Fichier des 100.000 collabos : "on n’a pas révélé tous les noms de peur des procès à répétition et des risques de suicides”<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Fichier des 100.000 collabos : "on n’a pas révélé tous les noms de peur des procès à répétition et des risques de suicides”
©Reuters

Secrets

À la libération, le colonel Paul Paillole, responsable du contre-espionnage français, entreprend de dresser la liste des personnes ayant collaboré avec l'occupant allemand. Dominique Lormier en a tiré un livre.

Dominique Lormier

Dominique Lormier

Dominique Lormier, historien et écrivain, est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire. Membre de l'Institut Jean-Moulin et membre d'honneur des Combattants volontaires de la Résistance, il collabore à de nombreuses revues historiques. Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages.

Voir la bio »

Atlantico : En quoi ce fichier est un objet d'étude intéressant et atypique ?

Dominique Lormier : C'est totalement atypique parce qu'il est resté caché pendant plus de 70 ans : même lors du procès Papon le fichier est sorti des archives mais a tout de suite été reclassé du fait de son contenu explosif. Il est explosif par sa quantité : on a plus de 100 000 noms. Il y a des fichiers aux archives nationales et aux archives de Vincennes mais pas de cette ampleur. Un fichier très complet sur la collaboration politique et militaire alors la collaboration économique est moins abordée parce qu'en fait, il y a eu des compromissions et des ententes à la Libération de manière à ce que l'épuration touche essentiellement la collaboration politique qui a été sciemment voulu par les personnes qui s'y sont engagés alors que la collaboration économique a été subi sous la pression de l'occupant.

Ce livre est-il une sorte de typologie ?

Oui, c'est une typologie sociale qui permet d'avoir une image du contenu économique du fichier en question.

Qui sont les figures présentes dans ce fichier ?

On retrouve toutes les grandes figures de la collaboration. Je me suis attaché à deux aspects de la collaboration dont une qui est particulièrement sordide, celle des français qui ont travaillé pour les services allemands de renseignement. Il y a là des personnalités effrayantes avec un manque total de moralité, des gens d'une intelligence totalement machiavélique et également des gens ont porté un certain romantisme fasciste. C'est deux aspects de la collaboration militaire et policière qui sont assez prégnants sur ce qu'a pu être la collaboration dans l'engagement idéologique.


Une collaboration passive également...

J'avais des sources de renseignements annexes concernant un certain nombres de ces personnes. J'ai intégré mes connaissances dans le livre sur certaines de ces figures. Et j'aborde le fichier sous une forme plus sociologique dans le dernier chapitre.


Les faux résistants sont-ils beaucoup plus nombreux que ce que suggérait Alexandre de Marranche ?

Il y en a un certain nombre. Dans la partie ou je traite de la collaboration avec la gestapo, j'aborde le fait qu'il a eu des chefs gestapistes qui avaient des listes de français soi-disant résistant mais qui, en fait, avait collaborer avec les allemands. Il y a eu un vent de panique lorsqu'ils ont menacé de vouloir révéler ces listes et c'est pour cela qu'ils ont été condamnés seulement légèrement. Dire qu'ils ont été nombreux ? Non. Ça n'a absolument pas été la majorité. Cela représente un pourcentage de 2 à 5%.

Ce fichier est-il aujourd'hui déclassé ? 

Le document est supposé être déclassé depuis 2015. Mais dans les fait il n'est toujours pas accessible à la consultation. Mon livre est une étape dans l'ouverture de ce fameux fichier mais à mon avis il va rester sous clé pour un certain temps. Il a été question de dévoiler le fichier tel qu'il était, dans son intégralité, avec une courte introduction, mais le service juridique de mon éditeur disait que l'on aurait eu des procès à répétition et des risques de suicides. Et j'ai pu me rendre compte de la prégnance de ce passé sur les enfants et petits-enfants de ces personnes qui sont dans le fichiers. Je m'en rends compte depuis ces 30 années que j'écris sur le sujet, au salon du livre par exemple ou je vois des enfants ou des petits enfants de collabos qui sont encore très marqués par le passé du père ou du grand père. Oui, la mémoire est toujours vive, c'est tout à fait étonnant. Et le sujet est caché, tabou. Lorsque j'avais mené une enquête il y a quelques années, j'étais allé voir le consulat d'Allemagne à Bordeaux et on m'avait révélé qu'il y avait encore 200 familles bordelaises qui touchaient une pension de la République Fédéral d'Allemagne parce qu'un des membres de la famille avait combattu dans la division Charlemagne.

Quelles sont les lacunes de ce fichier ?

La grosse lacune du fichier porte sur le fait que la collaboration économique a été escamotée (il n'y a que 600 personnes alors que cette collaboration a été de loin la plus importante). Il y a eu des accords : cette collaboration concernait des gens qui avec beaucoup de relations dans le monde l'entre-deux-guerres mais également dans le monde la Résistance. Et finalement, ils sont passés à travers les fils à la Libération. Il y a eu et également la volonté politique du Général De Gaulle de réconcilier et relancer la machine économique en accord avec les différents partis politiques de l'époque, et même avec le parti communiste. La France était dans une situation compliquée (elle avait perdu en 40 mais se retrouvait finalement dans le camp des vainqueurs, de justesse, en tant que 4ème puissance victorieuse lors de l'acte de capitulation de l'Allemagne à Berlin) et De Gaulle voulait redorer le blason de la France et mettre en avant les faits de résistance et la France libre. La collaboration, à cette époque était un sujet tabou : on le voit à travers des figures emblématiques comme Papon ou Bousquet, des fonctionnaires qui ont déporté des centaines de Juifs et qui sont passés entre les mailles de l'épuration. Alors que l'actrice Mireille Badin, qui a été une des grandes actrices françaises de l'entre-deux-guerres, une vedette internationale, voit sa carrière complétement ruinée et meurt jeune, à 52 ans, dans la misère la plus total, pour avoir eu le malheur de coucher avec un officier allemand.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !