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Des agents de santé prennent en charge un patient infecté par le Covid-19 au service de réanimation de l'hôpital de la Timone, à Marseille. 5 janvier 2022.
Des agents de santé prennent en charge un patient infecté par le Covid-19 au service de réanimation de l'hôpital de la Timone, à Marseille. 5 janvier 2022.
©NICOLAS TUCAT / AFP

Reprise épidémique

Gérer la pandémie selon un mix de critères politiques et d’indicateurs limités - tel que le nombre d’hospitalisations - pourrait se révéler une funeste erreur tant certaines conséquences du Covid sont mésestimées

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Les indicateurs d’hospitalisations et de décès semblent se dégrader en Europe alors que nous avons levé la majorité des restrictions qui pesaient sur nous, en France comme ailleurs. D’après la situation actuelle et sur ces critères retenus pour documenter la situation sanitaire, y-a-t-il des motifs d’inquiétude importants ?

Antoine Flahault : Cette pandémie reste par nature un motif d’inquiétude important, puisqu’elle a pu conduire la plupart de nos pays à prendre des mesures qui n’avaient jamais été prises auparavant et en temps de paix par aucun pays démocratique. Cependant, depuis l’arrivée du variant Omicron, la gestion de la pandémie a changé un peu partout dans le monde. Seuls les autorités chinoises semblent s’accrocher encore à des modalités de réponse qui paraissent aujourd’hui inefficaces et disproportionnées. Le gouvernement chinois semble trembler devant ce que j’appellerai le spectre de Hong-Kong, cette submersion de contaminations, avec plus de la moitié de la population atteinte en quelques semaines, qui a entraîné un pic d’hospitalisations et de décès sans précédent sur le territoire depuis le début de la pandémie, et sans équivalent en Asie. Les Asiatiques âgés à Hong Kong comme en Chine sont nettement moins vaccinés que les Européens ou les Américains du même âge, alors que la population adulte plus jeune est aussi bien vaccinée. Paradoxalement, le vaccin semble souffrir d’un désamour auprès des personnes vulnérables et de leurs médecins, avec les rumeurs rapportées qu’elles ne supporteraient pas les effets indésirables post-vaccinaux en raison de leur fragilité. L’Occident se sent donc plutôt mieux armé pour affronter cette vague actuelle, liée au sous-variant BA.2. Peut-être sommes nous trop confiants, mais la forte couverture vaccinale et l’immunité de la population acquise par les vagues précédentes, dont la dernière liée au sous-variant BA.1 d’Omicron semblent avoir constitué une forte protection de la population contre les formes graves de la maladie. On se rend bien compte qu’il faudra continuer à protéger particulièrement les segments vulnérables de la population, on sait aussi que l’on dispose désormais de traitements préventifs et curatifs efficaces chez eux, bref, on a des raisons d’espérer que l’on saura mieux encaisser la vague actuelle sans avoir à recourir à de nouvelles mesures fortes, tant que les variants ne sont pas plus virulents qu’actuellement. On peut critiquer certains aspects des politiques publiques menées en Europe actuellement, mais cela reste finalement assez à la bordure. Aucun scientifique à ma connaissance ne réclame en Europe la mise en œuvre de nouvelles mesures de confinement, de fermetures d’écoles, voire même de télétravail. Je regrette personnellement la levée prématurée du port obligatoire du masque en lieux clos, car c’est une mesure relativement acceptable qui permet d’abaisser la charge virale infectante. Aujourd’hui les personnes les plus vulnérables de notre société se retrouvent un peu démunies et laissées seules à devoir éviter les complications graves d’infections ou de réinfections à venir, et on aurait pu continuer à les aider en portant notre masque. Mais ce n’est pas seulement un geste altruiste, nous allons expliquer plus bas pourquoi le masque pourrait se révéler un bon investissement également contre les formes de Covid longs.

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Les effets de la Covid-19 à long terme sont encore mal connus. Certains individus pourraient souffrir de nombreux effets secondaires (infertilité, impact sur le cerveau, conséquences hormonales, vieillissement prématuré, etc). Que savons-nous de ces dimensions de la pandémie peu évoquées ? 

La gestion de cette pandémie s’est organisée autour d’indicateurs hospitaliers dictant peu ou prou l’ensemble des politiques publiques en matière de contrôle de la circulation du virus. Il y a un relatif consensus dans nos sociétés occidentales pour dire que l’on ne pouvait pas accepter que la saturation excessive des hôpitaux et des soins intensifs conduise à risquer de menacer la qualité des soins pour les autres maladies. En revanche, les politiques occidentales n’ont jamais chercher à viser la circulation minimale du virus, encore moins le zéro Covid. Ce sont plutôt les politiques asiatiques et pacifiques qui ont cherché ces objectifs. Les approches zéro Covid se sont avérées très performantes jusqu’à l’arrivée d’Omicron, un variant beaucoup plus transmissible que les précédents et donc moins contrôlable par les mesures de confinement, de fermeture de frontières ou par l’approche tester/tracer/isoler. La gestion occidentale qui a laissé filer la circulation du virus tant que le niveau de saturation des hôpitaux n’était pas atteint a conduit à enregistrer un très grand nombre d’infections. Il est possible qu’avec Omicron et l’abandon des stratégies zéro Covid, cela conduise finalement à la même proportion de la population infectée in fine. Cela semble être déjà le cas à Hong-Kong, mais aussi en Corée du Sud, en Australie, à Singapour et en Nouvelle Zélande. La grande inconnue est donc de savoir quelle sera la proportion et le fardeau associés aux Covid longs, ces séquelles prolongées et le plus souvent post-infectieuses de COVID-19. On ne sait pas encore très bien si tous les variants du coronavirus entraînent des Covid longs dans les mêmes proportions et avec le même type de handicaps résiduels. On ne sait en fait pas encore grand-chose sur ces formes prolongées de la maladie. On sait qu’elles sont parfois très invalidantes, qu’elles atteignent des personnes qui n’avaient souvent aucune comorbidités antérieures, qu’elles peuvent persister de longs mois. Mais on est loin d’appréhender l’ensemble du phénomène, tant il semble polysémique et même sournois. Certaines constatations physiopathologiques, par exemple sur le vieillissement cérébral prématuré sont préoccupantes. D’autres, concernant l’appareil cardio-circulatoire ne sont pas moins inquiétantes. Bref, on voudrait plutôt tout faire pour éviter ce risque.

La gestion de la pandémie selon un mix de critères politiques et d’indicateurs limités tels que le nombre d’hospitalisations ou de décès risque-t-elle de nous faire passer à côté de certaines découvertes médicales ou de problèmes de santé publique de long terme ?

La gestion de la pandémie rivée sur les indicateurs hospitaliers fait prendre le risque de négliger les effets moins aigus et bruyants de l’infection par le SARS-CoV-2. On ne peut pas cependant blâmer trop hâtivement les politiques publiques entreprises depuis le début de la pandémie. D’une part, parce que somme toute, la plupart des pays ont recouru à peu près aux mêmes méthodes, parfois mises en œuvre à des périodes différentes. D’autre part, parce que personne ne semble avoir la martingale, la baguette magique qui permettrait de ne pas laisser circuler le virus sur son territoire. Il est encore un peu tôt pour l’affirmer, peut-être les Chinois ou les Taïwanais qui s’accrochent à leur stratégie zéro Covid y parviendront-ils et alors auront in fine beaucoup moins de contaminations et donc de séquelles possibles de ces infections ultérieurement. Mais même cela n’est pas sûr lorsque l’on observe la dynamique épidémique en Asie en ce moment. Ainsi, nous pouvons nous accorder à dire après deux ans de pandémie que nous ne savons pas bloquer la transmission du coronavirus, ni par les vaccins, ni par l’immunité naturelle, ni par des mesures sanitaires jugées proportionnées et acceptables par la population. Il n’y a donc pas de véritable échec de telle ou telle approche dans la gestion de la pandémie. En revanche, on pourrait recommander, par précaution, en raison notamment de l’inconnue des Covid longs, d’exposer le moins possible la population au virus, c’est-à-dire à la plus faible charge virale infectante possible. Cela passe par le maintien de l’obligation du port du masque en lieux clos tant que le virus circule à un niveau élevé (comme actuellement), et un investissement beaucoup plus massif sur la ventilation des lieux clos qui reçoivent du public, comme nous l’avons souvent plaidé dans les colonnes d’Atlantico. La seule erreur politique manifeste dans la gestion de cette pandémie pourrait alors s’avérer le manque d’anticipation sur le risque de Covid longs et donc l’absence de réflexion sur les solutions à apporter pour limiter les contaminations. La ventilation, associée à la filtration et la purification de l’air pouvant être les mesures clés qui n’auront pas été préconisées pendant les premières années de la pandémie presque partout en Europe.

A quel point est-il important de mettre en place d’autres critères pour évaluer les effets secondaires de la Covid-19 ? Quels critères pourraient être pris en compte ?

Sans que cela soit clairement démontré à ce jour, il est probable, à la lumière de nos connaissances en infectiologie, que plus la charge virale infectante est importante et répétée et plus on augmente les risques de formes graves chez les personnes à risque et de séquelles à long terme chez tous les infectés. Il convient donc de viser à diminuer la circulation virale et en cas de circulation virale importante sur le territoire, à diminuer au mieux la charge virale infectante. Or ce ne sont pas tant les critères de surveillance épidémiologique qui ne conviennent pas pour arriver à ces objectifs. C’est plutôt leur piètre qualité métrologique et leur manque de fiabilité qui posent question. Il me semble que si l’on disposait d’indicateurs fiables du niveau de contaminations, du taux de positivité, du calcul du taux de reproduction, du nombre d’hospitalisations et de décès, on aurait alors les outils suffisants pour gérer une telle pandémie. Le problème est qu’à part au Royaume-Uni aujourd’hui et peut-être dans certaines provinces du Canada, on ne dispose pas de données de contaminations fiables. On dispose de résultats de PCR faites à tout va, sans méthodologie statistique et sans représentativité. En Suisse, il y a quelques jours alors que le pays rapportait 25 000 nouvelles contaminations quotidiennes, le président de l’Association des médecins cantonaux (notre Surgeon General) a déclaré que les chiffres officiels étaient très sous-estimés et que le chiffre réel avoisinait plus probablement autour de 150 000 cas par jour : on n’était pas dans l’épaisseur du trait quand même ! On a un besoin urgent de mettre au point les bons outils de surveillance épidémiologique permettant de définir rigoureusement les seuils de contaminations au-dessus duquel des mesures comme le port du masque serait rendu obligatoire ou non. Si l’on veut protéger en amont les personnes vulnérables contre les formes graves de COVID-19 et si l’on cherche à limiter la charge virale infectante de l’ensemble des personnes en espérant réduire ainsi les risques de Covid longs sévères, il nous faut faire reposer les politiques publiques sur des indicateurs fiables de veille sanitaire.

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