François aux Etats-Unis : famille, capitalisme, Syrie... les délicats défis politiques sur lesquels le pape va devoir convaincre<!-- --> | Atlantico.fr
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Après Cuba le Pape François se rend aux Etats-Unis pour rencontrer Barack Obama pour la première fois.
Après Cuba le Pape François se rend aux Etats-Unis pour rencontrer Barack Obama pour la première fois.
©Reuters

A la conquête de l'Amérique

Le pape François arrive mardi soir 22 septembre aux Etats-Unis, en provenance de Cuba, pour une première visite historique. Il sera accueilli par le président Barack Obama en personne et son épouse Michelle. signe de l'importance de ce déplacement.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Quels sont les enjeux politiques du voyage du pape aux Etats-Unis ? Et que représente l’Amérique du Nord ce pape qui vient du Sud ?

Christophe Dickès :Il faut d’abord souligner qu’il existe un lien évident, un trait d’union entre le voyage cubain et le voyage américain. François reste un homme de dialogue et de symbole. Il veut incarner "cette culture de la rencontre" en passant d’une terre à l’autre alors que l’embargo américain, comme on le sait, est toujours en place… Il devrait donc faire passer un message dans ce sens au Congrès américain en face duquel il prendra la parole le 24 septembre au matin. La question du capitalisme sauvage et de l’écologie constituera sûrement un autre élément de son intervention. A ce sujet, François sait qu’il arrive en terrain hostile.

A l’occasion d’une conférence à New-York en mai dernier, le cardinal Dolan faisait la confidence que le pape était "un peu nerveux". Non pas tant à cause d’un manque de confiance sur l’amitié que peuvent lui porter les autorités et le peuple américains. Mais le pape n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis et a toujours préféré la simplicité et la pauvreté des peuples d’Amérique latine à la richesse et l’hégémonie du géant du Nord. De plus, François parle uniquement espagnol et italien et n’utilisera la langue anglaise qu’à une seule reprise : en face du Congrès américain. Bref, les Etats-Unis - société consumériste et libérale - n’entrent pas dans la grille d’un pape qui veut, avant tout, aller vers les périphéries. Mais la politique internationale l’oblige et lui commande même de faire ce voyage. Barack Obama a visité François en mars 2014. C’est au tour de François de franchir l’Atlantique.

Justement, nous savons que le pape s’intéresse de très près au dossier syrien et irakien. Le Saint-Siège s’est rapproché de la Russie de Vladimir Poutine à ce sujet. Que peut-il obtenir en rencontrant le président des Etats-Unis, Barack Obama ?

Là encore, François tient à construire des ponts. Mais ici, il arrive, il faut le dire, dans un environnement favorable. Dernièrement, le quotidien italien La Stampa a publié des documents de l’administration démocrate américaine classés confidentiels. On pouvait y découvrir une convergence de vues entre la Maison blanche et le Saint-Siège, tant sur les questions sociales et économiques qu’en politique étrangère. Est-ce à dire que la partie sera facile pour le pape François qui souhaite un assouplissement de la position américaine à propos de la Russie et donc de la Syrie ? Naturellement, non, même si les Etats-Unis ont beaucoup évolué, notamment à l’égard du régime syrien. Là encore, François va jouer sa partition. Il essaie toujours. C’est sa grande force.

Parallèlement à la politique étrangère, les sujets de politique intérieure seront aussi, je pense, abordés au cours de la rencontre entre le président et le pontife. En dehors de son aspect social, la politique de Barack Obama contre "l’Evangile de la Vie", pour reprendre l’expression de Jean-Paul II, la promotion de l’homosexualité ou de l’idéologie du genre ne sont pas du goût de François. Même si les notes de l’administration américaine rappellent à juste titre que le pape ne fait pas de ces thèmes une obsession.

Justement, après ses prises de position qui ont pu braquer outre-Atlantique, notamment les Républicains et les conservateurs catholiques, comment peut-il reconquérir le public ?

L’Eglise américaine, après une longue croissance tout au long du XXe siècle, est aujourd’hui en stagnation depuis peu. Cela ne l’empêche absolument pas d’être très puissante et décomplexée, notamment sur la scène médiatique. On l’a encore vu récemment dans les révélations sur le trafic d’organes de fœtus par le Planning familial. Bref, les catholiques américains sont toujours en pointe sur les questions familiales et sur la défense de la Vie. Le congrès des familles de Philadelphie constituera un point d’orgue de ce voyage pontifical. Il est, là aussi, très attendu. Or François, tant pas sa critique du libéralisme que par sa retenue à l’égard des discours réguliers sur l’avortement ou la contraception, crée une sorte de "fatigue" dans les milieux conservateurs américains. L’expression est de David Gibson, un commentateur catholique. Il y eut, dit-il, un "Francis effect" auquel s’est substitué une "Francis fatigue". Elizabeth Scalia, une bloggueuse américaine très populaire (www.patheos.com), s’est dit, elle-aussi, fatiguée par ces appels successifs à en faire toujours plus en faveur de la charité, l’accueil de l’étranger, le nettoyage des rivières, la défense de la justice et de la paix… Ce sentiment est très prégnant dans les classes moyennes qui font simplement leur devoir d’Etat en se levant le matin, en travaillant la journée, en éduquant chrétiennement leurs enfants et en payant leurs impôts. Or, toute cette population catholique est anormalement absente du discours pontifical, ce qui lui a été aussi reproché.

La popularité de François en a-t-elle souffert ?

Inévitablement, cela s’est traduit dans les sondages puisque de 76% d’opinion favorable chez les Américains, le pape est descendu à 59%. Chez les catholiques conservateurs, cette popularité a atteint un seuil de 30% (Sondage Gallup). Mais François a conscience de tout cela et - si vous me permettez cette expression - je pense qu’il se moque totalement des sondages. Cela dit, au retour de son voyage en Amérique latine en juillet dernier, un journaliste lui a précisément posé la question des critiques américaines. Le pape a répondu qu’il ne les avait pas encore étudiées mais qu’il allait faire le nécessaire en vue de son voyage. Dont acte. Aujourd’hui, il laisse cette image paradoxale d’un pape apprécié par l’administration démocrate américaine d’un côté, critiqué par une partie de ses ouailles de l’autre. Il lui reviendra de dénouer ce paradoxe pendant ce voyage.

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