84% des volailles sont élevés de façon intensive …).  « Que Laura ait parlé avec amour de ma viandesignifiait que les Glostrob envisageaient mon abattage à la fin du programme », note le narrateur, qui vit en direct -live sa vie de cochon. Giesbert réussit ce conte satirique et philosophique comme il avait su le faire avec « Dernier Été » (Gallimard/Folio). Nous sommes  littéralement scotchés par ce réquisitoire. Plus rien en notre douce France ne se fera comme avant : la parution de ce texte tellement fort qu’ildonne parfois la nausée - à bon escient- vachanger la donne.  FOG brise un tabou : les Français vont découvrir comment certains salopards se vengent sur la bête de leurs échecs et déboires. Ces bourreaux sont débiles, certes, et leurs QI sous le niveau de flottaison, bien sûr, mais comment et pourquoi les laissons -nous faire ? Nous mastiquons dans les règles de l’art civilisationnel et fermons poliment les yeux, murmure  à nos oreilles Franz-Olivier Giesbert. Pour nous faire avaler la pilule, l’auteur- au summum de sa forme- joue sur deux tableaux : la tragédie ordinaire des atrocités qu’il révèle, et de temps à autre, au fil des pages, un humour grinçantqu’utilise aussi pour détendre l’atmosphère, Charlie Chaplin dans « Les Temps Modernes », par exemple. « Je grouinais bruyamment », dit l’homme transformé. Nous rions pour ne pas pleurer.  

Que ferons-nous à présent que nous savons ?  Le concept du roman, c’est justement de braquer le projecteurde la phrase bien faite, du vocable habilement choisi,  bref, de la  parfaite sémantique sur l’indicible. De remplacer les caméras de L 214 (l’association de défense des animaux) par des mots..Des mots qui révèlent ce que l’on ne voit jamais. Dans nos sociétés aussi « molles » que les montres de Dali (La Vie Secrète de Salvador Dalí, / La Table Ronde), sociétés extrêmement « coulantes » où les délinquants monopolisent tous les droits, nous nous vengeons de notre inertie en laissant torturer les animaux, dit Fog.

 Notre violence s’exerce sur eux par personnes interposées. Nous ne risquons rien : par définition les bêtes se taisent. Il faut regarder en face notre indifférence à cette barbarie qui s’exerce  sur elles à deux pas de chez nous. Comme le démontre Joseph Losey dans  son chef-d’ oeuvre "Monsieur Klein", l’indifférence crée la barbarie. Nous voici avertis.  Et Franz-Olivier Giesbert  résume son projet romanesque par cette phrase  : « Quand tu seras devenu toi-même en passant de l’état d’animal à celui de masse inerte : tu n’arriveras plus à bouger ni à crier, tu ne ressentiras plus la faim ni la satiété ni la douleur, comme les porcs quand ils sont prêts. Ils deviennent ahuris, débiles. Je te percerai la peau du dos avec un ongle pour vérifier qu’elle se tend facilement et si tu ne ressens rien, ce sera le signe que tu es bon pour le couteau.

Extrait : 

Que fait le couteau à égorger dans le seau ?

Le concept du roman de FOG se perçoit bien dans ce court passage. L’auteur remplace la caméra de L214 par son texte. Un implacable réquisitoire littéraire qui fait événement.

« Les époux Glostrob se partagèrent les taches. Patrick prit le tuyau d’arrosage et passa ma cage au jet d’eau, pendant que Laura me lavait au savon avec un gant de crin devant la bassine. Après avoir passé de l’antiseptique avec une serpillière sur toutes les parties grignotées par les asticots, elle m’a rasé la barbe, les cheveux, tous les poils du corps. Quand elle a eu terminé, elle m’a badigeonné de Bétadine jaune l’aine, le fondement et les plis des cuisses avant de me donner en riant une grande claque sur la croupe.

« Ce n’est pas un cul que tu as, a-t-elle dit. « C’est un chef d’œuvre. »

Elle a enfoncé son doigt dans un de mes jambons. Il est entré comme dans du beurre.

« J’espère bien que tout est bon là-dedans, après tout le mal que je me suis donné. »

Laura a fourré dans ma bouche un baba au rhum si gros que j’ai failli m’étouffer. Quand je l’ai eu dégluti, j’ai marmonné – sans en penser un mot, car de toute évidence, c’était du surgelé :

- « Le meilleur baba que j’aie mangé de ma vie ! Comme c’est gentil Laura !

-On dirait une déclaration d’amour a ironisé Patrick.

-Tu es jaloux ? lui a demandé Laura.

-Comment pourrais-je être jaloux d’un tas de viande ? »

J’ai toussé pour indiquer que je voulais parler, puis j’ai murmuré la tête basse :

-A ce propos, j’ai une petite requête. Avant que vous procédiez à mon sacrifice, j’attends avec sérénité…

-Qu’est-ce qui te permet de penser que l’heure de la tuerie est arrivée ? a dit Laura.

-Une intuition.

-Ton intuition est fausse mon cœur. On ne t’a même pas fait jeûner.

-Que fait le couteau à égorger dans le seau ? ai-je demandé d’une toute petite voix.

-Ne t’en fais pas Gros-Cul, ce n’est pas pour te tuer. (….)

(…) - « Ma cage est si petite, vous comprenez, ai-je dit essoufflé. Je me sens comprimé là-dedans.

-C’est le principe de l’engraissage pour les veaux, les porcs, tous les animaux de boucherie, a expliqué Laura sur un ton pédagogue. Plus tu as d’espace, moins tu fais de viande. Il faut choisir ». Copyright Franz-Olivier Giesbert « Rien qu’une bête »/Albin-Michel

Franz-Olivier Giesbert- écrivain couvert de lauriers (Grand Prix du Roman de l’Académie française 1992 avec « L’affreux », Prix Interallié1995 pour « la Souille », entre autres récompenses) -, juré du Prix Renaudot, est l’auteur de très nombreux ouvrages, romans, essais souvent couronnés - dont ses biographies politiques de Jacques Chirac et de François Mitterrand. Il publia, entre autres, ce beau texte qu’est«  L’Américain » ( Gallimard), sorte de  « coming out » concernant la maltraitance dont FOG fut victime enfant, son père ayant la main lourde…Se reprochant de n’avoir jamais  voulu lui pardonner (« l’Américain m’a volé mon enfance »), l’écrivain ( ex patron de presse -Le Figaro, le Nouvel Observateur, la Provence entre autres titres- devenu par choix personnel-pour avoir le temps d’écrire- éditorialiste au Point -)se réconcilie avec l’auteur de ses jours par la littérature avec « Le Schmock », l’un de ses meilleurs textes. Son précédent  roman (mai 2020) « Dernier été » (Gallimard/Folio) était déjà un conte philosophique. Le constat ( prémonitoire) d’une France en danger d’anéantissement car en plein délitement…

Rien qu’une bête par Franz-Olivier Giesbert/Albin_Michel/19,90 euros 

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