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Existe-t-il un repli vers le monde enfantin ?
©Reuters

#CutOff

Les scientifiques s'affrontent sur Twitter depuis fin août avec le mot-dièse #CutOff pour savoir qui a croisé l'animal le plus mignon qui soit. Que révèle notre attrait pour tout ce qui est mignon ?

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : Lancé fin août par des scientifiques américains, le mot-clé #CuteOff s’est depuis propagé sur Twitter. Pour les scientifiques, il est l'occasion d'un concours pour déterminer qui a croisé l'animal le plus mignon qui soit. Les contributions affluent, pour le plus grand bonheur des internautes. Comment expliquer le fort intérêt des internautes pour tout ce qui est "mignon" ?

Michel Fize : Nous sommes dans un monde d'émotion, elle est recherchée, il faut la provoquer. Dans ce rapport à l'attendrissement, l’animal est le mieux placé. Selon moi, l'attrait n'est pas spécifiquement pour ce qui est mignon mais surtout pour les animaux, qui effectivement sont particulièrement mignons.  (…) Malheureusement pour l'Homme, l'animal concentre toutes les qualités que l'Homme n'a pas. Il est spontané, il ne s'inscrit pas dans des stratégies, de pouvoir notamment.  Il suscite l'humour, la fraîcheur, la légèreté… Et il est fidèle et sans défense. On viendrait chercher ce condensé entre humour, spontanéité et fidélité. Ces images cadrent aussi une attente bien de notre époque : ne pas se prendre la tête. On n'est pas dans le monde de la réflexion, on est dans le monde de l'émotion.

Ces fans de "mignoncité" ont-il un profil particulier? Ou se laisser attendrir par des loutres, suricates et autres chatons est-il finalement universel ?

Non il n'y a plus de profil pour être ému ou attendri. Il y a chez l'homme une séduction naturelle pour les animaux, ce sont ses meilleurs vrais humains, ils sont fidèles jusqu'à la mort. On trouve chez eux ce qu'on ne trouve plus chez nous: la fidélité instinctive.

Cela symbolise-t-il un repli vers le monde enfantin plus généralement présent au sein des sociétés occidentales ? (On pense aussi à la mode Kawa en Corée du Sud, etc) 

Il y a un attrait pour le monde enfantin tel qu'on se le représente traditionnellement, dont on peut supposer qu'il n'existe plus. Aujourd'hui les enfants subissent la pression scolaire, ont des emplois du temps de petits PDG parmi leurs nombreuses activités censées être ludiques. Nous avons la nostalgie des vieilles images traditionnelles de l'enfance (l'innocence, la pureté, le jeu, l'insouciance, l'irresponsabilité) et ce d'autant que nous sommes dans une situation délicate, exposés au chômage, à l'exclusion, parfois à la guerre ou à la privation de libertés. Nous sommes dans la nostalgie d'une enfance qui n'existe plus, dans la nostalgie de ces grands mythes de l'enfance, de cette fraîcheur.  Ce n'est pas nouveau mais c'est plus marqué aujourd'hui, moment où la situation des adulte est plus compliquée qu'il y a quarante ou cinquante ans (chômage, précarité, etc).

Ces images et vidéos pleines de douceur sont-elles une façon de contre-balancer la violence des images auxquelles les internautes sont exposés ? (terrorisme, catastrophes...)

Tout cela n'est pas prémédité. Il n'y a pas de stratégie, je crois qu'on est dans une démarche spontanée face à Internet.

Cela montre bien que l'homme n'est pas fait d'un seul bloc. Le même qui a regardé la vidéo d'un policier abattu froidement lors de l'attentat de Charlie Hebdo est aussi celui qui regarde et s'émeut des images du lion Cecil abattu au Zimbabwe par un dentiste américain.

C'est une nouvelle fois la preuve qu'Internet produit le meilleur et le pire, et il est heureux que les animaux nous sauvent de la barbarie. Ils contribuent à notre évasion. Paradoxalement, nous recherchons ce qui fait notre humanité… dans les animaux. 

Propos recueillis par Adeline Raynal

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